"J'ai essayé de dire la vérité aux Français" : François Braun, ce ministre qui n'était "pas assez politique"
Tout juste un an. C'est le temps qu'est resté le Dr François Braun à la tête du ministère de la Santé et de la Prévention. À Ségur, l'ancien chef des urgences du CHR Metz-Thionville a eu à gérer une succession de crises : des urgences, de l'intérim à l'hôpital, un bras-de-fer avec les médecins libéraux, une triple épidémie hivernale… Plus "technicien" que "politicien", il a tenté de réformer le système de santé "en profondeur", sans toutefois parvenir à convaincre l'opinion publique, ses pairs et l'exécutif, dont il a été évincé le 20 juillet 2022. "Invisible", "pas assez cognard à l'Assemblée"… Pour Egora, celui qui est désormais conseiller à la direction du CHR Metz-Thionville répond aux critiques qu'il a reçues, et expose sa vision du système de santé, dans lequel il a baigné depuis sa tendre enfance. Rencontre.
"Je ne serai pas le ministre des promesses inconsidérées", déclarait François Braun, le 3 octobre 2022, au lancement du Conseil national de la refondation (CNR) en santé, au Mans. Huit mois après avoir quitté l'avenue de Ségur, il estime avoir respecté son serment : "J'ai essayé de dire la vérité aux Français, de leur expliquer qu'ils n'auraient plus un médecin dans chaque village, plus de maternité dans chaque bourg : pas parce qu'on veut faire des économies, mais parce qu'on n'a plus de personnel, qu'il faut du temps pour le former et que ça ne se fait pas en claquant des doigts." Le désormais conseiller à la direction du CHR Metz-Thionville reste persuadé qu'il n'y a "pas de solution miracle" pour améliorer l'accès aux soins dans notre pays, mais qu'on a "des outils". Assis incognito à la table d'une brasserie parisienne, au bord du jardin du Luxembourg, l'ancien ministre de la Santé nous livre quelques réflexions qui l'animent sur la notion de crise du système de santé et sur lesquelles il est en train d'écrire : "Pas un livre, s'empresse-t-il de préciser, en plantant sa fourchette dans un écrasé de pommes de terre baignant dans un jus de viande. Ça ne m'intéresse pas. J'écris simplement quelques chroniques."
Les crises, François Braun les a enchaînées à la tête du ministère durant une année : crise des urgences, de l'intérim médical, clivage avec les médecins libéraux, triple épidémie hivernale, Monkeypox... "On n'arrête pas de dire que le système de santé est en crise. Paradoxalement, je ne pense pas que ce soit le cas. Face à une crise, on peut apporter des solutions simples, un traitement symptomatique. Or on voit bien qu'on a pris des mesures et que ça n'a rien réglé. Ça a été le cas avec le Ségur de la santé. Pourtant, des sommes phénoménales [ont été mises sur la table]." Son attitude, posée, tranche avec l'effervescence du bistrot. "En fait, je pense que le système de santé est en mutation, poursuit-il. Vous ne pouvez pas vous opposer à une mutation, vous devez l'accompagner pour éviter les dérives. C'était tout l'esprit du CNR santé, qui reste une réussite." Vendu en grande pompe par le chef de l'Etat, le CNR santé est, semble-t-il, tombé aux oubliettes. "Je n'ai aucune nouvelle", regrette l'ancien ministre qui l'a porté à bout de bras. "C'était une nouvelle méthode, un nouvel espoir, on a ressorti plein d'idées faites localement qu'on a regreffées à droite à gauche. Mais on est revenus sur quelque chose de très pyramidal…"
De retour à l'hôpital depuis novembre 2023, François Braun assure n'avoir jamais pensé faire "carrière" en politique, aussi courte soit-elle. Président du Samu-Urgences de France depuis 2014 – il était secrétaire général depuis 2002, le médecin a côtoyé les ministres de la Santé successifs. "Mais la politique, c'était très loin de moi." C'est un peu elle qui est venue à lui. En septembre 2018, il est convié à l'Élysée pour la présentation du plan Ma Santé 2022 par Emmanuel Macron. "J'étais surpris de cette invitation. Comme quoi j'avais dû être repéré…", lâche-t-il, rieur. Quelques mois plus tard, en juin 2019, Agnès Buzyn fait appel à lui (entre autres) pour trouver ensemble une issue aux grèves hospitalières. Cela a débouché sur le Pacte de la refondation des urgences, qui n'a pas changé radicalement la donne, concède François Braun. En 2020, lorsqu'arrive l'épidémie de Covid, le chef des urgences de Metz – un territoire très touché – organise le transfert de malades en TGV vers Paris. "L'ARS n'y croyait pas et ne voulait pas qu'on le fasse, se souvient-il. Un an avant, on avait pourtant fait un exercice de ce type dans le cadre de la capacité de médecine de catastrophe de Paris et de Nancy, et ça fonctionnait." L'opération est rendue possible grâce au feu vert du Président de la République. "J'ai apprécié l'homme et sa capacité de prise de décisions."
