Baisse de la rémunération, problèmes de remplacement… "La grossesse reste une pression sur les épaules des femmes médecins"
L'association Donner des ELLES à la santé organisait ce mardi 3 décembre son colloque annuel, placé sur le thème de "l'égalité à l'hôpital", à l'hôpital européen George Pompidou (AP-HP). La question de la parentalité dans la carrière des femmes a été largement abordée dans le cadre d'une table ronde, soulevant de nombreux "freins".
Si les femmes sont "majoritaires dans les métiers de la santé", représentant "80% des métiers du 'care' et 52% des métiers du 'cure' dans le monde hospitalier", force est de constater que "plus les postes sont importants, moins [elles] sont représentées", a déclaré la ministre de la Santé, dans un message vidéo, en introduction du colloque Donner des ELLES à la santé, organisé mardi à l'hôpital européen George Pompidou (AP-HP). Ainsi, "seuls 20% des postes de PU-H sont occupés par des femmes", a ajouté Geneviève Darrieussecq. Des chiffres qui doivent interpeller. "Les femmes continuent d'être confrontées à des barrières invisibles qui freinent leur accès aux postes de responsabilité et donc à la juste reconnaissance de leur travail", a déploré la médecin de formation, appelant à "faire de l'égalité professionnelle à l'hôpital une réalité".
La première édition de ce colloque, qui a eu lieu en 2022, évoquait déjà la question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde de la santé. Pour cette nouvelle édition, plusieurs notions nouvelles ont été abordées, dont la grossesse. Un sujet majeur quand on sait que près d'"une femme médecin sur deux a décalé un projet de grossesse en lien avec sa carrière"*, a rappelé la présidente de l'association, la Dre Marie-France Olieric, gynécologue-obstétricienne et cheffe de service au CHR Metz-Thionville. L'accès "plus difficile" pour les femmes aux postes de responsabilité est sans aucun doute "lié à la représentation qu'on a de la femme, à laquelle on assimile assez facilement la grossesse", a estimé Marie-Noëlle Gérain Breuzard, directrice générale du Centre national de gestion (CNG).
Conséquence : seuls "32% des présidents des commissions médicales d’établissements (PCME) sont des femmes dans les centres hospitaliers, 16% dans les CHU", a-t-elle ajouté. A l'AP-HP, "on est plutôt à 1 femme sur 3 dans des postes à responsabilité", a avancé sa directrice adjointe, Laetitia Buffet. "On compte 35% de femmes cheffes de service et 26% de femmes directeurs médicaux de DMU, l'équivalent de nos pôles." L'énarque l'a reconnu : "le système n'est pas complètement accueillant sur [le sujet de la grossesse]".
"Autant la paternité est valorisée, autant la maternité est sanctionnée, à tous les niveaux, dès l'embauche", a observé Nathalie Pilhes, présidente du collectif 2GAP (Gender & Governance Action Platform) et membre de la commission parité au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. "Il s'agit de la première source de discrimination à l'embauche avant toutes les autres. Toutes les jeunes femmes sont soumises à ce soupçon d'indisponibilité, d'absence de flexibilité ou d'absence d'engagement."
Des congés maternité bien souvent pas remplacés
Réanimatrice à l'hôpital européen George Pompidou et membre du comité Femmir (Femmes médecins en médecine intensive et réanimation), la Dre Caroline Hauw Berlemont a mené une étude, via un questionnaire, auprès de plus de 600 femmes et de plus de 350 hommes médecins "avec l'intention de demander comment était vécue la maternité". Si les résultats finaux ne sont pas attendus avant six mois, les premières données qui ressortent montrent que "la grossesse reste une pression sur les épaules de nos femmes médecins". Ainsi, "37% des femmes médecins disent avoir retardé un projet de grossesse pour raison professionnelle [un peu moins que dans le baromètre Donner des ELLES, NDLR], alors qu'en population générale c'est plutôt 14%. Dans ma spécialité, on dépasse les 40%."
Pour celles qui se lancent tout de même dans un projet "bébé", la conciliation avec la professionnelle est souvent complexe. "Nous constatons que les gardes sont faites jusqu'à, en moyenne, 4 mois et une semaine [de grossesse]. Mais on a 45% des répondantes qui nous disent avoir continué au-delà du 5e mois de grossesse, ce qui semble assez incroyable", poursuit la praticienne, notant qu'il n'existe pas de mention sur le travail de nuit dans la loi : "il est plutôt question de l'aménagement de la répartition des horaires si les nécessités du service le permettent, sur avis d'un médecin du travail et après validation de la direction."
Autre enseignement de ce sondage, "plus de 90% des femmes médecins disent que les congés maternité ne sont pas remplacés". Ce qui est corrélé par les réponses des hommes et chefs de service parmi les répondants. "Et quand on demande aux femmes si elles ont subi le poids de leur absence"**, "plus de 50%" d'entre elles indiquent qu'on leur a fait comprendre ou ont perçu que leur absence était un problème pour le fonctionnement du service. Là encore, les réponses des chefs de service vont dans le même sens. Cela prouve que "ce n'est pas juste une perception des femmes, soutient la réanimatrice. Il semblerait que cette absence liée à la grossesse ait des conséquences pour tout le monde."
