
Combien de généralistes seraient réellement concernés par la régulation de l'installation ?
La commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale examinera ce mercredi 26 mars la proposition de loi du groupe "transpartisan" contre les déserts médicaux dont l'article 1er instaure "une régulation de l'installation" des médecins libéraux. Dans les zones les mieux dotées en médecins, toute nouvelle installation serait conditionnée au départ d'un confrère de même spécialité. Mais combien de généralistes seraient susceptibles de s'installer dans les zones sous-denses si cette régulation était mise en place ? Avec l'aide du Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau (62) et chercheur associé à l'université de Lille, Egora a tenté d'évaluer la portée de cette mesure, jugée contre-productive par la profession.

Que prévoit exactement cette proposition de loi ?
L'article 1er soumet l'installation d'un médecin libéral à "l'autorisation préalable" du directeur de l'ARS. "Si le lieu d’installation du médecin est situé dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins", cette autorisation "est délivrée de droit".
Redoutez-vous le rétablissement de l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires?

Nathalie Hanseler Corréard
Oui
Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus
Dans le cas contraire, l’autorisation d’installation "ne peut être délivrée qu’à la condition qu’un médecin de la même spécialité et exerçant dans la même zone cesse concomitamment son activité".
Le but affiché de cette mesure, "premier pas dans la régulation de l'installation des médecins sur le territoire", est de "flécher l'installation" des généralistes comme des spécialistes vers les zones où l'offre de soins est insuffisante, avancent les auteurs de la proposition de loi. Ces députés estiment qu'elle permettra "à tout le moins, de stopper la progression des inégalités entre [les] territoires". Plusieurs médecins ont déjà dénoncé le possible caractère contre-productif de cette mesure qui est stricto sensu une "interdiction d’installation" dans certaines villes.
Afin d’éclairer nos lecteurs, nous proposons dans cet article d’identifier le nombre de généralistes qui seront concernés par la mesure. Pour cela, nous avons cherché à évaluer le nombre de nouveaux généralistes qui, sur une année, s’installent hors zones sous-denses et hors d’une cessation d’activité concomitante.
Combien de généralistes s'installent en libéral et cessent leur activité chaque année ?
D'après les derniers chiffres communiqués par la Cnam à Egora, 2361 médecins généralistes (MG) se sont installés pour la première fois en 2023. Ce chiffre inclut des MG en exercice libéral exclusif et des MG en exercice mixte (libéral-salarié).
Grâce au relèvement du numerus clausus au début des années 2000, le nombre d’installations a presque doublé entre 2011 (1224 installations) et 2017 (2360 installations). Il stagne depuis, en attendant l’impact vers 2030 de l’augmentation récente du numerus apertus. L'ajout d'une quatrième année au DES de médecine générale devrait cependant générer une chute temporaire du nombre d'installations à partir de 2027 puisqu'aucun MG ne sera diplômé en 2026…
Par ailleurs, ce nombre de 2361 nouveaux MG libéraux installés en 2023 présente deux bémols : tous n'exercent pas à temps plein et tous n'exercent pas en tant que médecin traitant. L'exercice de la médecine générale est en effet très varié : médecine du sport, médecine vasculaire, orientation d’activité en gynécologie ou pédiatrie, médecin coordonnateur en Ehpad, médecin de PMI, etc. Le nombre de MG actifs conventionnés installés depuis plus de 3 ans et ayant au moins 200 patients médecin traitant adultes a diminué de près de 5% depuis 2019 : ils n'étaient que 38 500 en juin 2024.
Au cours l'année 2023, 2484 généralistes libéraux ont cessé leur activité d'après l'Assurance maladie. Malgré la hausse des installations, le solde reste négatif.
Les médecins libéraux pourraient toujours librement s'installer dans 87% des communes françaises
Qu'est-ce qu'une zone sous-dense ?
C'est la question centrale : de cette définition dépendra l'ampleur de la régulation de l'installation mise en place, puisque seuls les médecins désirant s'installer en dehors de ces zones seraient concernés par la mesure.
