“Ceci est un appel à l’aide”, écrit le Dr Thomas Pinto sur les réseaux sociaux, le 13 septembre dernier. Assis entre son imprimante et son bureau, le jeune généraliste de 32 ans, installé depuis trois ans à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), raconte son histoire dans une longue vidéo.
“Depuis que j’ai repris le 16 août toutes mes télétransmissions, la Sécurité sociale me récupère des indus… qui sont en réalité de faux indus”, raconte-il. Montant total à prélever : 5200 euros. “Je me suis dit qu’il y avait forcément un problème quelque part”, confie aujourd’hui le généraliste à Egora.
Pour comprendre son histoire, il faut remonter le temps jusqu’à fin décembre 2022. A cette période, le Dr Pinto est victime d’un bug national du système de facturation de son logiciel professionnel. “Toutes les feuilles de soin électronique se sont retrouvées en erreur. Elles ont été produites… mais la caisse ne les a jamais reçues. Le logiciel a communiqué là-dessus, ça a duré plusieurs semaines jusqu’à fin janvier”, se souvient-il. Problème : en attendant, il n’est pas payé… et les patients, pas remboursés.
“Au début, ils ne savaient pas comment gérer ça et puis, heureusement, ils ont fini par trouver une solution au bout de plusieurs semaines. Mais il faut bien imaginer qu’on parle d’énormément de feuilles de soin et de patients.” Cette solution, c’est de transformer “en un clic”, toutes les feuilles de soin en feuilles de soins dégradées. “C’est ça le point de départ du problème. Il faut imprimer deux justificatifs par feuille de soin dégradée pour le remboursement”, précise le Dr Pinto, qui évalue à environ 200 le nombre de ses patients concernés.
“Le logiciel nous a dit qu’effectivement, ça ferait tellement de choses à imprimer qu’il allait voir avec les caisses pour que cette démarche d’envoyer deux justificatifs par feuille de soin dégradée ne soit pas nécessaire, poursuit le jeune généraliste. Le bug était national, connu de tous et au-delà de ça, il y a dans chaque CPAM une personne chargée de veiller sur toutes les problématiques informatiques et de faire le lien avec les éditeurs de logiciels. Elle était forcément au courant dans mon département.” “En février, la CPAM a reçu beaucoup de feuilles dégradées de ma part d’un coup”, assure-t-il encore.
Au mois de février, ses consultations lui sont à nouveau correctement réglées. “Alors qu’en décembre et janvier, j’avais de l’argent qui ne rentrait pas”, souligne-t-il. Le temps passe, jusqu’à son retour de vacances d’été.
“Je suis revenu le 16 août et j’ai trouvé étrange l’état de mon compte. Une grande partie de ma patientèle étant en ALD, la majorité de mes ressources vient directement de la Sécu. Or, je n’avais quasiment plus aucun remboursement qui rentrait…”. Il attend une semaine pour confirmer son constat : “J’ai compris que la caisse se servait dans mes remboursements”. “Quand je regardais dans ma liste de remboursements patient par patient, il y avait des sommes négatives pour chaque donnée. Par exemple, si j’avais 1000 euros, à la fin de la semaine, la caisse me mettait -1000 euros pour récupération d’indus”, s’agace le Dr Pinto.
“J’ai décidé d’interpeller sur les réseaux sociaux”
Assez vite, il fait le rapprochement avec l’affaire du logiciel de facturation. Il se décide alors à appeler sa CPAM, via un numéro générique, qui lui indique qu’il a “une grosse créance” et qu’il ne l’a “pas payée”. “Le problème, c’est qu’on tombe sur une personne certes dédiée aux professionnels de santé, mais qui n’est pas nécessairement formée à nos problématiques précises. Sur un problème comme le mien, c’est un frein…”
“J’ai décidé d’interpeller sur les réseaux sociaux pour tenter de comprendre ce qu’il se passait et aussi pour avoir une réponse claire du logiciel”, raconte donc le généraliste. Le retour de ces derniers le douche : “Ils se sont dédouanés en disant qu’ils n’avaient jamais affirmé qu’il ne fallait pas produire de justificatifs. En insistant un peu, ils ont fini par me dire qu’ils avaient tenté de négocier mais que cela n’avait pas abouti. Moi, je n’avais rien fait car je pensais qu’ils s’en occupaient. J’en étais resté sur le fait qu’ils discutaient avec les caisses”. De l’autre côté, la caisse reconnaît que le problème avait bien été identifié. Elle l’informe également du fait qu’il aurait dû recevoir son avis de créance au mois de juin, “mais ça n’est jamais arrivé jusqu’à moi”, souffle le Dr Pinto.
