Installé en libéral depuis sept ans dans un village d’Eure-et-Loir, le Dr Loïc Le Lan, généraliste âgé de 48 ans, a décidé de bloquer la prise de rendez-vous sur Doctolib pour les malades qu’il ne suit pas. Une décision difficile pour ce médecin humaniste qui ne se voyait pas un jour leur fermer la porte au nez et s’efforçait de dépanner du mieux qu’il pouvait. Mais avec une patientèle qui avoisine désormais les 2.000 patients, le rythme était devenu insoutenable, et le praticien ne pouvait plus assurer toutes les consultations des personnes âgées ou atteintes de comorbidités dont il est le médecin traitant. Témoignage. "Il fallait que ça s’arrête", c’était vital. Pour lui, comme pour ses patients. Médecin généraliste installé depuis sept ans à Fontaine-La-Guyon, village de 1800 habitants en Eure-et-Loir, le Dr Loïc Le Lan, a le ton grave. Lui qui n’avait jamais envisagé de refuser des patients a décidé, début octobre, de bloquer ses créneaux sur Doctolib pour les malades qu’il ne suit pas. Depuis plusieurs mois, en effet, la situation était devenue incontrôlable, les habitants des villages alentours accourant devant son cabinet, faute d’avoir pu trouver de praticiens disponibles plus proches de chez eux. "J’ai une patiente qui est venue une fois de Dreux, raconte le généraliste, encore stupéfait. C’est à plus de 40 minutes de mon cabinet ! Elle cherchait un médecin sur Doctolib et j’étais le seul à avoir des créneaux ouverts. C’était une jeune femme qui venait de découvrir qu’elle était enceinte. Ce n’était pas une urgence, mais j’ai été très surpris quand j’ai su d’où elle venait. Je me souviens lui avoir dit ‘Mais qu’est-ce que vous venez faire chez moi ?’" L’autre généraliste de sa commune, située à 15 kilomètres de Chartres, avait déjà arrêté de recevoir des non-patients, estimant avoir atteint une limite. A 48 ans, le Dr Le Lan, lui, ne s’y était pas résolu, malgré une patientèle de près de 2.000 patients.
"Dis donc Docteur, ce n’est pas simple pour vous voir !" Comme dans de nombreux territoires, pourtant, le manque de médecins dans les environs s’est fait de plus en plus ressentir : ceux qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, et "les patients débarquent chez [lui] en catastrophe". La tension est donc retombée sur ceux qui sont restés. "Même à Chartres, les nouveaux habitants ne trouvent pas de médecins. Ces derniers sont depuis longtemps surbookés", déplore le généraliste. "J’ai le souvenir d’une formation que nous avait fait un psychiatre qui avait commencé son discours en nous donnant le numéro de la cellule de soutien psychologique pour les médecins, mis en place par le Conseil de l’Ordre, en nous disant textuellement : ‘Les gars, pour les 15 prochaines années, vous allez en chier’. Il nous avait donné les signes du burn-out." Si ce dernier disposait néanmoins toujours d’un ou deux créneaux disponibles dans la journée, la situation a dégénéré récemment lorsqu’un confrère d’un bourg voisin a suspendu ses consultations...
