"Ce plan est le résultat d’une concertation faite très largement auprès des professionnels de santé. J’ai presque envie de dire que c’est un plan pour les soignants par les soignants", a déclaré la ministre déléguée chargée des Professions de santé, ce vendredi, lors d’une conférence de presse. Quatre mois après avoir réceptionné le rapport sur les violences faites aux professionnels de santé – une mission qu’elle avait confiée au Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, et à Nathalie Nion, cadre supérieure de santé à l’AP-HP – Agnès Firmin Le Bodo a présenté les mesures retenues par le Gouvernement pour mettre fin à ce fléau qui touche aussi bien les personnels des établissements de santé que les libéraux.
Chaque année, on dénombre pas moins de 20 000 signalements de violences – atteintes aux personnes ou aux biens – à l’encontre de professionnels de santé. En ville, l’Ordre des médecins a reçu en 2022 plus de 1200 signalements de ce type, en hausse de 23% par rapport à l'année précédente. D’après une enquête menée par l’Ordre infirmier, datant de mai 2023, 66% des infirmières déclarent avoir été victimes de violences dans leur exercice professionnel et 73% en ont été témoins. Des chiffres qui, bien que déjà alarmants, sont probablement largement sous-estimés, selon la ministre déléguée, qui déplore un faible taux de signalement.
C’est pour casser cette "spirale" que la ministre a lancé des travaux destinés à améliorer la sécurité des soignants. Un "enjeu majeur", d’autant plus dans un contexte de pénurie médicale et paramédicale. "Ça ne doit pas être un frein à l’engagement et à la volonté de certains de s’engager dans les métiers de la santé parce qu’ils ‘seraient’ devenus dangereux." Le plan interministériel qui résulte des concertations qui ont eu lieu ces derniers mois comporte 42 mesures. Celles-ci s’articulent autour de trois axes majeurs : sensibiliser les Français et former les soignants ; sécuriser les lieux de soins ; et accompagner les victimes de violences.
"Nous espérons qu’avec toutes ces mesures les violences vont diminuer", a déclaré Agnès Firmin Le Bodo. Car "il est inacceptable que ceux qui nous soignent soient agressés".
Des cours pour gérer l’agressivité des patients en fac de médecine
Premier objectif de ce plan : sensibiliser les Français et former les soignants, afin d’éviter les situations de tensions. "Sensibiliser, c’est faire comprendre à nos concitoyens que la tolérance zéro va être de mise", prévient Agnès Firmin Le Bodo. Pour cela, le Gouvernement va lancer début novembre une grande campagne d’affichage, "comme cela existe déjà dans certains hôpitaux", qui portera deux messages essentiels relatifs au respect dû aux soignants et à la nécessité de signaler systématiquement les violences, indique l’avenue de Ségur. "La tolérance zéro, ça commence par l’agression verbale. Nous avons trop accepté le fait que l’agression verbale n’était plus une agression", regrette la ministre déléguée, pharmacienne de profession. Or "on dérape assez vite du verbal au physique et, parfois, du physique à bien pire".
L’exécutif veut aussi améliorer la délivrance d’informations aux patients et à leurs proches lors de leur parcours de soin, en indiquant par exemple le temps d’attente estimé afin de limiter l’incertitude et le stress, comme le fait l’hôpital Bichat (AP-HP). Une autre mesure gouvernementale consiste à "rappeler aux soignants que les principes de base de la politesse et de la pédagogie sont toujours à observer, d’autant plus face à des patients angoissés ou qui souffrent, et pour diffuser les principes de ‘décision partagée’".
Si "certains peuvent le regretter", la gestion de l’agressivité des usagers est par ailleurs "quelque chose qui s’apprend", a-t-elle ajouté. "Plus on peut déceler en amont une agressivité qui monte, plus on peut la contenir et plus on peut éviter des violences." Le plan interministériel prévoit ainsi de former l’ensemble des professionnels de santé à faire face à ces situations, à la fois dans le cadre de la formation continue – en promouvant par exemple les formations relevant de l’orientation pluriannuelle prioritaire de développement professionnel continu "Gestion pratique de la violence et de l’agressivité du patient et de son entourage" de l’ANDPC – mais aussi dès la faculté. Ainsi, il est prévu d’introduire un module dédié en 6e année de médecine par exemple.