“J’ai finalement réussi à avoir des gens compétents au téléphone qui ont fini par me dire que le problème avait déjà été identifié avec d’autres praticiens et que je n’avais qu’à produire tous mes justificatifs et que je pourrai toucher mes sous car il y en avait pour une certaine somme”, s’agace-t-il. Sauf que… la CPAM du 93 à laquelle il est rattaché n’accepte pas les mails, tout doit être envoyé par courrier.
Le jeune généraliste s’engage alors dans un marathon d’impressions. “J’ai passé une vingtaine d’heures en cumulé à tout imprimer. Il faut bien comprendre qu’un logiciel n’est pas capable de produire autant de PDF d’un coup et en plus, il fallait imprimer deux justificatifs à chaque fois, sans compter toutes les petites pages… Je pense que je devais imprimer 500 pages au total mais avec toutes les erreurs, j’ai dû imprimer 1000 documents. Et encore, j’ai de la chance, j’avais investi quelques mois auparavant dans une imprimante professionnelle. Si j’avais eu une imprimante classique, j’y aurais passé le double de temps.”
“J’attends beaucoup plus de temps que prévu”
Dans son malheur, le Dr Pinto s’estime heureux d’avoir rencontré une interlocutrice à la CPAM “rassurante”. “Elle est même venue chercher les feuilles au cabinet pour que je n’ai pas à envoyer un énorme courrier”, précise-t-il, insistant sur l’importance de souligner “ce qui va bien”. Mais, alors qu’il se pensait débarrassé du problème… Il reçoit une nouvelle créance. “Entre-temps, visiblement, quelqu’un m’a envoyé à nouveau un courrier sans savoir que j’avais déjà tout imprimé”, ajoute le jeune homme, désespéré. Conséquence : “des feuilles à imprimer, encore et encore”.
“Et vous croyez que lorsque je fais tout ça, je consulte ? Quand je n’étais pas devant l’imprimante ou au téléphone, je devais continuer à prendre en charge mes patients. C’est comme si je travaillais pour rembourser mes dettes, la caisse continuait à se servir”, décrit-il.
Du côté de la CPAM, on le rassure : d’ici un ou deux jours, “tout sera réglé”. “En attendant, on m’a dit d’arrêter de télétransmettre pour éviter que le reste de la somme ne soit prélevé. Finalement, j’ai attendu beaucoup plus de temps que prévu. Je commençais à avoir des appels de patients qui ne comprenaient pas pourquoi ils n’étaient pas remboursés.”
Alors, il décide de relancer le sujet sur les réseaux sociaux. “Ça m'a fait gagner du temps”, reconnaît-il. “Les interlocuteurs que je pouvais avoir au téléphone étaient très gentils mais je sentais qu’il y avait trop de blocages dans leur hiérarchie pour que ça avance. C’est quand j’ai pris conscience de cela que j’ai lancé un appel à l’aide avec une vidéo”, explique-t-il.
“Il y a deux sujets”
Grâce à la vidéo, le dossier du Dr Pinto est géré “sûrement au sommet, car c’est allé très vite”, estime-t-il. “On m’a juste appelé pour me dire que c’était débloqué, je n’en ai pas su plus”. Mais le jeune généraliste garde un goût amer de ce qu’il s’est passé… “Pour moi, il y a deux sujets. Le fait de devoir produire des justificatifs est logique car il s’agit d’argent public. Mais, pendant le Covid, on n’était plus obligés de le faire et ça ne fonctionnait pas si mal…”
“Et puis, continue-t-il, il y a l’histoire du suivi… À aucun moment la CPAM se dit qu’un jeune médecin de 32 ans qui se retrouve avec 5200 euros d’indus, il y a un forcément un problème quelque part ? Soit il gère mal son cabinet, soit il est en difficulté, soit il y a un autre souci… À aucun moment je n’ai reçu de coup de fil. Tout se fait de manière robotisée.”
Il déplore que dans les caisses, l’humain ne soit là “que pour corriger ce qui est fait de manière automatique”. “Personne n’a jugé que les sommes sont à ce point délirantes ou pas cohérentes pour qu’un responsable se penche sur le dossier et appelle le praticien”. Pour imager son propos, le Dr Pinto ajoute que plusieurs jours après que la situation a été solutionnée par la CPAM… il a reçu une nouvelle relance de paiement de sa créance. “C’est bête, cette situation a été gérée de manière individuelle et personne n’a vérifié tout ce qui a été envoyé pour l’annuler si besoin.”
Aujourd’hui, il regrette “des heures perdues pour rien” et un problème de fond qui consiste à considérer le professionnel de santé “systématiquement contre un fraudeur”. “Ma situation est malheureusement classique, c’est le pot de terre contre le pot de fer”, s’amuse-t-il. “Je comprends bien évidemment que les contrôles soient nécessaires et que les instances doivent pouvoir faire leur travail correctement. Je pense simplement qu’il faudrait un système moins automatisé, plus humain”, conclut-il.
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