Egora : Vous avez souhaité déposer cette proposition de loi car vous considérez que les “lois rustines tapent sur les forces vives, les médecins et les paramédicaux”. Qu’entendez-vous par là ?
Yannick Neuder : Le problème de la santé, des déserts médicaux, est entre autres un problème numérique. La capacité de formation des médecins est très dégradée numériquement, on est en dessous du niveau de 1970… avant même que le numerus clausus soit instauré. Pourtant, on a 15 millions d’habitants en plus. Il faut aussi prendre en compte le fait que les médecins d’aujourd’hui ne veulent plus exercer comme avant : le rapport au temps de travail évolue. Je ne le critique pas, c’est une évolution sociétale qui touche tous les métiers, ceux de la santé en particulier. Pour l’instant, avec les effectifs que l’on produit, on ne couvre même pas les départs en retraite puisqu’il faut maintenant deux médecins pour remplacer un retraité. En plus, on n’a pas encore l’impact des baby-boomers, la nouvelle génération de personnes âgées à prendre en charge. Donc, on n'est pas dans les clous au niveau quantitatif. Attention, il y a d’autres éléments à prendre en compte et notamment la question de l’attractivité, ce qui fait qu’on est heureux dans sa pratique professionnelle mais ma proposition de loi, dans le cadre de la niche parlementaire, se concentre sur le nombre.
Votre proposition de loi comporte 14 mesures au total mais seules trois, sur la formation, sont étudiées dans le cadre de la niche parlementaire. Pourquoi en présenter si peu ?
La proposition de loi va être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale prochainement si tout va bien. Mais là, dans ce processus de niche parlementaire, mon groupe politique a décidé d’étudier un certain nombre de projets de loi, dont le mien. Pour cette raison, je l’ai réduit à trois articles qui concernent la formation : les besoins d’un numerus apertus définis par un territoire, le retour en France des étudiants français qui sont partis à l’étranger et l’intensification des passerelles entre professions de santé pour qu’elles soient plus adaptées.
La première mesure vise en effet à garantir une “répartition optimale des futurs professionnels de santé sur le territoire au regard des besoins de santé” et non plus des “capacités de formation” des facultés de médecine. C’est pourtant déjà l’objectif affiché par le Gouvernement qui a mis en place les “objectifs nationaux pluriannuels” et supprimé le numerus clausus... cela ne va pas assez loin ?
Non. Nous avons justement décidé hier en commission des affaires sociales de faire une évaluation de la loi de 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui a créé ces “objectifs nationaux pluriannuels”. Les rapports chiffrés qu’on a montrent que dans la filière médecine, on est loin du compte. On a augmenté les étudiants formés que de… 13%. Ce n’est pas assez ! A l’heure actuelle, il y a moins de 100 000 médecins traitants et le président de la République a lui-même reconnu qu’il n’y en aurait que 80 000-85 000 en 2025, alors idéalement il faudrait presque arriver à un doublement du nombre de médecins formés pour faire face aux enjeux démographiques.
Les facultés, elles, alertent depuis longtemps sur le manque de moyens qui leur sont alloués… et les organisations étudiantes insistent sur l’importance de garantir une formation de qualité.
Il ne s’agit pas de faire des formations low cost, de ne pas entendre les besoins des facultés ni de faire de l’enseignement si on n’a pas de formateurs. Il faut bien définir les besoins du territoire, rendre subsidiaire la capacité des universités. Il faut les accompagner : s’il y a une cohérence entre les besoins du territoire et la capacité de formation de la faculté, dont acte, on met cela en place rapidement. Si ce n’est pas le cas et que l’université manque de moyens, cet article 1 permet de leur en accorder davantage et plus facilement.
Vous voulez donc la fin du numerus apertus...
Oui ! Le numerus clausus n’existe plus mais dans les faits, on a changé de nom et le changement de nom n’a permis qu’une augmentation de 13%. On les prend les 13% de jeunes médecins en plus, bien sûr, mais au vu de la démographie, des départs en retraite, c’est insuffisant. Il faut l’élargir encore plus. D’autant que ça évitera la fuite de nos étudiants à l’étranger, puisqu’on ne peut pas redoubler dans ce système Pass/LAS.
Votre article 2 souhaite justement “encourager l’émergence de médecins en combattant la fuite des cerveaux”. C’est l’une des mesures phare du texte : vous voulez permettre à tous les étudiants français qui sont partis étudier dans les facultés de médecine européennes de revenir en France… Pourquoi ?
On estime le nombre de ces étudiants entre 3 000 et 5 000. 2 000 étudient en Roumanie.