L’exécutif veut aussi intervenir auprès des personnels qui gravitent autour des médecins et qui sont parfois confrontés à l’agressivité des patients ou de leurs proches, notamment les assistants médicaux, personnels d’accueil, personnels administratifs, dont la formation doit être consolidée.
La ministre a souligné une "spécificité pour la santé mentale". Le Gouvernement, qui a lancé un brevet de secourisme en santé mentale, entend former "un maximum de soignants et d’accompagnants". Car "une majeure partie des agressions sont dues à des problèmes psychiatriques", a expliqué Agnès Firmin Le Bodo. L’objectif, fixé lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021, de 60 000 personnes formées au secourisme en santé mentale a été atteint en juin dernier, avec sept mois d’avance. La ministre a réaffirmé celui d’atteindre la barre des 150 000 secouristes en 2025.
Bracelets d’alerte
Le deuxième axe du plan consiste à prévenir les violences et à sécuriser l’exercice des professionnels. Il existe, dans ce cadre, "un enjeu autour de la sécurité des bâtiments", a expliqué Agnès Firmin Le Bodo. "De la conception des bâtiments à l’aménagement intérieur des espaces d’accueil ou de soin, il existe des méthodes efficaces pour instaurer une distance entre les professionnels et certains visiteurs véhéments, pour garantir des échappatoires en cas de problèmes ou pour empêcher le public d’accéder à certains espaces", précise le ministère. "Certains services d’urgences n’ont pas été conçus pour accueillir autant de flux, ce qui crée de l’anxiété", constate la ministre déléguée, qui a effectué de nombreux déplacements en vue de l’élaboration de ce plan.
Le Gouvernement veut profiter du Ségur investissement et du plan 4000 maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) d’ici 2027 pour "intégrer les préceptes de la sécurité bâtimentaire aux nombreux projets immobiliers de la santé". Il entend, en outre, conditionner l’accompagnement financier étatique de nouveaux projets immobiliers à l’intégration de ces enjeux de sécurité au cahier des charges. "Il y a aussi une réflexion avec les collectivités locales sur la possibilité de mettre des caméras de vidéo surveillance à proximité des établissements de santé et des maisons de santé", a poursuivi la ministre. Un déploiement qui pourrait se faire grâce au Fonds interministériel de prévention de la délinquance.
Autre priorité : outiller les soignants pour réagir aux violences, notamment ceux qui vont au domicile des patients. "SOS Médecins a mis en place un système de géolocalisation qui permet à la personne qui gère les appels de savoir où est le médecin, et, si ce dernier ne bouge pas au bout d’un certain temps, de pouvoir l’appeler pour savoir si tout se passe bien, a indiqué Agnès Firmin Le Bodo. Mais tout le monde n’est pas géolocalisé et les infirmières libérales et les médecins qui font encore des visites à domicile peuvent se faire agresser", a-t-elle ajouté, citant l’exemple du médecin octogénaire de Nice qui s’est fait rouer de coups au domicile d’un patient en août dernier.
Le Gouvernement veut ainsi mettre à disposition des professionnels qui le souhaitent des dispositifs d’alerte, comme des bracelets avec un petit bouton "qui permettent de prévenir un numéro de téléphone, voire plusieurs, et peuvent aussi enregistrer des situations conflictuelles et difficiles". Ces dispositifs coûtent en moyenne 50 euros, a précisé la ministre. Certains établissements, comme l’hôpital André Mignot de Versailles où la ministre s’est rendue plus tôt dans la matinée, les proposent déjà. "Quand on est seul la nuit et qu’une personne en état d’ébriété arrive par exemple aux urgences, ça peut rassurer d’avoir ce dispositif. Je pense aussi aux internes" qui dorment parfois dans les hôpitaux, a déclaré la ministre.
