Egora : Plus de 120 candidats vaccin contre le Sars-CoV-2 sont à l'étude de par le monde, dont un peu moins d’une dizaine sont en phase d’essais cliniques… Parmi toutes ces voies de recherche, quelles sont celles qui vous semblent les plus prometteuses ? Pr Daniel Floret : L'utilisation de vecteurs viraux génétiquement modifiés de telle sorte qu’ils expriment les protéines immunogènes du Sars-CoV-2 - principalement la protéine de surface du Sars-CoV-2, la protéine Spike – me semble une voie relativement innovante et prometteuse d’autant plus que c’est grâce à cette technique qu’a notamment pu être mis au point le vaccin contre Ebola en utilisant le virus de la stomatite vésiculeuse (VSV) comme vecteur. Deux candidats vaccin contre le Sars-CoV-2 semblent en pointe dans cette catégorie : un premier qui a recours à un adénovirus comme vecteur, ainsi qu’un second développé par l’institut Pasteur et dont le vecteur est le virus vaccinal de la rougeole. Ce dernier candidat vaccin semble assez avancé en termes de développement… Aussi il pourrait être un des premiers vaccins à arriver sur le marché. En parallèle, on sait également qu’un très grand nombre d’équipes à travers le monde travaillent au développement de vaccins de type protéiques sous-unitaires, généralement couplés à des adjuvants afin d’obtenir une plus grande immunogénicité. Enfin n’oublions pas les candidats vaccins à acide nucléique, utilisant soit l’ADN soit l’ARN messager… Dans cette dernière catégorie, celui développé aux États-Unis par l’Institut National des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) me paraît en pointe. Rappelons toutefois que nous n’avons aucune expérience avec ce type de vaccin puisqu’à l’heure d’aujourd’hui il n’en existe aucun.
Certains scientifiques reprochent justement à la biotech américaine Moderna - qui développe ce candidat vaccin à ARNm en coopération avec la NIAID - d’avoir fait l’impasse sur les études précliniques conduites chez l’animal… Cela relèvera de la responsabilité des agences du médicament. Mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a très clairement dit qu’on ne ferait pas l’économie de l’évaluation de la sécurité, c’est très clair. Ces études précliniques conduites sur des modèles animaux, notamment les primates...
non humains, sont extrêmement importantes d’autant qu’il faut rappeler que par le passé, des phénomènes de renforcement de la maladie ont pu être observés avec des candidats vaccin contre le Sars-CoV au cours de tels essais précliniques. On sait qu’il y a deux types de mécanismes qui expliquent cela… Un premier qui est que certains anticorps peuvent favoriser la pénétration du virus dans les macrophages donc non seulement cela ne protège pas contre la maladie mais au contraire cela favorise la réplication du virus dans les macrophages du sujet vacciné. Et puis il y a un deuxième mécanisme qui est que certains vaccins peuvent donner une réaction du système immunitaire dirigée non pas vers la protection mais vers l’allergie induisant ainsi la production d’anticorps qui n’ont pas d’effet neutralisant mais qui par contre provoquent une réaction de type allergique avec un envahissement des alvéoles pulmonaires par des polynucléaires éosinophiles. Ce genre de problème a également déjà été observé avec d’autres candidats vaccins, notamment un vaccin contre le Virus respiratoire syncitial (VRS) dont la production a été durablement bloquée par cette hypothèque.