Ces jeunes n’ont pas réussi à faire médecine en France du fait d’un système trop restrictif et donc ils sont partis le faire à l’étranger. Si on n’est pas capables de les récupérer, ils vont aller en Allemagne, en Suisse... Actuellement, on a un système qui marche sur la tête : j’ai des étudiants dans mon propre service de cardiologie qui sont Français, qui ont été refoulés par le numerus apertus, qui sont partis en Roumanie et qui viennent faire leur Erasmus chez moi, à Grenoble, car ils peuvent loger chez leurs parents pendant leur stage. C’est paradoxal et complètement fou !
Les organisations étudiantes, que vous avez rencontrées cette semaine, appellent à la prudence vis-à-vis de cette mesure…
En effet, elles ne veulent pas qu’on mette en place des “filières parallèles” et je les comprends. D’un autre côté, les mêmes quand ils sont installés, après quelques années d’exercice, sont quasiment en surbooking tellement ils ont de l’activité… ils aimeraient qu’il y ait d’autres médecins ! Donc, il faut bien qu’on les forme. Cet article 2 a vocation à gérer un stock : le numerus apertus n'a pas donné d’espoirs à des étudiants alors on va leur permettre de revenir durant leur deuxième cycle. C’est une voie d'atterrissage pour éviter la double-peine.
Mais ce retour aux études médicales en France n’a pas vocation à être pérennisé ?
C’est cela. Comme je le disais, il faut favoriser un stock : il faut que le jour où cette loi est promulguée, le dispositif s’arrête. Tous les étudiants qui sont partis à l’étranger parce que le numerus apertus ne leur permettait pas de rester en France, on les récupère. Mais ensuite, on éteint le dispositif puisque la capacité de formation chez nous aura augmenté. Sinon, effectivement, cela pourrait revenir à organiser une filière à l’étranger, d’où les inquiétudes des organisations étudiantes. Je ne le souhaite pas.
Initialement, ce retour en France n’était pas sans condition… Vous prévoyiez de les faire exercer deux ans dans une zone sous-dotée en contrepartie. Cette mesure a disparu de votre projet de loi ?
On ne l’a finalement pas retenue en commission des affaires sociales, car c’est une mesure de coercition et c’est une rupture d’égalité de traitement. De manière générale, je ne suis personnellement pas favorable à la coercition. C’est une fausse bonne idée : il faut qu’on arrête de taper sur les professionnels de santé qui maintiennent le système de santé à flot. On a un problème numérique, quantitatif, mais quand on aura plus de praticiens, ils s’installeront dans différentes zones. Il faut qu’on arrête d’emmerder les médecins, sinon ils vont déplaquer et changer de job. C’est une vraie menace.
Cette proposition de loi a aussi pour objectif de permettre des “passerelles” facilitées pour que les paramédicaux puissent reprendre des études de médecine. Le texte initial prévoyait d’orienter ces passerelles vers la médecine générale, ce n’est plus le cas ?
Non, on a amendé cette mesure. On pense fortement à la médecine générale mais on avait surtout mis cette mesure pour la compréhension des parlementaires. Je ne peux pas supputer que les étudiants par exemple issus de la filière paramédicale, qui réintègrent un cycle 2, vont effectivement passer le concours de l’internat ou pas. Donc, on pense que c’est à destination des généralistes mais on peut très bien avoir quelqu’un qui est infirmière qui fait la passerelle, qui est en cycle 2 et qui décide de passer le concours pour devenir cardiologue.
Comment concevez-vous cette passerelle concrètement ? Prenons le cas d’un kiné qui souhaite se réorienter vers la médecine.
L’idée, c’est en effet de s’intéresser aux paramédicaux qui sont avancés dans leur cursus, comme les kinés ou les infirmières spécialisées, notamment en anesthésie, en psychiatrie, en puériculture… Tous pourraient être réintégrés dans un niveau plus élevé que la deuxième année.
L’idée, ce serait donc de leur supprimer un ou deux ans d’études ?
Oui ! Il n’est pas question de faire médecine en deux ans. Dans une première écriture du texte, on n’avait précisé qu’il s’agissait d’une “formation accélérée”, mais ce mot a été mal compris. Pour moi, cela voulait simplement dire qu’on ne les renvoyait pas en première année. Le terme “accéléré” a donc été modifié en “adapté et accompagné”. On adapte l'intégration en médecine en fonction du niveau de l’infirmière spécialisée, par exemple.
Vous souhaitez enfin faciliter les stages en libéral…
Oui ! Si on prend plus d’étudiants en deuxième année, on aura nécessairement besoin de plus de terrains de stage. Parfois, les hôpitaux sont surchargés et donc on pourrait s’appuyer sur le libéral pour cela et pour faire découvrir le territoire aux jeunes. Dès le deuxième cycle, on pourrait aussi s’appuyer sur des maisons médicales de territoire, des centres de santé.
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