Le plan prévoit un financement de ces dispositifs d’alerte pour les professionnels – hospitaliers et libéraux – qui sont les plus isolés. En revanche, la ministre n’a pas évoqué d’enveloppe dédiée pour équiper l’ensemble des libéraux – "je ne pense pas que le montant soit un frein", a-t-elle expliqué. L’enjeu, pour l’exécutif, est surtout de "faire savoir que ces moyens existent". Les ARS travailleront avec les CPTS pour distribuer ces dispositifs aux professionnels qui le veulent.
Par ailleurs, un kit de communication comprenant des affiches pour les cabinets, des courriers-type à envoyer aux auteurs d’incivilités seront envoyés à tous les soignants libéraux.
Evoqué dans le rapport Masseron-Nion, le déploiement d’agents de sécurité dans les lieux de soins n’a pas été retenu par l’exécutif. "Je ne sais si on doit mettre des agents de sécurité systématiquement dans tous les cabinets", a indiqué la ministre, qui précise qu’ils sont toutefois libres d’investir dans cette solution.
Délit d’outrage pour les libéraux aussi
Enfin, lorsque les violences n’ont pas pu être évitées, le Gouvernement souhaite accompagner les victimes. Cela passe notamment par un renforcement des sanctions pénales à l’encontre des agresseurs. L’exécutif prévoit de créer un délit d’outrage pour le libéral – jusqu’ici réservé aux personnes chargées d’une mission de service public à l’hôpital. "Nous avions peut-être du retard sur l’accompagnement du secteur libéral", a reconnu Agnès Firmin Le Bodo. C’est "un acte fort" pour la ville, mais qui nécessite "un passage par la loi", a-t-elle poursuivi. La pharmacienne de profession espère aussi que cela aura un effet dissuasif. Par ailleurs, le Gouvernement veut promouvoir les protocoles de "traitement accéléré par délégué du procureur de la République pour les outrages".
Le plan prévoit également une aggravation de la peine pour vol de tout matériel médical, et d’étendre aux hôpitaux l’aggravation des peines pour les faits de violences entraînant une ITT.
Porter plainte
Pour qu’il y ait une réponse pénale, il faut toutefois que les "signalements" et les "dépôts de plaintes" soient "systématiques". Or, les soignants ne signalent pas suffisamment. En particulier les libéraux – plus isolés. Si l’Observatoire national des violences en santé (ONVS) est habilité à recueillir les signalements des libéraux depuis le 1er janvier 2023, il n’en a dénombré que "470" pour le moment. "C’est très timide", reconnaît un représentant de l’observatoire, placé au sein de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). "C’est une culture à développer." Le plan prévoit qu’un travail de collaboration avec les ordres professionnels soit réalisé pour "une synergie des systèmes de déclaration".
Il est par ailleurs prévu de conventionner avec les Ordres pour que ces derniers assurent l’identification d’un professionnel remplaçant "lorsqu’un soignant refuse de retourner au domicile d’un patient".
A l’hôpital aussi, on craint souvent "les représailles", a observé la ministre déléguée chargée des Professions de santé lors de ses déplacements. Ainsi, le Gouvernement souhaite permettre au directeur d’un établissement de se joindre à la plainte d’un agent agressé ou menacé. "Une demande du terrain" qui, là encore, doit passer par le pouvoir législatif. "L’idée, c’est d’aller assez vite pour que ces mesures soient effectives le plus vite possible." En outre, "la protection fonctionnelle des agents s’appliquera aux agents de la fonction publique hospitalière", a ajouté Agnès Firmin Le Bodo.
Autre mesure figurant dans le plan : systématiser la prise de plainte dans l’établissement, au cabinet ou à domicile pour les soignants victimes de violences.
Enfin, parce "les violences sont toujours un traumatisme", le plan interministériel ambitionne d’accompagner dans le temps les victimes. Il veut ainsi promouvoir les dispositifs de soutien psychologique accessibles localement et systématiser les retours d’expérience auprès des équipes après un épisode de violence. Le Gouvernement promet également d’engager des travaux de recherche sur l’impact des violences sur la santé des professionnels de santé.
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