Donc un des points clé pour le développement de ce nouveau vaccin sera de démontrer qu’il n’entraine pas de tels effets? Oui, et c’est une des raisons pour lesquelles il me semble important d’avoir une gamme de vaccins produits de manières différentes parce qu’on pourra espérer que parmi ceux-ci il y en aura qui ne donneront pas ce type de complications, je pense notamment aux vaccins ayant un vecteur viral. Un vaccin ayant un spectre de protection contre un maximum de souches de coronavirus existantes et à venir, c’est également une piste de recherche ? Absolument, d’autant qu’il ne faut pas se faire d’illusion : personne n’annonce un vaccin avant 2021. Il est peu probable que ce vaccin puisse intervenir de façon significative sur la cinétique de cette pandémie. Mais on peut quand même penser qu’on aura de nouvelles apparitions de coronavirus qui seront certainement un peu modifiés par rapport à celui qui circule actuellement. C’est quelque chose qu’il faut prévoir…
Donc ce serait en effet important d’avoir un vaccin qui protège contre un maximum de souches existantes et à venir. Mais c’est peut-être un rêve… Quoi qu’il en soit, ce vaccin contre le Sars-CoV-2 pourrait servir comme « primer » pour une future pandémie. C’est une stratégie que nous avions étudiée lors de nos préparations à une éventuelle pandémie contre un virus grippal A (H5N1). Nos modélisations avaient alors montré l’intérêt de cette stratégie dite du « prime boost » qui consiste à vacciner la population avec un premier vaccin entrainant une protection partielle – c’est-à-dire qui confère une protection contre un virus existant mais qui se révèle moyennement efficace contre un virus émergent de la même famille - pour ensuite faire un rappel avec le virus pandémique une fois qu’il serait développé. Justement, quel schéma vaccinal contre le Sars-CoV-2 se dessine selon vous ? Vu ce que l’on sait actuellement de la pathogénicité de ce virus, ce sont clairement les personnes âgées et celles ayant des comorbidités qui devraient être prioritaires. Ainsi bien sûr que les professionnels de santé exposés. Dans une optique de prévention individuelle… Maintenant, si on résonne non plus en termes de « protection individuelle », mais d’« immunité de groupe », il faudra prendre en compte les tranches de la population qui sont les plus affectées, mais également celles qui sont les vecteurs préférentiels du virus… Et là-dessus nous ne sommes pas très au clair, notamment en ce qui concerne la place des enfants. Nous n’en savons pas non plus beaucoup plus s’agissant de la réponse immunitaire protectrice…
Quelle est la durée de l’immunité provoquée par la maladie ? Les données ne sont pas du tout solides et on reste encore dans l’incertitude. On sait toutefois qu’en général, les maladies entrainent une protection de plus longue durée que les vaccins. On ne peut pas non plus pour l’instant se projeter concernant la durée de l’immunité provoquée par la vaccination… Et si un vaccin devait être mis à disposition rapidement, ce serait sans recul sur la persistance des anticorps. Les impératifs actuels sont en effet d’avoir...
un vaccin qui permette la production de taux élevé d’anticorps ayant un pouvoir de neutralisation du virus, qui agisse sur l’immunité cellulaire, et n’induise pas de risque d’exacerbation de la maladie. Produire le vaccin en masse… Ce sera un autre défi de taille ? Un énorme défi en effet… Car si on trouve un vaccin efficace, il faudra en produire des doses massives et à un coût acceptable, de telle sorte qu’il puisse être utilisable par la population entière du globe. Les vaccins avec vecteur viral du type rougeole demeurent compliqués à fabriquer et il sera très difficile de les produire rapidement à une très grande échelle… À l’inverse, si l’on parvient à démontrer l’efficacité et la sécurité des vaccins de type ADN et ARN messager, ces vaccins pourraient probablement être produits à très grande échelle mais aussi à des coûts limités.
Le défi va également donc être du côté de l’industrie. On sait qu’actuellement pour monter et faire valider une chaine de production il faut des mois voire même des années… C’est ici que les procédures et normes administratives devront sûrement être simplifiées. Mais malgré tout, cela ne se fera pas en un claquement de doigt. Un vaccin disponible au printemps 2021, est-ce que cela vous semble jouable ? Ce serait sûrement une très bonne nouvelle… Mais je pense qu’un vaccin disponible en 2021 c’est probablement un scénario optimiste. *Le Pr Daniel Floret déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
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