"Quand on pénètre un vagin sans consentement, même pour soigner, c'est un viol" : un débat qui "va trop loin" pour les gynécologues
Dre Joelle Belaisch-Allart, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF)
Egora.fr : Le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques recense de plus en plus de témoignages de femmes. Comment les gynécologues vivent cette période où ils sont pointés du doigts et mis sur le banc des accusés ?
Dre Joelle Belaisch-Allart : Nous entendons parfaitement le mal-être des patientes, et je ne vais pas dire que nous en soyons heureux. Nous considérons d'abord que ces plaintes concernent une minorité de gynécologues. L'opprobre retombe sur tout le monde et je ne pense pas que cela concerne 100% des gynécologues. Nous avons quelques enquêtes, notamment celle sur le réseau Aurore de Lyon, qui dit que quasiment 95% des femmes sont heureuses de leur suivi obstétrical et de leur accouchement. Mais nous entendons la souffrance des femmes. Ce qui nous pose souci, c'est l'usage du mot viol pour qualifier un examen médical.
Effectivement, la question de la qualification de viol au sujet d'un examen gynécologique revient sur la scène médiatique avec l'affaire concernant la secrétaire d'Etat Chrysoula Zacharopoulou. Vous dites que le terme "viol" n'est pas approprié. Par quoi le remplacer ?
A titre personnel, je n'aime pas le mot "violence" parce qu'il contient le mot "viol". Par contre, l'absence de bienveillance de certains médecins, la malveillance est peut-être un terme excessif, mais l'absence d'empathie, nous la reconnaissons. C'est pour cela que nous avons créé la charte de l'examen de la consultation gynécologique et obstétricale qui a été publiée en octobre. Nous voulions rappeler qu'il s'agit d'une consultation particulière. Un toucher vaginal ne peut pas être comme une auscultation cardiaque ou la pose d'un stéthoscope sur la poitrine, ça n'a rien à voir. C'est une consultation qui touche à l'intimité des femmes, qui nécessite de la bienveillance et de l'empathie. Nous en avons parfaitement conscience.
D'un autre côté, on ne peut pas accepter cette notion de viol, dans laquelle il y a la notion de menace, de surprise, de contrainte, de violence. Quand une femme va chez le gynéco, elle y va volontairement. Quand la femme se déshabille et monte sur la table d'examen gynécologique, il n'y a ni contrainte, ni menace, ni surprise. C'est là où il commence à y avoir une certaine incompréhension.
Ce qui semble ressortir des témoignages, c'est surtout l'absence de prise en compte de la douleur, le sentiment d'être prise par surprise…
Quand une femme est sur la table d'examen en position gynécologique, comment employer le mot "surprise". Nous avons entendu la parole des femmes et nous avons pris en compte sans protester. Mais là si on proteste, c'est parce que l'accusation de viol visant une femme, cela va trop loin. C'est pour cela que nous avons commencé à réagir. Tous les médecins ont peur. Nous recevons des courriers de membres du Collège qui nous demandent "Maintenant comment on fait ? Est-ce que je dois avoir une infirmière ? Une secrétaire ? Faut-il faire signer un consentement ?"
Que leur répondez-vous ?
Nous leur répondons d'afficher la charte dans toutes les salles d'attente. Il faut que toutes les femmes en aient pris connaissance avant. C'est clairement noté, si elles ne veulent pas être examinées, elles doivent le dire quand elles rentrent en consultation. Il faut demander un consentement oral.
J'ai l'impression qu'au départ ce qu'on fait les associations, c'était très bien. Cela visait à défendre les femmes. Et nous l'avons entendu ainsi. Mais là, ça va trop loin et il y a deux écueils. Le premier, c'est que les patientes qui n'ont jamais eu de problèmes se disent que les gynécologues sont méchants et ne vont plus vouloir y aller. Elles vont donc renoncer aux soins et à la prévention, en particulier du cancer du col de l'utérus. Le deuxième écueil est que les médecins eux-mêmes se disent 'non je ne vais pas toucher la patiente'. C'est ce qu'il ressort des congrès. On examine tous de moins en moins. Or il y a des pathologies où il faut examiner. Sinon, on risque de passer à côté de quelque chose de grave. On craint de voir revenir des cancers du col à un stade avancé. Si on n'ose plus mettre de spéculum ou faire des frottis, que va-t-il se passer ? On va voir des femmes qui vont saigner lors des rapports. Et quand le cancer du col est dépisté par un signe clinique, c'est beaucoup plus grave et l'espérance de vie est nettement plus faible.
