
Vaccin anti-HPV : la France enfin sur les rails ?
Préconisée depuis 2007, élargie aux garçons en 2021, la vaccination des adolescents contre le papillomavirus humain (HPV) semble enfin décoller en France, après des débuts poussifs. Plusieurs pays observent déjà des bénéfices sur la santé publique.

La France rattrapera-t-elle son retard en matière de vaccination contre le HPV ? C’est ce que suggèrent les chiffres publiés début février par Santé publique France (SPF). Portant sur la population des filles de 15 et 16 ans, ils révèlent une couverture vaccinale de 54,6 % pour au moins une dose chez les premières en 2023 (contre 34,9% en 2019), et de 44,7% pour deux doses chez les secondes.
Lancée à la rentrée 2023 dans les collèges, la campagne de vaccination en classe de 5e, qui concerne filles et garçons de 12 ans, semble aussi porter ses fruits. Toujours selon SPF, 62% des filles nées en 2011 ont reçu au moins une des deux doses vaccinales (en ville ou à l’école), soit 24% de plus qu’avant la campagne. Chez les garçons, le taux de vaccination était de 48%, soit +22%.
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Selon le Pr Claude Linassier, directeur du pôle prévention, organisation et parcours de soins à l’Institut national du cancer, ces campagnes «ont permis de prendre le problème à bras-le-corps. Alors que les chiffres de la vaccination contre les HPV étaient assez décevants, ces premiers résultats sont très encourageants». «C’est encore trop peu, mais cette campagne a entraîné en deux ans une augmentation de la couverture vaccinale qu’on n’avait pas vue en dix ans», commente le Pr Geoffroy Canlorbe, secrétaire général de la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale.
Ailleurs, des couvertures au-delà de 80 %
Objectif de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, atteindre une couverture vaccinale de 80% d’ici à 2030. Si la France en est encore loin, d’autres pays l’ont déjà dépassée. En 2023, la couverture chez les filles de 15 ans atteignait 91% au Portugal, 85% en Espagne. Idem pour les pays scandinaves et l’Australie, tous au-dessus de 80%, et jusqu’à 93% en Norvège. Avec un taux de 86,9% chez les filles de 12 ans en 2017-2018, le Royaume-Uni accuse, en revanche, une forte baisse depuis la crise Covid-19, à 72,9% en 2023-2024.
Dans ces pays, les preuves d’efficacité du vaccin s’accumulent. Début 2024, une étude écossaise révélait qu’aucune jeune femme vaccinée durant l’adolescence n’avait développé de cancer du col de l’utérus, soit une efficacité théorique de 100% (1). Au Royaume-Uni, une baisse de 87% du risque a été observée chez les femmes de 20-30 ans vaccinées à l’âge de 12-13 ans (2). En Australie, les autorités estiment que «ce cancer pourrait cesser, dès 2028, d’être considéré comme un problème de santé publique» si la vaccination et le dépistage demeurent à haut niveau.
En France, la couverture vaccinale semble encore insuffisante pour déceler un quelconque effet chez les jeunes femmes. «Pour l’instant, les pays où l’on observe une réduction du cancer du col de l’utérus sont ceux qui ont rapidement obtenu une couverture vaccinale importante, et qui ont donc assez de recul. Ceci est dû au fait que plusieurs années s’écoulent entre une infection par le virus HPV et un cancer du col de l’utérus», explique le Pr Claude Linassier.
Les racines du retard français
Les raisons du retard français sont multiples. Parmi elles, le lancement tardif de la campagne de vaccination au collège, une initiative prise bien avant dans d’autres pays, ce «qui aurait dû être fait il y a dix ans en France», estime le Pr Geoffroy Canlorbe. Autre cause possible, l’organisation du système de santé, moins incitatif à la vaccination qu’il ne l’est ailleurs.
De plus, il demeure «une réticence vaccinale en France, qui ne s’applique pas qu’au vaccin contre les HPV, rappelle le Pr Claude Linassier. Mais il y a aussi un facteur psychologique : ce vaccin protège contre certains virus HPV qui se transmettent lors de relations sexuelles, et il est difficile pour les parents de se projeter dans cette phase de la vie de leur enfant.»
En 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a prévu la possibilité de recourir à une seule dose vaccinale anti-HPV, schéma qui semble aussi efficace pour prévenir l’infection par le HPV. Objectif de cette stratégie : améliorer la couverture vaccinale dans les pays du Sud. Selon l’OMS, ce nouveau schéma a permis de vacciner au moins 6 millions de filles en plus à travers le monde en 2023, parmi les 57 pays qui l’ont adopté.
Le Royaume-Uni et l’Australie ont eux-mêmes sauté le pas de la dose unique en 2023. Quid de la France ? Selon le Pr Geoffroy Canlorbe, «on continue pour l’instant avec deux ou trois doses [en rattrapage, entre 15 et 19 ans] parce que nous en avons les moyens, et que nous manquons de données quant au bénéfice d’une seule dose sur la prévention des lésions précancéreuses et cancéreuses. Mais il est possible que, au cours des prochaines années, les recommandations passent à une dose».
1. Palmer TJ, et al. Journal of the National Cancer Institute, 7 juin 2024.
2. Falcaro M, et al. Lancet, 3 novembre 2021.
Au sommaire de ce dossier :
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- Asthme : les recommandations de la SP2A
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- Drépanocytose : des nouveautés pour améliorer la prise en charge préventive et curative
- Allergies au lait de vache : attention aux "dangerous bottles"
Références :
D’après les propos des Prs Claude Linassier (Institut national du cancer) et Geoffroy Canlorbe (hôpital de La Pitié-Salpêtrière, Paris).
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