"Il était en arrêt maladie donc, avec ma consœur, nous avons fait pas mal de dépannages : du renouvellement de traitement, du suivi de patients chroniques, etc. Puis il a repris le travail et une collaboratrice, tout juste thésée, est venue s’installer avec lui. Pendant presqu’un an, elle nous a pas mal soulagés avec ma collègue, en récupérant quelques patients de ce médecin, qui avait alors repris son exercice. Mais elle avait été claire et avait prévenue qu’elle partirait quelques mois plus tard", explique le Dr Le Lan. Mais depuis que la jeune collaboratrice a quitté les lieux, le praticien de la commune voisine qui travaillait avec elle "n’honore plus ses rendez-vous", constate, impuissant, le Dr Loïc Le Lan. Pourtant, "il continue d’ouvrir ses plages de rendez-vous, donc les patients prennent rendez-vous, mais à 8 ou 9h du matin, le secrétariat les appelle pour tout annuler. Et c’est comme cela tous les jours... Donc on se retrouve coincés." Résultat, sur son agenda Doctolib, la notification "nouveau patient" est de plus en plus fréquente… Trop fréquente. Sur une quarantaine de patients vus chaque jour, 7 sont inconnus au bataillon et "prennent la place" de ceux qu’il soigne depuis parfois des années. "Certains de mes patients demandent des rendez-vous et je ne peux pas les honorer parce que je suis déjà pris. Pourtant, j’ai des patients dont je sais qu’ils ont de gros soucis de santé mais je ne peux plus les prendre." Pour tenter de contenter tout le monde, le généraliste a fini par en prendre plus d’un sur des créneaux réservés aux urgences… pour renouveler des traitements. "Il n’y avait plus que cela de libre."
Les délais se sont donc inévitablement allongés : passant de 3-4 jours à une dizaine de jours. Et les remarques de ses propres patients se sont faites plus nombreuses. "Beaucoup m’ont : ‘Dis donc Docteur, ce n’est pas simple pour vous voir !’" rapporte-t-il, "chagriné". A cette pression s’ajoutait aussi celle d’autres malades qui lui demandaient de devenir leur médecin traitant, désemparés : "Ça me fait mal au cœur de dire non aux gens, surtout à ceux qui sont atteints de comorbidités et nécessitent un suivi médical rapproché. Mais si je ne leur dis pas non, je vais me retrouver complètement débordé et passer à 3.000 patients." "Bien fait pour toi !" C’est donc sans volonté, mais sans autre solution, qu’il a bloqué, début octobre, la prise de rendez-vous sur Doctolib pour les personnes qu’il n’a jamais reçues en cabinet… avec, au fond de lui, un peu le sentiment d’avoir renié ses principes. "Les personnes qui vous harcèlent par téléphone pour avoir un rendez-vous parce qu’ils ont le nez qui coule, on se dit : ‘si j’avais su, je ne l’aurais pas pris’. A côté de ça on a des personnes qui insistent, mais de façon légitime : elles n’ont plus de médicaments, des comorbidités. Le pharmacien les a déjà gentiment dépannées une à deux fois. Mais il arrive un moment où le pharmacien ne peut plus. Et c’est là que ça me chagrine." "On est obligé de faire un choix, un tri. Lorsque ce sont nos propres patients, on peut dire ‘celui-ci peut attendre, ce n’est pas bien grave’. Mais quand on ne les connaît pas, on peut avoir des surprises", ajoute le généraliste. "Par exemple, une patiente du médecin qui se trouvait en arrêt maladie est venue me voir un jour : je lui ai diagnostiqué une récidive de son cancer. Comme on savait que son médecin serait absent un petit moment...
je l’ai récupérée en tant que patiente. Il y a quelques patients que j’ai récupérés comme cela car il n’y avait pas le choix, il y avait urgence." Cette "frustration", le Dr Le Lan avait besoin "d’en parler à quelqu’un". Pas pour se plaindre, pas pour recevoir des éloges, mais pour évacuer cette pression, assure-t-il. Alors le généraliste a décidé de raconter sa situation sur un groupe Facebook où sont réunis des milliers de médecins (voir ci-dessous). Et le moins que l’on puisse c’est que, bien qu’il ne s’attendait à rien, certains commentaires l’ont particulièrement affecté. "J’ai eu un peu tout et n’importe quoi comme retours. Certains m’ont dit : ‘bien fait pour toi, tu n’avais qu’à pas prendre autant de patients !’, ou d’autres, très politisés, pour qui c’est ma faute si je me retrouve dans cette situation."