Quelque peu admiratif, l'urgentiste accepte d'être l'un de ses trois référents santé pour la présidentielle 2022 (avec Pascale Mathieu et le Dr Sébastien Mirek). Il utilise ses congés accumulés durant la crise sanitaire pour se rendre disponible. "Autour de moi, on me disait qu'on allait forcément me proposer quelque chose, qu'Oliver Véran et Jérôme Salomon avaient été conseillers avant moi, donc... Mais je ne faisais pas ça pour ça", affirme François Braun. Macron réélu en mai, il retourne comme prévu à l'hôpital. Mais pas pour très longtemps.
Tout juste nommée à Ségur, Brigitte Bourguignon lui confie une "mission flash" sur les urgences et les soins non programmés. Challenge accepté. François Braun a quatre semaines pour confectionner une "boîte à outils" afin de soulager les services d'urgence, au bord du gouffre. Il est confiant, il connaît bien le sujet. La médecine, chez lui, c'est une tradition familiale. Son arrière-grand-père était médecin militaire, son grand-père et son père, généralistes, son oncle et son arrière-grand-oncle médecins aussi, et son frère, de deux ans son aîné, a aussi choisi cette voie. Après avoir hésité avec le métier de vétérinaire – un stage "chez le véto de campagne" avait eu raison de sa vocation, "ça n'avait rien à voir avec ce qu'on voyait dans la série télé Daktari !" – le jeune François Braun, élève plutôt "feignant", opte pour un terrain connu. "Contre toute attente", il réussit du premier coup le concours de la première année de médecine à la surprise de ses parents, puisqu'il avait eu le baccalauréat C (scientifique) au rattrapage, rappelle-t-il, amusé.
Une fois engagé dans ses études à la faculté de Nancy, il se passionne pour la médecine d'urgence – "le côté immédiateté de la réponse, voir tout de suite les résultats". "Ce qui n'est pas possible en politique", en convient-il. La spécialité n'existe pas encore, mais l'étudiant ne choisit que des stages pouvant lui être utiles pour pratiquer cette médecine particulière (cardiologie, anesthésie-réanimation…). Sa rencontre avec le Pr Alain Larcan, "figure tutélaire", le poussera à continuer dans cette voie. Ce dernier a créé le service SOS de Nancy, premier service mobile d'urgence et de réanimation. "C'était dans la caserne des pompiers, des internes et des externes comme moi y travaillaient. J'ai découvert une médecine différente." L'étudiant est tellement emballé qu'il redouble volontairement sa 5e année – "je n'ai pas passé mon dernier examen" – pour travailler une année de plus dans ce Smur précurseur. Quelques années plus tard, il s'engage avec le Samu de France*, au sein duquel il défend la création de la spécialité de médecine d'urgence – obtenue fin 2015, ainsi que la régulation médicale "contre les attaques portées par la fédération des sapeurs-pompiers qui voulait récupérer le seul numéro d'urgence". Un bras-de-fer toujours d'actualité. "J'ai toujours été persuadé que ce que l'on faisait en régulation était essentiel." Braun est l'un des deux premiers généralistes** de formation à entrer au conseil d'administration du syndicat - "au départ il n'y avait que des anesth' réa." Il prend la tête de l'organisation en 2014.
C'est sa connaissance du terrain qui séduit le Gouvernement, qui paraît désarmé face à la détresse des urgences à l'approche de l'été 2022. Après avoir fait le tour des hôpitaux durant sa mission, François Braun formule 41 recommandations pour leur permettre de sortir la tête de l'eau, dont la régulation de l'accès aux urgences et la mise en place d'une majoration de 15 euros pour les médecins libéraux effectuant un acte sur demande de la régulation du Samu ou du service d'accès aux soins (SAS) pour un patient hors patientèle. "Tout a été retenu quasiment [par le Gouvernement]", rappelle François Braun, dans son habituel costume noir surplombé d'une cravate à motifs poissons. "Ce n'est pas l'alpha et l'oméga, mais ça a permis de donner un peu d'air à tous ces services" qui étaient asphyxiés. "Content" du travail effectué, l'urgentiste retourne sur le terrain avec l'idée "de mettre en application localement" ses propres recommandations. Il n'en aura pas le temps.