L'article 1er de la proposition de loi Garot mentionne les zones caractérisées "par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434‑4" du code de la santé publique. Dans la rédaction actuelle du texte, le groupe transpartisan cible donc les zones pour lesquelles des dispositifs d'aide à l'installation des médecins sont prévus : les zones d'intervention prioritaire (ZIP) et les zones d'action complémentaire (ZAC). Ce zonage produit par les ARS est soumis à critique sur le plan spatial (l'échelle est la commune, ce qui est peu pertinent étant donné la mobilité des patients) et temporel (la dernière mise à jour date d’avril 2022).
L'atlas Cartosanté, édité par la Direction numérique des ministères sociaux et sur les données duquel se basent les ARS, permet d'évaluer le pourcentage de communes et, surtout, le pourcentage de la population résidant dans et en dehors de ces zones sous-denses.
Ainsi, pour ce qui concerne les médecins généralistes, en 2024, 39% des 34953 communes françaises étaient classées en ZIP et 48% en ZAC. Concrètement, si la mesure de régulation était mise en place, les médecins libéraux pourraient donc toujours librement s'installer dans 87% des villes et villages français… Les médecins désirant s'installer dans les 4561 communes restantes (soit 13%) le pourraient uniquement si un confrère de même spécialité sur le territoire cessait son activité.
68% de la population réside dans une commune classée ZIP (28%) ou ZAC (40%) et 32% en dehors de ces zones. Sur cinq ans (entre 2017 et 2021), la population a augmenté de 0,8% en ZIP, de 0,8 % en ZAC (+380 000 habitants pour l’ensemble), et de 2,4% en dehors de ces zones (+500 000 habitants).
Combien de généralistes exercent et s'installent en zones sous-denses ?
D'après l'atlas Cartosanté, en 2024, 19% des généralistes libéraux* exerçaient en ZIP, 39% en ZAC et 42% en dehors de ces zones.
Au total, toujours d'après les données ministérielles, au 31 décembre 2024, le bilan est négatif avec une perte de 3333 généralistes libéraux en 5 ans**. La chute est générale, mais elle se répartit ainsi : 35.2% dans les ZIP, 46.3% dans les ZAC et 18.4% en dehors de ces zones.
Si l'on applique ces taux d'évolution, on peut estimer que sur les 2484 cessations d'activité de généralistes enregistrées par la Cnam en 2023, 874 exerçaient en ZIP, 1150 en ZAC et 457 hors zones. Toujours selon ces dynamiques, sur les 2361 généralistes primo-installés en 2023, 831 se seraient installés en ZIP, 1093 en ZAC et 435 en dehors de ces zones.
La perte est ainsi respectivement de -43 (35%), -57 (46%) et -23 (18%) MG libéraux par an dans les ZIP, ZAC et hors zones — malgré l’augmentation de la population et des besoins de santé, notamment liés au vieillissement et à la diminution des autres spécialités (dermatologie, rhumatologie, etc.).
Seuls 435 généralistes seraient potentiellement concernés sur une année
Finalement, la régulation à l'installation concernerait combien de généralistes ?
En résumé, seuls 435 médecins généralistes seraient donc potentiellement concernés chaque année par la proposition de loi Garot, leur autorisation d'installation étant conditionnée au départ préalable d'un confrère – ce qui représenterait l'opportunité pour ces derniers de revendre leur patientèle et/ou d’anticiper leur retraite. Le nombre de médecins en partance étant supérieur au nombre d'arrivants… il y aura de la place pour tout le monde, y compris hors zonage.
C'est sans compter l'effet dissuasif d'une loi qui vise à "interdire l’installation" en misant sur le fait que les médecins libéraux aillent vivre dans des villes qu’ils jugeaient moins attractives pour leur vie personnelle et familiale. Contrariés dans leur choix de lieu d'installation***, rebutés par les démarches, les jeunes généralistes pourraient se reporter sur un exercice salarié, de MG traitant ou non. Partout en France, les postes ne manquent pas.
*Médecins "à expertise particulière" (MEP) inclus, soit homéopathie, acupuncture, ostéopathie, hypnose, sexologie, etc.
**Dont 1700 MEP : un effet du déremboursement de l'homéopathie ?
***Une récente étude de l'Insee a montré le caractère déterminant de la commune d'origine et de la ville où ils ont effectué leur internat dans le choix du lieu d'installation.
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