Paiement à la qualité : pourquoi les médecins s'en méfient

21/02/2019 Par Aveline Marques

Il y a ceux qui se sentent insultés et ceux qui, au contraire, trouveraient ça "normal". Le paiement à la qualité ne laisse aucun soignant indifférent. Consultés par Agnès Buzyn sur Egora, près de 1400 médecins, infirmières et autres professionnels de santé libéraux ont donné leur avis sur cette proposition phare du rapport Aubert sur le financement des soins. Plus de 78% d'entre eux s'y opposent. Ils nous disent pourquoi.

  "Je n'ai pas fait 10 ans d'études pour être jugé sur ma pratique par d'autres que mes pairs. La médecine est un ART." Pour ce médecin généraliste comme pour plus de 78% des 1379 soignants libéraux qui ont donné leur avis sur le sujet, il est hors de question d'accepter qu'une partie de la rémunération soit basée sur le suivi d'indicateurs de qualité et de pertinence des soins.  

"Des modes de financement à part entière"

  Organisé depuis 2003 au Royaume-Uni, le recueil de ces indicateurs est considéré par la mission Aubert sur le financement des soins comme le "contrepoint indispensable" au paiement à l'acte, qui pousse à la quantité. En France, le modèle n'est autre que celui de la Rosp (qui a succédé aux Capi, en 2012) pour les médecins traitants, et des Ifaq pour l'Hôpital. Le rapport remis fin janvier à la ministre de la Santé plaide pour étendre ces systèmes de bonification à l'ensemble des structures de soins, des professions médicales et paramédicales jusqu'à en faire "des modes de financement à part entière".

Concrètement, 7 à 10 indicateurs, régulièrement renouvelés, seraient définis pour chaque profession et type de structure en concertation avec la HAS, les professionnels de santé et les représentants de patients, en capitalisant sur les travaux internationaux. "Le paiement à la qualité pour le médecin généraliste contiendrait des indicateurs simples sur les facteurs de risques principaux (mode d’alimentation, tabagisme…), faisant une place importante à des indicateurs de prévention primaire. Le paiement à la pertinence, actuellement inclus dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), serait également transformé pour assurer, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, la rémunération des professionnels au regard de leur juste prescription (médicaments, imagerie…) en fonction des caractéristiques de leur patientèle", développe le rapport Aubert.  

"Nous avons un devoir d'efficacité"

  Une partie du paiement -notamment les forfaits de suivi des patients chroniques- sera conditionnée aux résultats ou à l'évolution de ces indicateurs : indicateurs cliniques de processus (pourcentage de patients diabétiques ayant bénéficié d'un examen du pied dans l'année, par exemple) ou de résultats (évolution de l'Hb1ac des patients traités), mais aussi résultats rapportés par les patients en vie quotidienne (Prom's et Prem's). "In fine, les forfaits feront l’objet d’une modulation en fonction des résultats de ces indicateurs (bonus/malus)", suggère la mission Aubert. Mais si 50% des répondants à notre questionnaire jugeraient utiles pour leur pratique de disposer de tels indicateurs, à peine 22% accepteraient qu'ils conditionnent leur rémunération. "Encourager et surtout rémunérer à sa juste valeur un travail de qualité pousserait les professionnels vers le haut et non vers le bas, comme actuellement hélas", estime un masseur-kinésithérapeute. "Nous avons un devoir d'efficacité", rappelle un généraliste. "Je trouverai normal d'être mieux rémunérée parce que je travaille aussi dans une maternité de niveau 3, et que j'assiste régulièrement à des congrès et que je participe à une société savante qui promeut la qualité de l'exercice. Par rapport à d'autres confrères ou consœurs qui n'ont pas cette double casquette", commente un spécialiste. Dans le même esprit, plusieurs répondants ont manifesté le souhait que les actions de formation soient reconnues financièrement comme des gages de qualité.  