Nous disons donc aux usagères, attention, vous êtes peut-être allées trop loin. On vous a entendu, c'est bien, il y a eu une prise de conscience de la profession. Mais n'accusez pas de viol. Il faut arrêter d'utiliser ce mot. On voit bien en politique que dès que l'on voit détruire quelqu'un, on l'accuse de viol. Accuser de viol une femme, c'est trop.
Comment expliquer toutes ces plaintes de femmes ?
Nous n'avons pas d'explications et nous pensons qu'il faut un débat de société sur ce sujet. C'est l'objet de notre manifeste publié dans le Journal du Dimanche. Il faut un débat avec les avocats, les magistrats, les juristes, avec le corps médical, et pas seulement les gynécologues, et bien entendu, au premier rang, avec les patientes.
Nous avons besoin de ce débat pour sortir de la notion qu'un examen médical peut être considéré comme un viol.
Le président de l'Ordre propose un consentement écrit avant les consultations, qu'en pensez-vous ?
Nous avons écrit dans la charte qu'il valait mieux un consentement oral. Si le Conseil de l'Ordre est favorable à un consentement écrit, et qu'il faille en arriver là, il va de soi qu'on le fera. Mais je crains que cela ne veuille pas dire grand-chose. La patiente pourra dire : "Je n'avais pas compris qu'il s'agissait de ça…" Je pense que...
les maîtres-mots sont le dialogue et l'explication. Et ça n'est pas toujours facile actuellement.
Le message a-t-il été assez entendu par les professionnels ? Est-ce enseigné dans les facultés de médecine ?
Oui, c'est enseigné dans toutes les facultés alors que ça n'était pas le cas lors de ma génération. Les choses ont complétement changé. Il y a désormais des jeux de rôle par exemple.
Craignez-vous que ce climat décourage les étudiants à s'engager dans cette spécialité ?
Nous sommes déjà dans une situation critique notamment en obstétrique. Les jeunes médecins s'orientent vers une voie où il n'y a pas de gardes la nuit ni les jours fériés, et qui est moins à risques. On forme des gynécos et des sages-femmes mais ils se détournent de l'obstétrique. Je vois des jeunes qui arrivent en larmes parce que la patiente a eu une épisiotomie ou une déchirure. C'est normal que cela arrive. Ça n'est pas possible de travailler quand la femme pense que tout est une violence.
On a le sentiment que les plaintes visent moins les sages-femmes…
J'ai malheureusement beaucoup accompagné une de mes sages-femmes attaquée au Conseil de l'Ordre et qui a été relaxée. Elle en est sortie détruite et elle a abandonné la salle de naissance. On parle un peu moins des sages-femmes, peut-être parce qu'elles sont des femmes, mais l'expérience de la ministre montre qu'être une femme ne protège en rien.
Quelles sont vos solutions ?
Il y a premièrement le débat. Ensuite, il y a des recommandations pour la pratique clinique de l'examen gynécologique et pelvien qui vont sortir début 2023, lors de notre prochain congrès. Nous allons ainsi définir dans quelles conditions l'examen est utile. Nous savons déjà tous que quand une jeune fille vient pour une première demande de contraception, si elle n'a aucun problème, on peut lui donner sa pilule sans l'examiner. Nous allons aussi essayer de déterminer dans quelles conditions c'est indispensable, mais non obligatoire, d'examiner.
La charte est toujours très importante. Elle a d'ailleurs été reprise par l'Assistance publique, avec quelques modifications.
Il faut bien-sûr prendre en compte le malaise des femmes mais là nous considérons que les choses sont allées trop loin.
Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole de "Stop aux violences obstétricales et gynécologiques" (StopVOGfr)
Egora.fr : Comment est né ce collectif et depuis quand existe-t-il ?
Sonia Bisch : J'ai créé le collectif en 2017. Nous accompagnons, conseillons et soutenons les victimes de violences obstétricales et gynécologiques. Nous recueillons leur parole et avec leur accord nous diffusons leur témoignage de manière anonyme sur les réseaux. On souhaite que les professionnels de santé puissent avoir un retour sur leur pratique médicale et qu'ils se rendent compte de l'impact qu'ont ces violences de manière concrète sur la vie des victimes et de leur famille. Nous voulons que les victimes n'aient plus honte et que les violences ne soient plus taboues. Le Gouvernement doit mettre en place des mesures (voir encadré). Nous médiatisons des actions. Et nous militons beaucoup pour faire participer les patientes à la formation médicale. Cela existe au Canada depuis 30 ans.