Celui qui n’est pas syndiqué trouve parfois les réflexions au sujet de l’accès aux soins "un peu réductrices". "Le problème de la désertification est très complexe et multifactoriel (le numerus clausus, les papys boomers, la féminisation de la profession, l’évolution de l’exercice…)", explique le praticien. "Il y a des jeunes qui arrivent : des internes, des remplaçants... L’ennui, c’est que lorsqu’il y a un médecin qui s’installe, 3 partent à la retraite. L’arrivée des jeunes ne comble plus le départ à la retraite de tous les vieux médecins. Ça devient vraiment compliqué", ajoute-t-il.
D’autant que son département manque cruellement d’attractivité et le nombre de jeunes qui s’installent est faible. "Sur tous les internes que j’ai eus, une seule est restée dans le 28 [Eure-et-Loir]. Tous les autres sont partis." Alors quelle solution ? "Je n’en sais trop rien. Je n’ai pas de solution, nous répond-il, constatant, non sans ironie : "Le 28 n’est pas un département très glamour : nous n’avons ni la mer ni la montagne, que des champs de blé et des éoliennes." Faudrait-il ouvrir à un centre de santé à Fontaine-La-Guyon ? "S’il n’y a personne dedans, cela n’a aucun intérêt. Il faut déjà que des professionnels de santé se montrent intéressés pour s’y installer. Combien de structures comme cela sont vides ?" Chaque année, le généraliste, qui garde malgré tout "de l’espoir", organise de fait un séminaire sur l’installation...
pour aider les jeunes médecins à s’installer, leur donner envie. "Cette année, en formation, ils étaient 25. Quand on leur demande : tous veulent s’installer. D’ailleurs, beaucoup veulent exercer en semi-rural ou en rural. La ville, finalement, ça ne les intéresse pas trop. Mais, encore une fois, ils ne sont malheureusement que 25, contre probablement 50 départs dans le même temps." Alors avec l’association JM28 (pour jeunes médecins du 28), il tente de "mettre le grapin sur les remplaçants". "Dès qu’un jeune médecin débarque dans le département, il est contacté." Maître de stage (MSU) depuis plus de dix ans, Loïc Le Lan accueille en ce moment deux étudiants : un interne, dont c’est le tout premier stage et qui tournera dans plusieurs cabinets, et un autre en Saspas* qui réalise ses consultations le jeudi, ce qui lui permet de faire ses visites à domicile pendant ce temps. "Quand je rentre, je fais une bise à mes enfants et je les couche" Mais avec un planning rempli de 9h à 20h, le généraliste est, comme nombre de ses confrères, sur-sollicité, ce qui impacte sa vie de famille. Ses trois enfants "ne voient pas beaucoup papa", regrette-t-il. "Quand je rentre le soir, c’est pour leur faire une bise et aller les coucher." Il était ainsi essentiel de "mettre un stop" : "Sinon on n’arrêterait jamais. Je pourrais mettre des consultations jusqu’à minuit, je suis sûr qu’il y aurait du monde." Depuis qu’il a bloqué la prise de rendez-vous sur Doctolib, "ça redevient un peu plus clame, j’ai moins d’appels et je suis moins sollicité", assure le Dr Le Lan, quelque part soulagé.
Ce rythme effréné du médecin généraliste n’a toutefois pas effrayé sa fille, lycéenne, qui rêve à son tour de porter le stétho. "Ça ne l’a pas dégoûtée", sourit le praticien qui l’encourage à suivre cette voie. "Je ne suis pas encore aigri ou blasé, plaisante-t-il. On fait quand même un beau métier… Je l’aime ce boulot. J’essaie d’ailleurs de transmettre cela aux étudiants que je reçois, internes, mais aussi externes à qui je tâche d’expliquer que la médecine générale, ce ne sont pas que des renouvellements de traitements, que des personnes âgées qui viennent chercher leurs médicaments." *Stage Ambulatoire en Soins Primaires en Autonomie Supervisée
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