Longtemps négligés, les impacts sanitaires du réchauffement inquiètent sérieusement les experts de la santé mondiale. De manière marquée depuis la COP21 de décembre 2015, qui a débouché sur l’Accord de Paris, la santé est même considérée comme un des principaux leviers pour persuader la société et les politiques d’agir plus résolument.
Parmi les menaces les plus évidentes, les vagues de chaleur. Considérée comme exceptionnelle il y a 20 ans, la canicule de l’été 2003, à l’origine d’un excès de près de 15 000 décès en France, est en passe de devenir la norme. Au niveau mondial, la moyenne de mortalité annuelle liée à la chaleur, chez les plus de 65 ans, a d’ailleurs crû de 53,7% au cours des 20 dernières années (1).
La santé menacée de toutes parts
De même, les évènements climatiques extrêmes, tels que les incendies de forêt, les sécheresses, les inondations et les tempêtes, se font plus courants, avec des effets majeurs attendus sur la santé. A quoi s’ajoutent les menaces sur l’alimentation (baisse des rendements agricoles), la recrudescence d’allergies au pollen (en France, leur prévalence a triplé entre 1985 et 2010, notamment en raison de l’allongement des saisons polliniques) et les effets sur la pollution de l’air (en particulier l’ozone, dont la production est accrue par de hautes températures).
Egalement en jeu, le risque infectieux. Début juin, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), a lancé une mise en garde contre l’émergence possible de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, dont l’agent viral est véhiculé par les tiques du genre Hyalomma. Bien présents en Espagne, où une dizaine de cas, dont plusieurs mortels, sont survenus depuis 2013, ces acariens, déjà implantés dans le sud de la France, pourraient peu à peu coloniser l’Hexagone sous l’effet du réchauffement.
La santé déjà impactée, selon deux tiers des généralistes
En première ligne face au tsunami climatique qui s’annonce, la communauté médicale a-t-elle pris la mesure du problème ? La question intéresse de jeunes médecins, dont la Dre Flavia Nunes, généraliste à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), auteure en 2021 d’une thèse sur la place des généralistes face au changement climatique (2). Elle y a sondé 728 médecins généralistes (59,9% de femmes, âge moyen 44,3 ans), interrogés par questionnaire sur leur perception du réchauffement et le rôle qu’ils envisagent de jouer, face à leurs patients ou au sein de la société.
Parmi les répondants, 67,2% estiment que les conséquences sanitaires du réchauffement sont déjà présentes, tandis que 23,6% les prévoient dans un avenir proche (avant dix ans) et que 9,2% pensent qu’elles ne surviendront soit jamais en France, soit dans un futur lointain. Parmi les groupes de pathologies, celles de natures allergique, respiratoire et infectieuse sont celles dont le lien avec le climat leur paraît le plus évident.
Alors que 75% des médecins interrogés estiment que leur profession a un rôle à jouer face au réchauffement, c’est avant tout, et très logiquement, aux côtés du patient qu’il doit s’exercer. Notamment en matière d’éducation des plus vulnérables (face aux pics polliniques, aux vagues de chaleur, etc.), mais aussi de sensibilisation du patient sur les effets du réchauffement sur sa santé.
« Lever la distance psychologique »
S’ils sont globalement conscients du phénomène climatique, nombreux sont les généralistes (62,36%) à se sentir peu, ou pas, informés sur le sujet. Raison probable pour laquelle 60,7% se disent intéressés par une formation sur le sujet. Selon Flavia Nunes, la formation constitue d’ailleurs un élément essentiel : « nous avons vraiment besoin de connaître au mieux les effets du réchauffement sur la santé. C’est grâce à cela qu’il sera possible de lever la distance psychologique » qui, bien au-delà des médecins, constitue un frein à l’action, citoyenne et politique.
Selon le Dr Anthony Delcambre, généraliste à Rostrenen (Côtes-d’Armor) et cofondateur de l’association Alliance santé planétaire, la « mise à distance » du sujet climatique n’épargne pas le corps médical, pas plus que la société dans son ensemble. « Ce n’est pas parce qu’on a fait des études scientifiques qu’on ne présente pas de biais cognitifs, de biais d’optimisme », estime le médecin, auteur en 2022 d’une thèse sur la santé planétaire (3).
Engagé dans le combat climatique, Anthony Delcambre perçoit son rôle aussi bien au niveau collectif, comme lanceur d’alerte auprès des décideurs locaux afin de protéger la santé des habitants, que dans son cabinet pour sensibiliser ses patients. « En ce moment, de nombreuses morsures de tiques sont recensées, j’explique en quoi elles sont liées au changement climatique. Lors des canicules, on peut donner des conseils sur l’hydratation et sur les façons d’éviter la chaleur, tout en faisant le lien avec le réchauffement ». Un travail qui n’a rien de superflu, alors que 37% des Français considèrent que le phénomène est soit inexistant, soit d’origine naturelle.
Watts et al., The Lancet, 9 janvier 2021
« Changement climatique et santé : quelle place pour le médecin généraliste ? Enquête auprès de 728 praticiens français », thèse soutenue en mars 2021 par Flavia Nunes, université Claude Bernard Lyon 1
« La santé planétaire en médecine générale : état des lieux des connaissances et des pratiques des médecins généralistes des Hauts-de-France », thèse soutenue en mai 2022 par Anthony Delcambre, université de Lille
Au sommaire :
- La pollution de l’air, un risque en construction
- Perturbateurs endocriniens : chez les femmes enceintes, les difficultés de la prévention
- Dans la santé, la transition écologique s’affiche enfin au grand jour
- Médicaments : le bon usage pour limiter l’impact environnemental
- L’éco-anxiété, ou le trop-plein de réalité
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