Comment opérait-on la fente labio-palatine au XVIIIe siècle ? Un extrait du Traité des opérations de chirurgie, publié en 1738 nous en apprend plus sur les détails techniques de cette intervention. Le patient était installé sur une chaise et opéré à vif... Cet article est rédigé par le Pr Jean-Claude Nouët, ancien PU-PH et vice-doyen de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP). L'extrait :
Ensuite on prendra l’autre partie de la main droite pour tenir les ciseaux de la main gauche et couper la callosité opposée, faisant en sorte que les deux coups de ciseaux finissent en angle très aigu à la petite fente faite dans l’angle […] Il sera bon de laisser saigner un peu la plaie, pour en dégorger les petits tuïaux. On réunira la division au moyen de la suture dite entortillée, parce que le fil est tortillé en ziguezagues croisées autour de trois aiguilles(2), chacune perçant les deux berges jusque dans la moitié de leur épaisseur. Il est impossible (quelque adresse que l’on ait) de pousser ces aiguilles avec les seuls doigts, quoiqu’ils soient les meilleurs des instruments [sans recourir] à l’instrument auxiliaire dit Porte-aiguille.
Le Chirurgien fera tenir par un Aide les deux lèvres de la plaie exactement unies, et il percera les deux lèvres d’un seul coup assuré, en commençant par l’aiguille du bas. […] Le fil sera de deux ou trois brins de soie cirée. On commencera par l’aiguille du bas et le milieu du fil, qui sera croisé sur l’aiguille au-dessus, et à nouveau sur la troisième, pour redescendre de même façon, pour être arrêté sur l’aiguille du bas par un nœud simple et une petite rosette. On terminera par la pose d’un plumasseau trempé dans le miel rosat en la lèvre et la gencive, puis d’un plumas- seau chargé du même baume sur la suture, recouvert d’un second plumasseau, puis d’une compresse, et l’on soutient le tout par le bandage appelé fronde, en laissant les narines et la bouche libres afin de ne pas gêner la respiration."
(1) environ 2 mm.
(2) En or, car l’acier rouille.
Le décryptage On imagine mal, aujourd’hui, que le bec-de-lièvre ait pu être corrigé aux XVIIe et XVIIIe siècles, tant les douleurs opératoires devaient être intenses. Pourtant, les malades...
et le chirurgien s’y résolvaient, même parfois dans le cas d’enfants très jeunes, pour des raisons fonctionnelles vitales. Le succès de l’intervention tenait à la rapidité et à la précision des gestes autant qu’à la préparation soigneuse de « l’appareil » (linges, pansements et emplâtres) et aux « répétitions gestuelles » préalables avec les aides. Le Traité de chirurgie est un cours pratique de chirurgie, un « script de film » didactique, illustré de gravures explicatives, écrit à l’intention des étudiants. Il détaille l’ensemble des interventions dont l’auteur avait l’expérience. Le chapitre sur le bec-de-lièvre couvre, pour sa part, trente pages.
Particulièrement soucieux de bien faire et d’enseigner à bien faire, René-Jacques Croissant de Garengeot a considérablement amélioré la chirurgie en la fondant sur la mécanique des tissus et en lui appliquant l’attention perfectionniste d’un « artisan » ingénieux et soigneux. Il a inventé ou amélioré nombre d’instruments et de « nouvelles machines propres pour les maladies des os » dont il a dressé un catalogue illustré en deux volumes édité en 1727 : le Traité y fait de fréquentes références. D’autres praticiens contemporains ont aussi marqué la chirurgie, tels Georges Arnaud, Jean-Louis Petit, George de La Faye et surtout Henri-François Le Dran, dit « le chirurgien des Lumières ». L’habileté de ces opérateurs, véritables artisans manuels, l’amélioration réfléchie de leurs techniques chirurgicales et de l’instrumentation sont admirables. Elles contrastent avec la routine assez obtuse et orgueilleuse des praticiens de la médecine du même temps, enfermés dans des dogmes et des traitements archaïques.
Extrait du Traité des opérations de chirurgie
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