Ça existe aussi en France…
Oui ça existe aussi en France, en addictologie par exemple. Mais ça ne se fait pas encore en gynécologie.
Vous dites que vous médiatisez des actions, que faites-vous concrètement ?
Nous avons par exemple participé à la médiatisation de l'affaire Daraï. Nous avons diffusé des témoignages d'étudiants témoins des violences qu'il aurait commises. En partageant ces témoignages, nous en avons reçu beaucoup d'autres. Ça a fait boule de neige. Il y a actuellement 26 plaintes au pénal contre lui pour viol, viol sur mineur et viol en réunion. Malgré tout ça, il est encore en poste à l'hôpital Tenon. Il a juste été suspendu de ses titres de chef de service et de responsable pédagogique. Il peut toujours opérer et exercer.
Nous militons contre ces violences car nous savons qu'elles ont un impact dramatique sur les victimes. Lorsqu'on en parle autour de nous, on se rend compte que les victimes ne sont pas des cas isolés. Cela concerne beaucoup de femmes.
Combien de témoignages avez-vous recensés ?
Nous avons lancé l'appel à témoignages il y a un peu plus de deux ans et nous recevons en moyenne...
200 témoignages par mois. Nous sommes une quinzaine dans le collectif, toutes bénévoles, et nous sommes débordées.
Comment expliquez-vous cette multiplication de témoignages ? C'est la vague Me too qui s'étend à la pratique médicale ?
En 2014, il y avait déjà le #payetonutérus qui recensait les violences gynécologiques. Les violences vont des propos déplacés au viol, jusqu'aux actes médicaux à vif et au non-respect du consentement.
On constate effectivement le même mécanisme que Me too. Ça n'est pas la libération de la parole, mais plutôt celle des oreilles. Les femmes savent qu'à Stop VOG elles sont entendues, on ne va pas les traiter de chochottes, d'hystériques ou de menteuses. On les soutient sans être dans le jugement.
Que conseillez-vous aux patientes ?
Nous les informons surtout. Nous leur expliquons quels sont les recours et quelles sont les thérapies. Les patientes souffrent souvent d'un stress post-traumatique qui est rarement diagnostiqué par les professionnels qui font du déni sur les violences obstétricales et qui ne connaissent pas les conséquences. Pourtant, il s'agit souvent d'un stress post-traumatique qui est le même que pour les victimes d'attentats de guerre ou d'inceste. C'est pour cela que les victimes parlent de viol. Il n'y a pas d'intention sexuelle à avoir.
Comprenez-vous l'inquiétude du Collège des gynécologues sur l'appellation viol ?
Je vois un décalage entre l'inquiétude et les vies brisées. La première cause de mortalité des femmes l'année qui suit la naissance de leur enfant et le suicide (Insee). Les victimes, elles, ne sont pas juste inquiètes. Elles souffrent de traumatismes de viol. Nous ne savons plus quoi faire pour qu'il y ait une prise de conscience de la profession. Ces violences, ils les appellent comme ils veulent, mais la loi française est claire par rapport à la définition du viol. Ça n'est pas marqué que c'est hors cabinets gynécologiques.
Moi je perçois que dans notre société, il y a un profond respect du médical. J'ai créé ce collectif après avoir subi moi-même des violences à l'accouchement. Et quand on vous répond "vous êtes en vie, votre bébé aussi, de quoi vous plaignez-vous ?" ; on se dit qu'il y a une impunité quasi-totale de ces violences.
Il n'y a encore eu aucune peine pour des violences gynécologiques et obstétricales. Je veux bien qu'ils soient inquiets mais bon…
La question est plus sur le terme de "viol"…
Oui, mais c'est la réalité. Quand les victimes disent qu'elles sont violées, ça n'est pas pour embêter les gynécos. C'est un traumatisme dans leur corps. Il y a cette croyance du côté des médecins que s'ils veulent soigner, ils ne font pas de mal. On peut faire du mal à quelqu'un sans le vouloir. Si pour les professionnels de santé, un vagin ça n'est pas sexuel, il faut rappeler que ça n'est pas leur point de vue qui compte mais celui des patientes. Quand on pénètre un vagin sans consentement, même pour soigner, en se disant "elle ne veut pas mais elle me remerciera", c'est un viol. Le traumatisme du viol est physique. La victime ne se pose pas la question de ce qui se passe dans la tête du professionnel, mais de ce qu'elle vit dans son corps.
Pour la Dre Bellaisch-Allart, une femme installée sur un table d'examen gynécologique est consciente et accepte l'examen…
Le consentement n'est jamais implicite, même si on passe la porte d'un cabinet gynécologique. Sinon en se mariant, on consent à tout. En montant chez un homme, on consent à tout. Et on ne consent surtout pas à une césarienne à vif, à un spéculum mis de manière violente même en hurlant d'arrêter. J'ai l'impression qu'il y a un profond déni, et c'est peut-être lié au sexisme de notre société. Les femmes ne doivent pas se plaindre.
Comment lever les malentendus ?
Il y a une loi française, un code de déontologie, la loi Kouchner de 2002, qu'est-ce qui est si compliqué dans le respect du consentement ? Si une patiente a mal, on arrête. C'est simple. Aucun consentement est implicite. Aucun médecin n'est au-dessus des lois. Les patientes doivent être prises en considération comme des êtres humains. Notre médecine est très technique et elle oublie parfois l'humain. On ne soigne pas par la violence.
Il faudrait aussi que les personnes déviantes puissent être dénoncées par leurs confrères, ce qui n'est aujourd'hui pas possible à cause de la confraternité. Dans le cas du gynécologue d'Antony, il était appelé le "boucher" par ses confrères. Tout le monde savait. Si les médecins arrêtaient de se protéger entre pairs, ça donnerait beaucoup plus de confiance.
Si le Collège des gynécos n'invitait pas le Pr Daraï, visé par 26 plaintes au pénal, dans son grand congrès, ça aiderait aussi les patientes. Le Collège pourrait dénoncer fortement les violences gynécologiques plutôt que de se poser la question sur le viol. Inviter le Pr Daraï, c'est un pied de nez fait à toutes les victimes. Nous ne sommes pas contre la gynécologie ni contre la médecine. Il ne faut pas oublier que les victimes sont des patientes. Les médecins ont peur d'avoir des procès. Pour l'éviter, il suffit juste de respecter le consentement.
Beaucoup le font…
Oui bien entendu, tous les médecins ne sont pas violents. Comme tous les hommes ne sont pas des violeurs. Moi ce qui me pose question, et je reviens encore à l'affaire Daraï, c'est comment se monsieur est encore en poste. Dans quel autre domaine, cela serait possible ? Le pouvoir médical écrase les victimes. Et ces actes sont impunis en France. Les médecins s'inquiètent, ils devraient plutôt s'inquiéter pour les victimes. Le serment d'Hippocrate, c'est d'abord de ne pas nuire. Martin Winckler explique très bien qu'il y a un déséquilibre dans la relation de soins. Aujourd'hui il y a une non prise en compte de la réalité de ces violences. C'est un mauvais message envoyé aux patientes.
1: Enrichir la formation initiale et continue en médecine gynécologique; instaurer des partenariats soignant.e.s / soignées dans l’intérêt de la démocratie sanitaire et de l’humanisation des soins; diagnostiquer et soigner l’endométriose et l’adénomyose en se servant des dernières connaissances scientifiques.
2: Lancer une campagne d’information grand public sur les violences obstétricales et gynécologiques.
3: Sensibiliser les jeunes aux VOG et au parcours de soins gynécologiques.
4: Évaluer le niveau de satisfaction des femmes concernant leur parcours obstétrical et/ ou gynécologique.
5: Créer un numéro vert pour renseigner et accompagner les victimes de VOG.
6: Créer un observatoire de la naissance (incluant la fausse-couche) pour accompagner le changement du système.
7: Améliorer l’accueil des victimes des VOG par les personnels de police et de gendarmerie; former ceux-ci à la réalité du viol gynécologique.
8: Remédier à la pénurie de médecins experts sensibilisés aux VOG auprès des tribunaux.
9: Faire cesser l’impunité des VOG et l’omerta.
10: Suspendre de manière temporaire tout médecin/professionnel de santé visé par des plaintes au pénal.
11: Réformer les Conseils des ordres médicaux en incluant la participation des patientes.
12: Renforcer le droit à l’avortement.
13 : Améliorer la prise en charge et la recherche en matière d’endométriose et d’adénomyose.
14 : Démocratiser l’accouchement à domicile.
15 : faciliter l’accès des sages-femmes libérales aux plateaux techniques.
16 : Favoriser le développement des maisons de naissance.
17 : Démocratiser l’accompagnement en continu des femmes lors de leur accouchement en maternité.
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