"Je n'imagine pas ce que l'on va me proposer"
À l'issue du deuxième tour de l'élection législative, le 19 juin 2022, Brigitte Bourguignon n'est pas réélue dans sa circonscription du Pas-de-Calais, et démissionne. Un coup dur pour le nouveau Gouvernement, qui doit redistribuer le portefeuille Santé. Le samedi 2 juillet dans la soirée, François Braun reçoit un coup de téléphone de "E. Borne". Il pense aussitôt à un "problème" relatif à la mission flash. "Je n'imagine pas du tout ce que l'on va me proposer", assure-t-il, en remplissant son verre d'eau pétillante. La Première ministre lui offre l'avenue de Ségur sur un plateau. "Stupéfait", l'urgentiste craint "de ne pas avoir les compétences". "Elle me répond que je ne dois pas m'inquiéter, qu'on mettra quelqu'un comme ministre délégué pour m'aider." Malgré cette assurance, le Messin demande la nuit pour réfléchir. "On m'a dit ensuite que ça ne se faisait pas", s'amuse-t-il. Il en parle à son épouse, à ses trois enfants, à son frère, et à son ami Pierre Carli, patron du Samu de Paris. Il faut y aller, lui répond-on.
À 7 heures du matin, il écrit à la cheffe du Gouvernement pour lui dire qu'il est "okay". Puis vient l'attente. Pour penser à autre chose, il fait un Lego – un combi Volkswagen offert par sa femme, "le même que celui qu'on avait quand on est partis en Afghanistan avec mes parents en 1971". "Il y avait encore le rideau de fer, on y est allés par la route, on a dû mettre un mois et demi aller-retour, c'était extraordinaire !" Vers 17h30, il reçoit un SMS de Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), qu'il a connue quand il était référent santé de Macron. Quelque chose du genre : "Bravo, c'est super !" François Braun ne comprend pas, on lui avait pourtant dit que tant que sa nomination n'était pas annoncée, il n'y avait rien de sûr. Il l'appelle. "Elle me lance : 'bah tu es ministre'." Et lui passe son mari, Aurélien Rousseau, alors directeur de cabinet d'Elisabeth Borne. "Il me dit qu'il faut que je sois à Paris demain à la première heure pour la passation de pouvoir." Branle-bas de combat, il attrape une valise, et, le lundi 4 juillet, prend le premier train à 6 heures. Arrivé à la capitale, il patiente à la Maison d'urgence près de la gare de l'est, et à 14h, il est ministre de la Santé et de la Prévention.
"J'avais une vision assez claire des problèmes et des solutions qu'on pouvait apporter", indique François Braun, se définissant plus comme un "technicien" que comme "un politicien". Sans doute la raison pour laquelle Emmanuel Macron l'a choisi pour faire partie du cercle des ministres issus de la "société civile". Sa nomination est saluée par les syndicats de médecins libéraux et hospitaliers, ravis de voir un des leurs accéder à l'avenue de Ségur. Leurs attentes n'en seront que plus grandes. "Ils s'attendaient tous à ce que je règle tous les problèmes en claquant des doigts mais bon, bien sûr que non…" Dès sa prise de fonctions, l'urgentiste est plongé dans un monde dont il ignore encore les codes. "Je suis tout de suite tombé sur deux choses perturbantes. La première, ça a été la loi de sortie de l'état d'urgence sanitaire. J'ai dû aller au Parlement défendre les deux articles ; l'un d'eux a été supprimé. Je ne comprenais pas ce qui arrivait. Il a fallu que je m'y fasse. La deuxième a été le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Je n'y connaissais pas grand-chose", reconnaît-il. Il doit également se retrouver entre les directions et agences appartenant à son ministère (DGS, DGOS, Cnam, Igas, Drees…) – "un bordel". Pour l'accompagner, il s'entoure d'une équipe "superbe".