Echaudés par la Rosp, nombre de médecins mettent en doute la pertinence des indicateurs qui seront choisis. Ils doivent être "scientifiquement incontestables", "établis par les pairs experts et pas par des administrateurs soucieux de rentabilité", "propres à chaque spécialité" voire "à chaque zone démographique", insistent les professionnels.  

"J'ai d'excellentes "notes" de la CPAM"

  "L'exemple actuel de la Rosp, bourré de mauvais modes de calcul (vaccination grippe de cette année), aboutit à des mauvais résultats, et donc à une mauvaise rémunération, alors que les choses sont bien faites, relève un généraliste. Si de tels indicateurs devaient être mis en place, ils devraient l'être par des médecins pour les patients. Et les modes de calcul devraient être transparents et vérifiables." Mêmes réserves de la part d'une consœur : "J'ai d'excellentes "notes" de la CPAM, une belle Rosp, souligne-t-elle. Je pousse à fond la vaccination antigrippale sur tous les fronts (les + de 65 ans mais aussi femmes enceintes fumeurs BPCO asthmatiques, obèses etc.) et pourtant je n'ai pas de bons résultats parce que les gens en France sont phobiques des vaccins. Ai-je mal fait mon travail ? Aurais-je une Rosp aussi belle dans un autre quartier ?", interroge la généraliste. "Cette Rosp, ça met juste en évidence les extrêmes, les médecins qui s'en fiche des recommandations et oublient qu'ils sont dans un système de santé publique et qu'il faut quand même en respecter les règles même imparfaites. Et les autres, on est tous moyens j'imagine." La perspective d'être rémunéré en fonction d'indicateurs de résultats dépendant des patients inquiète également de nombreux professionnels. "Dans des cas tels que les lombalgies, si les patients ne font d'efforts de leur côté avec des exercices de renforcement quotidiens, leur état s'améliorera moins rapidement que des personnes qui se prennent en charge", souligne un kiné. "Le médecin n'est en rien responsable lorsque le patient ne fait pas son Hba1c, son fond d'œil, sa consultation de cardiologie, ne répond pas à la demande du médecin d'une exploration spécialisée (MAPA, hemocult, frottis, mammographie), lorsque le patient zappe sa consultation sans prévenir, lorsqu'il ne suit pas son traitement", pointe un praticien. La solution serait alors de baser les indicateurs sur les seules prescriptions des médecins. Mais c'est surtout la menace d'un "malus" en cas de mauvais résultats qui inquiète les soignants. "Ce genre de considération mènera inévitablement à ce que les patients soient 'choisis'. Quelqu'un présentant un cas simple et rapide à traiter sera donc un bonus", commente un kiné. "Prenons un exemple : le vaccin contre le papillomavirus, malgré mon investissement peu de parents l'acceptent pour leurs filles, vais-je les exclure de ma patientèle, pour rentrer les statistiques ?", illustre un médecin. "Certains médecins travaillent beaucoup et n’ont pas le temps de faire la saisie d’indicateurs. Ils ne doivent pas être pénalisés", plaide un spécialiste. "Il semble plus éthique de récompenser le bon suivi de ces 'indicateurs' plutôt que de pénaliser les 'mauvais suiveurs' alors que l'on permet au professionnel le choix de ses méthodes selon ses connaissances", relève un autre répondant. "Aurais-je mal compris l'évolution du système vers une mentalité d'école maternelle type bon-point/image et retenue selon le comportement du médecin ? Accessoirement, qui sera juge des bons ou mauvais comportements en question ?", interroge un généraliste. Et quid de la liberté de prescription ? De la nécessité d'"individualiser les prises en charge"? "Je ne souhaite pas que des enjeux financiers, basés sur des idées technocratiques déconnectées de la réalité de mon métier interfèrent avec ma façon de traiter mes patients", tranche un kiné. "Je devrais surement vous prescrire une IRM/un bilan/des antibio... mais j'ai dépassé mon quota alors je risque de perdre de l'argent si je le fait...", ironise un médecin. "Est ce cette médecine-là dont vous rêvez ? Pas moi."

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