Psychédéliques : à l’aube d’une révolution ?

16/02/2023 Par Caroline Guignot
Psychiatrie
Prohibé dans les années 1970, cette classe de psychoactifs fait son retour depuis un quart de siècle. Derrière l’image d’Epinal, les recherches sur cette classe thérapeutique ouvrent des perspectives intéressantes.

Les psychédéliques, utilisés depuis des millénaires à des fins thérapeutiques et rituelles, rassemblent des molécules agonistes sérotoninergiques via le récepteur 5HT2A, qui ont des effets psychoactifs. Les plus connus sont la psilocybine(principe actif des champignons hallucinogènes), l'acide lysergique ou LSD, la DMT ou la mescaline. Depuis les années 1990-2000, ils font l’objet d’une recherche clinique émergente. Actuellement, ils sont utilisés dans le cadre d’études sur la psychothérapie assistée, permettant la potentialisation entre pharmacologie et psychothérapie : le patient est accompagné durant la prise, notamment pour éviter les effets secondaires et le bad trip, puis plusieurs sessions de débriefing sont conduites avec le thérapeute. Les études cliniques suggèrent qu’une ou deux prises ponctuelles de psychédéliques peuvent apporter des effets bénéfiques, rapides et durables dans différentes affections psychiatriques. Parmi les premières indications ayant été étudiées figure l'anxiété liée à la fin de vie. L’administration de psilocybine ou de LSD diminue significativement les manifestations anxio-dépressives de patients pris en charge en soins palliatifs. Dans la dépression, plusieurs études ont été conduites en ouvert ou versus comparateur, qui confirment l’intérêt de la psilocybine. Une prise unique serait aussi efficace qu’un traitement de plusieurs semaines par escitalopram. D’autres pathologies psychiatriques font l’objetd’études, comme les troubles addictifs (alcool, tabac), les troubles du comportement alimentaire, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles du spectre autistique et même les symptômes négatifs de la schizophrénie... La plupart des données sont encourageantes.  

Rationnel neurobiologique

Les usagers décrivent la prise de psychédéliques comme l’une des plus importantes de leur vie. Elle dure de quelques minutes à une dizaine d’heures au cours de laquelle le patient a des distorsions visuelles, des altérations de la perception du temps et de l'espace, une sensation de dissolution de l'ego et, souvent, une expérience mystique transcendantale, un vécu esthétique intense avec des visions kaléidoscopiques. Sur le plan neurobiologique, les psychédéliques auraient un effet favorable sur l'humeur en diminuant la réactivité de l'amygdale, se traduisant par une moindre distinction des émotions négatives. Ils auraient aussi un effet direct sur des neurones pyramidaux impliqués dans la combinaison entre la perception sensorielle et nos interprétations ; en levant le filtre que constitue ce travail combinatoire, les psychédéliques permettraient d’avoir une interprétation neutre des évènements. Dans la dépression, ils moduleraient la connectivité du réseau du ‘mode par défaut’, active dans la rumination liée à la maladie. Enfin, l’augmentation de la plasticité cérébrale par synaptogenèse, qui est observée par imagerie après prise de psychédéliques, favoriserait une meilleure flexibilité mentale et créerait un terrain propice au travail psychothérapeutique. Restent quelques controverses et questions en suspens : certains doutent du rôle véritable du psychédélique dans le cadre d’une psychothérapie. D’autres s’inquiètent de la survenue d'effets secondaires graves (décompensations psychotiques, addictions), même si ceux-ci n’ont pas été observés pour l’heure. Quant à l’état de vulnérabilité des patients lors de la prise, il invite à envisager une pratique encadrée pour éviter toute dérive. « Cela permettra aussi de protéger les patients, et d’éviter de répéter l'histoire de la prohibition de ces molécules, et de retarder à nouveau la recherche dédiée », a conclu le Dr Lucie Berkovitch (Etats-Unis).

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