Nathalie Pilhes, de la commission parité au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, déplore le "manque d'anticipation" des congés maternité. "La maternité, c'est quelque chose qui s'anticipe. Ce n'est pas un phénomène marginal d'avoir un enfant. […] Or, on a toujours géré cela du point de vue de l'individu, de la femme […] qui cause un dysfonctionnement dans le service... Il y a une carence profonde, dysfonctionnelle, [liée au] fait [qu'on ne prenne pas] ce sujet de façon systémique", a déploré la haut fonctionnaire au ministère de l'Intérieur. Dans d'autres services publics "où il ne peut pas y avoir de rupture", comme dans la gendarmerie, des "renforts" sont mobilisés "dès qu'une grossesse est annoncée". Cela devrait être la norme à l'hôpital, soutient Nathalie Pilhes.
La parentalité, "un frein majeur pour l'indépendance financière des femmes"
D'autres problématiques pèsent sur les soignantes à l'arrivée de l'enfant, souligne Gauthier Martinez, directeur des partenariats santé à la Mutuelle nationale des hospitaliers, qui a interrogé 2000 professionnels de santé et 1000 Français "lambdas" dans le cadre d'un observatoire sur la parentalité. D'abord, "la culpabilité par rapport à la charge de travail qui va reposer sur les épaules des collègues à la suite des absences que l'on va avoir". Il y a aussi un "impact considérable" sur la rémunération des femmes venant de donner naissance, a ajouté Nathalie Pilhes. "Il y a une baisse de rémunération après la naissance d'un enfant, quels que soient les secteurs, de 5 et 40%". Un taux d'autant plus important "dans les secteurs de femmes moins diplômées".
Cet écart de rémunération entre les femmes et les hommes est un sujet "compliqué à prendre dans la fonction publique", a admis Laetitia Buffet. Car il renvoie à la question des "ruptures de carrière liées à la parentalité". "Il faut les éviter", a défendu la directrice adjointe de l'AP-HP, indiquant que l'institution avait lancé une vaste enquête sur le sujet sur la période 2019-2023. "La parentalité reste un frein majeur pour l'indépendance financière des femmes, a également estimé Gauthier Martinez de la Mutuelle nationale des hospitaliers. "C'est souvent celle ou celui qui a la rémunération la plus faible qui s'occupe finalement des enfants pour préserver les ressources du couple. Cet enjeu financier pèse majoritairement sur les femmes. Et il ne faut pas oublier non plus qu'en termes de carrière, ça aura un impact sur leur retraite."
La garde de l'enfant peut également poser un problème pour les soignantes, a avancé Gauthier Martinez. "Tous les hôpitaux n'ont pas de crèche, a expliqué Marie-Noëlle Gérain Breuzard, directrice générale du CNG. Les conventions se sont multipliées avec les crèches municipales qui n'ont pas du tout les mêmes horaires d'ouverture que les crèches hospitalières." Même si les crèches hospitalières sont, "en théorie", "ouvertes à tout le monde", les "critères de revenus" peuvent "parfois modifier la manière dont on appréhende la place en crèche", en l'occurrence pour les femmes médecins.
Quelles pistes d'amélioration ?
Les participants à la table ronde ont aussi proposé des solutions pour répondre à ce sujet majeur. S'agissant de la question du remplacement des congés maternité, la Dre Caroline Hauw Berlemont a expliqué avoir formé un groupe maternité dans la fonction publique "pour essayer de savoir comment ça se passe ailleurs, comme dans les ministères par exemple". "On pourrait envisager la création d'un 'pool' de remplaçants et de remplaçantes avec des avantages à la clé : des avantages de carrière, de salaire, des points retraite, etc." Et d'ajouter : "En médecine intensive et de réanimation, les représentants veulent essayer de faire en sorte de calculer le nombre d'équivalents temps plein (ETP) dans les services en incluant la probabilité des absences parentalité."
Via le questionnaire transmis à plus de 600 femmes médecins et 350 hommes, "une solution plus polémique" ressort également. "Des répondants nous disent 'supprimons certaines missions de soins'", c'est-à-dire fermons des lits. "Aujourd'hui, on ne fait pas ça, ce n'est pas une solution envisagée couramment dans tous les services", a assuré la Dre Hauw Berlemont. "D'autres soulignent aussi la tentation de recruter des hommes plutôt que des femmes…"
Le fait que le congé paternité soit nettement inférieur en termes de durée*** à celui accordé à la mère apparaît également comme un frein à l'objectif d'égalité. "Il est interdit à la femme de donner [une partie de son] congé [postnatal] au second parent", alors qu'il "concerne les deux parents". "Dans certains pays ils ont décidé de mettre cet arrêt en commun", a indiqué Gauthier Martinez. En Norvège, par exemple, souligne Nathalie Pilhes : les deux parents disposent chacun de 15 semaines de congés, auxquelles s'ajoutent quatre autres mois à se répartir entre eux (49 semaines au total).
*chiffre issu du dernier baromètre de Donner des ELLES à la santé
** La question posée était : dans quelle mesure pensez-vous que votre absence ait entraîné des conséquences dans le service ? Les réponses allaient de 1, pour "tout s'est bien passé", à 5, "on m'a fait comprendre ou j'ai perçu que c'était un problème".
*** En France, à l'issue du congé de naissance (d'une durée de trois jours), les pères doivent prendre immédiatement les 4 jours obligatoires de congé de paternité et d'accueil de l'enfant.
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