Les systèmes actuels de régulation du médicament ont montré leurs limites. Il faut aujourd’hui inventer de nouveaux modèles dans un contexte économique qui s’est singulièrement compliqué depuis la pandémie avec des niveaux records de déficits publics et une dette qui a explosé sans parler de la situation politique instable héritée des dernières législatives. C’est sans doute la difficulté de la tâche qui a incité le Leem à faire appel aux lumières du prix Nobel d’économie Jean Tirole, à l’occasion du colloque « Réinventer l’économie du médicament », le 27 juin 2022. Sortir du court-termisme des politiques de régulation « La grande critique que l’on peut porter au système de régulation actuel, c’est son court-termisme » affirme Dominique Libault, en connaisseur puisqu’il a présidé à l’élaboration de plusieurs PLFSS, en tant qu’ancien directeur de la Sécurité Sociale. Cette vision court-termiste s’est accentuée avec la crise économique de 2008 et la mise en place en 2010 du « semestre européen ». Ainsi chaque année, l’Ondam découle des arbitrages effectués en amont par la commission européenne. L’exercice du PLFSS consiste par la suite à « entrer dans la boite » et le médicament a été dans ce contexte un des leviers facile pour faire des économies ; la « variable d’ajustement » pour tenir les objectifs, d’autant que l’hôpital et la médecine de ville sont des secteurs plus difficiles à mobiliser. La part des médicaments dans l’Ondam est ainsi passée de 14% en 2010 à 11% aujourd’hui et les « budgets médicaments » dans l’Ondam ont très peu augmenté ces dernières années alors que le marché du médicament a progressé de plus de 10% en 2021, pour la première fois depuis 20 ans ! Il y a aujourd’hui un consensus pour travailler sur le long terme en anticipant les progrès thérapeutiques et, au-delà, les besoins sociétaux dont le vieillissement de la population. Il faut sortir de l’annualité budgétaire des PLFSS, d’autant que ces lois ne permettent pas un vrai débat de fond sur les évolutions du système de santé et notamment sur la politique du médicament. Il faut, pour Dominique Libault, se doter de nouveaux outils qui interrogent les besoins mais également les opportunités d’efficience en ayant une vision à moyen et long terme. Pour illustrer l’intérêt d’une approche pluriannuelle, Jean Tirole cite l’exemple des médicaments anti-VHC qui assurent un taux de guérison de 95%. D’un prix élevé au départ, ils génèrent des économies sur le long terme. L’exercice sera d’autant plus nécessaire dans les années à venir, que se profilent à l’horizon des thérapeutiques « one shot » d’un coût extrêmement élevé, comme les thérapies géniques ou cellulaires avec des incertitudes sur leur efficacité à long terme. Des pistes pour améliorer le financement du médicament Comment accroître le financement du médicament ? Si on met de côté une augmentation des restes à charge que les gouvernements successifs ont toujours refusé, plusieurs pistes ont été évoquées. Pour Olivier Bogillot, président de Sanofi France, il faut en amont, investir massivement dans la R&D, comme le font les Etats-Unis et la Chine et accroitre les aides ciblées de l’Etat. « Il faut une politique européenne en faveur de l’innovation » martèle également Jean Tirole qui rappelle que les deux « succes story » européennes dans le Covid, celles d’Astra Zeneca et de BioNTech, sont dues à des entreprises qui ont eu des financements du conseil européen de la recherche. Les industriels sont conscients qu’augmenter le budget médicament sera une tâche difficile dans le contexte post-Covid. La piste d’un fond spécial, permettant de financer, hors Ondam, certaines innovations de rupture comme les futures thérapies géniques, est évoquée par certains. Dans un contexte contraint, Il faudra surtout dégager des marges de manœuvre au sein du périmètre de l’enveloppe de l’Ondam, en améliorant l’efficience globale du système de santé par des innovations organisationnelles ou le recours aux technologies digitales qui peuvent générer des économies. Au final, le juste niveau de la dépense de médicaments relèvera surtout d’un choix politique. La question aujourd’hui posée est celle de la part de la richesse nationale que le pays souhaite consacrer à la santé, alors que nous en sommes déjà à plus de 11%, avec des résultats en termes de santé publique qui ne sont pas meilleurs que ceux des pays qui font avec beaucoup moins ! Pourquoi pas une convention citoyenne sur le sujet, comme l’a évoqué Jean Tirole, avec, il faut l’espérer, plus de succès que celle sur le climat.
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