L'urgentiste est attendu au tournant : le système de santé craque de partout. François Braun veut miser sur des réformes de profondeur. "Quand je suis arrivé, j'ai tout de suite dit 'on va retourner la terre, on va semer, on va attendre que ça pousse – parce qu'il faut du temps, et on commencera à récolter début 2025." Mais des crises urgentes appellent des réponses immédiates. Le nouveau ministre doit d'abord affronter la colère des biologistes, qui s'opposent à la baisse de leurs tarifs prévue dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (1 milliard d'euros d'économies d'ici 2026, 250 millions dès 2023) au nom des bénéfices réalisés durant l'épidémie de Covid. Bien que novice, François Braun se montre "intransigeant", et les laboratoires enchaînent les grèves en novembre, décembre et janvier, dans l'espoir de le faire plier. "Quand je prends une décision, je m'y tiens", affirme-t-il. Il fait preuve de la même détermination lorsqu'il s'attaque, dès l'automne, à l'intérim "cannibale". Malgré une grève intense, il ne revient pas sur l'entrée en vigueur du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires (loi Rist), en mai 2023. "D'autres auraient pu flancher…", reconnaîtra son successeur, Aurélien Rousseau.
À l'automne 2022, s'ouvrent un autre gros volet : les négociations conventionnelles entre les syndicats de médecins libéraux et la Cnam. La partie s'annonce corsée puisqu'un nouvel acteur s'est invité à la table, le collectif Médecins pour demain qui défend un C à 50 euros. Portés par cet élan nouveau, les médecins libéraux sortent dans les rues pour réclamer une revalorisation substantielle de leurs tarifs. Le 1er décembre, lors d'une manifestation devant le ministère, François Braun descend les voir et tente l'apaisement, mais refuse d'abandonner son crédo "de droits et de devoirs". Une forme de trahison pour ses pairs qui le huent sans ménagement. En pleine triple-épidémie hivernale, François Braun doit gérer une fermeture des cabinets à Noël. Le bras-de-fer se solde par un échec des négociations en février 2023. Imputable, selon l'ancien ministre, à la survenue de Médecins pour demain. "Le collectif a embarqué tout le monde et a entraîné les syndicats dans une surenchère qui a fait qu'on ne pouvait pas s'en sortir. Les 30 euros étaient sur la table, on demandait simplement des contreparties pour que ça réponde mieux aux besoins de la population. Plus de 60% des médecins y répondaient déjà."
Un fossé se creuse entre la profession et son ministre. Ce dernier dénonce le "chantage" au déconventionnement, mouvement porté par l'UFML pour faire plier les pouvoirs publics. Et s'agace également des postures des médecins libéraux qui refusent les transferts de compétences alors que leur démographie est en berne : "Quand on dit aux médecins qu'ils ne feront plus toutes les vaccinations, certains me chantent la messe en disant que c'est pendant ce temps-là qu'ils ont un contact privilégié avec le patient – pas à moi !" Les relations s'apaisent quelque peu au moment des débats sur la proposition de loi Valletoux. François Braun prend fermement position contre les amendements visant à instaurer la régulation à l'installation des médecins libéraux, jugeant que cela va "pourrir la situation". Les syndicats le remercient chaleureusement d'avoir fait barrage. La posture est néanmoins jugée "corporatiste" par les associations de patients. Accusations qu'il réfute. "Cen'est absolument pas ça, c'est juste que la coercition à l'installation, ça ne marche pas, martèle ce fils et petit-fils de médecins, trempant ses lèvres dans son expresso. Je ne veux pas qu'on raconte des histoires aux gens."
"Certains veulent la lumière plus que d'autres"
L'ancien ministre l'assure : "[il n'a] jamais pris de positions qui n'étaient pas [ses] convictions". C'est peut-être ce qui lui a fait faux bond, pense-t-il avec le recul. "J'ai peut-être compris trop tard que la temporalité de la santé – longue – n'est pas facilement compatible avec la temporalité politique et sociétale, qui implique des résultats immédiats. Mais pour moi, quand on veut aller trop vite, on fait des conneries. Le meilleur exemple est cette idée de contrainte à l'installation…. C'est très compliqué d'être au milieu des deux", reconnaît le médecin, estimant toutefois avoir "fait le job". Pourtant, les critiques affluent à son sujet. On le juge "trop invisible", "trop lisse". Au travers de la presse politique, on comprend qu'il ne fait pas partie du club ultra select des ministres favoris. François Braun, qui n'a jamais souhaité s'encarter, s'en moque bien. "Vous savez, c'est tout le principe des petites phrases qui, la plupart du temps, sont portées par d'autres ministres pour nuire. Moi je n'ai jamais voulu entrer dans ce jeu", lâche-t-il. "Je ne suis pas très bon pour me vendre."
Pour l'ancien pilier droit de rugby, le manque de "cohésion" au sein de l'exécutif dessert le projet commun qu'il devrait s'efforcer de porter. "Au début je pensais qu'on était une équipe gouvernementale, confie-t-il, admettant avoir sans doute fait preuve de "naïveté". C'était plutôt une troupe de théâtre. Tout le monde joue la pièce ensemble, mais certains veulent prendre la lumière plus que d'autres." François Braun dit n'en avoir que faire. Contrairement "à beaucoup", il écrit peu au Président – seulement quand il le juge indispensable – avec qui il reste néanmoins lié. "Quand il y avait une crise, j'estimais que c'était à moi de la gérer en tant que ministre." Bien que dévoué à sa tâche, le ministre ne semble plus convaincre la Première ministre. Son nom est systématiquement cité dans la presse comme étant sur un siège injectable.
Le couperet tombe le 20 juillet 2023, presque un an pile après son entrée au Gouvernement. Alors que les rumeurs de son éviction vont bon train, le locataire de l'avenue de Ségur déclare sur le plateau du Face-à-face de BFMTV et RMC être "au travail". "J'ai beaucoup de dossiers sur mon bureau et je continue de les traiter." Face à nous, l'ancien ministre confirme n'avoir eu aucun pressentiment. "Je ne pensais pas à ça." Dans l'après-midi du 20 juillet, Elisabeth Borne lui apprend par téléphone qu'il va devoir quitter le Gouvernement. "Elle m'a dit exactement la même chose qu'à tous les autres ministres… Pas assez cognard à l'Assemblée et face aux médias. Honnêtement, j'ai senti que c'était un prétexte, mais peu importe, je ne pense pas avoir démérité", juge-t-il, assurant ne ressentir "aucune animosité". "J'ai pris ça comme un travail. Je savais que c'était à durée déterminée. Si l'on considère qu'il faut que je parte, je pars."
La nouvelle avalée, il se rend avenue de Ségur et réunit ses troupes – déjà à fleur de peau – pour leur annoncer. "Pour l'équipe, c'est terrible, c'est très brutal. Du jour au lendemain, ils n'ont plus rien. Ils sont effondrés", raconte-t-il encore marqué par la détresse de ses anciens collaborateurs. "On nous donne des disques durs si on veut garder certains fichiers. Puis tous les documents sont mis au pilon. Et les gros containers font leur entrée dans le couloir. C'est violent", poursuit-il. À l'époque, ses collaborateurs reçoivent "un seul SMS pour leur dire que comme on est le 21 [juillet], on leur retirera les jours manquants de leur salaire", indique l'ancien ministre. Il cède sa place à Aurélien Rousseau, qui "a l'intelligence et la connaissance du terrain", dans un contexte toujours tendu.
Après une année de crises successives, vient pour lui l'accalmie. "Le rythme de ministre était très intense. Pas plus que dans un service d'urgences, mais c'était continu. Je n'ai quasiment pas pris de congés. Là j'ai dit je respire." Les membres sortants du Gouvernement sont rémunérés encore trois mois après leur départ, le médecin en profite donc pour "ne rien faire", balayant cependant les "fantasmes sur les avantages des anciens ministres" – "Je viens de payer la taxe d'habitation de l'appartement de fonction dans le ministère !". "J'ai profité de ma famille, j'ai fait des randonnées en montagne." Pas de Lego cette fois : "Ça je les faisais un peu tous les soirs quand j'étais en poste avant de dormir, sourit-il. Mes copains m'avaient offert pour mes 60 ans le Millenium Falcon grand modèle. Je venais d'entrer au ministère."
Rapidement, le directeur général du CHR Metz-Thionville le contacte pour lui proposer un poste de conseiller. "Paradoxalement, on n'a pas tant de possibilités que ça quand on est ancien ministre, la Haute Autorité de santé vous empêche beaucoup de choses." François Braun accepte volontiers la proposition du DG de son ancien hôpital, sa "maison" comme il l'appelle. Depuis novembre, date de sa prise de fonctions, il est chargé de faire le lien entre les différents acteurs du territoire (médecins libéraux, cliniques, les transfrontaliers et, bien évidemment, le CHR). "Je mets en application sur le territoire des choses que j'ai promues quand j'étais ministre : la collaboration public-privé, ville-hôpital…", explique-t-il avec enthousiasme. "Je suis très content de ce que je fais."
En parallèle – et un peu dans l'ombre – l'ancien président du Samu-Urgences de France a repris un poste de médecin régulateur au 15. Quand on a œuvré trente ans de sa vie pour faire reconnaître la régulation médicale à sa juste valeur, "ça manque", reconnaît-il, l'œil brillant. "Je ne me sentais pas de retourner aux urgences ne serait-ce que pour ne pas avoir à répondre à 50 000 questions de la part des patients", confie-t-il. La chefferie de pôle urgences a entre-temps également été confiée à quelqu'un d'autre. "Il était hors de question que je revienne en disant : 'me revoilà, poussez-vous'." Son retour a été perçu "avec inquiétude par certains", mais globalement, "j'ai eu un très bon accueil de mes anciens collègues", se satisfait le conseiller. Pas question toutefois de retourner au Samu Urgences de France : "il s'est développé sans moi, et c'est tant mieux."
*devenu Samu-Urgences de France en 2010
**il est reconnu urgentiste
Le jour où… il est intervenu sur les lieux de l'attentat de Charlie Hebdo
Nous sommes le 7 janvier 2015. Patrick Pelloux, de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Pierre Carli, patron du Samu de Paris, Jean-Pierre Courtier, médecin chef de la brigade des pompiers de Paris, et moi-même devions nous retrouver à la Maison des sapeurs-pompiers, boulevard Richard Lenoir, à Paris, pour discuter de cette histoire de numéro [d'urgence]. Pierre Carli était de garde la veille, il était crevé. Il m'a appelé pour me dire qu'il rentrait se coucher et qu'il nous rejoindrait dans l'après-midi pour une autre réunion. Nous avons maintenu le rendez-vous du matin à 3. En pleine réunion, Patrick Pelloux, assis à côté de moi, a reçu un appel, et est sorti. Quand il est revenu, il nous a dit 'Charlie Hebdo, ils se sont fait tirer dessus à la kalache'. Tout le monde s'est levé. On était à côté. On est descendus. Patrick Pelloux était à moto, il a emmené Jean-Pierre Courtier. Je suis parti en courant. Je suis tombé sur le policier qui s'est fait tuer sur le boulevard au moment où l'équipe du Smur arrivait. Je suis arrivé à Charlie Hebdo un peu avant le premier véhicule de secours (VSAV). Je vous passe les détails. Tout le monde était mort. Patrick Pelloux était tétanisé, c'étaient tous ses potes. On s'est enfermés dans le bureau d'une entreprise à côté en attendant que la cavalerie arrive. J'avais déjà vu l'horreur mais pas comme ça.
Je suis resté toute la journée avec Pierre-Carli du Samu de Paris pour gérer l'évacuation de personnes à l'Hôtel-Dieu pour la prise en charge psychologique. Et j'ai repris le train le soir. Je devais être de garde, mais je l'ai décalée au lendemain. C'est là que j'ai fait un infarctus. Heureusement j'étais à l'hôpital. Finalement j'ai plutôt eu du bol. Jean-Pierre Courtier a eu à gérer l'Hypercacher derrière. Moi comme j'ai eu mon infarctus j'ai été mis en off pendant un mois. Je ne suis réapparu qu'après cela. Sinon, je pense que je serais allé à la marche, et j'aurais été embarqué dans une sorte de réminiscence permanente.
Biographie express :
24 août 1962 : François Braun naît à Belfort
Juillet-août 1971 : il part en Afghanistan en combi Volkswagen avec ses parents
Septembre 1979 : il entre à la faculté de Nancy
23 juin 1989 : il passe sa thèse sur les intoxications à la chloroquine (à propos de 23 observations)
Novembre 1986 - 15 juin 2009 : il exerce à l'hôpital de Verdun, d'abord en tant que PH puis chef de service et chef de pôle
1990 : il intervient en Iran pendant le tremblement de terre en tant que médecin sapeur-pompier avec le détachement d'intervention catastrophe
16 juin 2009 : il devient chef du service des urgences au CHR Metz-Thionville
2 juillet 2022 : François Braun est nommé ministre de la Santé et de la Prévention
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus