"Le seul moyen de valoriser l'expertise du médecin, c'est de faire appel aux complémentaires santé" : pourquoi la CSMF veut créer un Optam pour tous

06/10/2023 Par Aveline Marques
Syndicalisme
À une semaine d’une mobilisation « historique » des médecins libéraux, la CSMF s’apprête à accueillir le nouveau ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, et le président de la Cnam, Thomas Fatôme, à sa 29e Université d’été, qui se tiendra à Arcachon jusqu’au 8 octobre. Alors que la profession, en souffrance, attend avec impatience la reprise de négociations conventionnelles, le président du syndicat, le Dr Franck Devulder, examine pour Egora les perspectives de revalorisation de la médecine libérale, dans le cadre d’une enveloppe toujours contrainte par le « trou de la Sécu ». Pour le gastro-entérologue, il est temps de faire appel aux complémentaires santé, afin de créer un espace de « liberté tarifaire » pour tous les médecins. 
 

 

Egora : Le PLFSS qui sera bientôt examiné à l’Assemblée nationale prévoit un déficit de la Sécurité sociale de 11.2 milliards d’euros en 2024, un Ondam* limité à 3.2% -3.5% pour le sous-Ondam de ville- et plus de 3 milliards d’économies à réaliser. Quelles sont les perspectives de revalorisation pour la médecine de ville dans ce contexte ? 

Dr Franck Devulder : Je salue le courage du Gouvernement qui, pour une fois, ne pénalise pas la ville. Je ne dis pas que l’hôpital n’a pas besoin de financements -c’est une évidence- mais jusqu’ici, on n’a pas donné à la médecine de ville les moyens dont elle avait besoin pour se réorganiser et prendre en charge davantage de patients. Alors que la médecine libérale assure 300 millions de consultations par an -soit 8 consultations sur 10, 80% de l’endoscopie digestive, 60% de la chirurgie et quand même 45% du traitement des cancers du sein par exemple. La ville est la porte d’entrée du système de santé. 

Ce sous-Ondam à 3.5% me donne quelques espoirs… Mais je crains que ce ne soit pas suffisant. Au printemps dernier, avec un sous-Ondam de ville à 2.9%, la Cnam a mis sur la table des négociations conventionnelles 1.6 milliard d’euros… Il manquait 700 millions d’euros par rapport au chiffrage du programme de la CSMF, qui prévoit la hiérarchisation du tarif des consultations, avec la consultation de base à 30 euros et la consultation longue à 60 euros ; la réadaptation des tarifs des actes techniques qui pour nombre d’eux sont au même niveau qu’en 1991 ; de mettre l’accent sur le forfait médecin traitant mais également de créer un forfait file active pour les autres spécialités afin de valoriser les confrères qui, par leur organisation, leur volontarisme, voient plus de patients différents ; et enfin valoriser celles et ceux qui font plus : des urgences, des astreintes, des soins non programmés, de la maitrise de stage… 

Effectivement, le déficit public de la France pour 2024 est abyssal tout comme l’endettement – plus 3000 milliards d’euros. En tant que responsable syndical, je n’écarte pas cela d’un revers de main… Mais arrêtons de faire des économies sur la santé, qui est avec le pouvoir d’achat la préoccupation numéro 1 des Français.  

J’ai parfaitement entendu le ministre de la Santé qui a exprimé sa détermination à non seulement reprendre mais surtout à conclure les négociations conventionnelles. Mais négocier dans ce cadre-là pour la médecine de ville, ce n’est pas possible. C’est pourquoi la CSMF propose la création d’un Optam** pour tous. 

 

« Il faut qu’on accepte que le tout Etat, et le tout Assurance maladie, ce n’est plus possible aujourd’hui avec une population plus nombreuse, plus vieille, plus malade » 

 

Quel serait le principe de cet Optam pour tous ? 

D’abord, on ne touche pas au secteur 2 ; ses conditions d’accès sont parfaitement réglementées, avec des formations initiales et des post-internats de longue durée. Mais je demande l’ouverture d’un espace de liberté tarifaire pour tous les médecins, solvabilisé par les complémentaires santé. Je pense qu’il faut réécrire le pacte social de 1945 qui prévaut à notre organisation sanitaire. Aujourd’hui, on ne peut que constater que le système s’effrite : 11% de nos concitoyens peinent à trouver un médecin, et ce pour moult raisons. La population française est passée de 55 à 68 millions d’habitants en deux générations, en trois générations on a pris 20 ans d’espérance de vie. Cette transition démographique se traduit en transition épidémiologique, avec davantage de malades chroniques. Le métier de médecin n’est plus le même qu’il y a 15 ans, ou même 10 ans.  

On ne peut pas demander à un médecin de prendre en charge un patient polypathologique en étant payé 26.5 euros, ni lui demander de voir 60 patients par jour…  On ne peut s’en sortir qu’en recentrant le métier de médecin sur ce qu’il sait faire de mieux. Il faut valoriser l’expertise du médecin, lui redonner du temps, et des moyens qui lui permettront de s’organiser au mieux avec le concours d’autres professionnels de santé, dans le cadre de protocoles de coopération et de délégations d’actes. 

L’Optam est un contrat qui vous lie avec l’Assurance maladie. Vous vous engagez à effectuer tel pourcentage de votre activité à tarifs opposables et vous avez le droit de majorer vos tarifs de x % sur l’activité restante ; la prise en charge aux deux tiers des cotisations sociales par l’Assurance maladie n’étant valable que pour l’activité à tarif opposable.  

Cela impose premièrement que l’on sacralise les patients les plus fragiles et les médecins qui les soignent et deuxièmement, que les complémentaires santé jouent le jeu. Je les ai rencontrées et elles ne sont pas opposées à ce principe-là, y compris les mutuelles, à partir du moment où elles sont visibles. Cela s’inscrit d’ailleurs dans une politique gouvernementale. Si l’exécutif a fait machine arrière sur le doublement de la franchise médicale, les récentes négociations avec les dentistes ont abouti à un report d’une partie du remboursement des soins dentaires vers les complémentaires santé. Je sais bien que les complémentaires risquent d’augmenter leurs tarifs… mais tout cela se négocie.  

Aujourd’hui, si on ne fait rien, l’accès aux soins de la population française va aller en se dégradant. Ayons ce courage politique. Il faut réinventer le système de santé. Il faut qu’on accepte que le tout Etat, et le tout Assurance maladie, ce n’est plus possible aujourd’hui avec une population plus nombreuse, plus vieille, plus malade. Il ne s’agit pas de mettre à mal la Sécurité sociale, c’est un trésor pour chacun d’entre nous mais aujourd’hui 96% de nos concitoyens ont une complémentaire santé – ce n’était pas le cas en 1945. Le seul moyen de valoriser l’expertise du médecin, d’attirer les jeunes vers la médecine libérale et retenir les plus vieux, c’est de faire appel aux complémentaires santé, aux acteurs privés… mais ça s’encadre. 

 

 

Un certain nombre de médecins facturent d’ores et déjà à leurs patients la consultation à 30 euros. Pour ces médecins, ce tarif semble acté. Est-ce devenu un prérequis à la reprise des négociations ? 

Le ministre et le directeur de l’Assurance maladie eux-mêmes disent que c’est devenu un « totem »… En tant que président de la CSMF, mon message est clair : le C à 30, ce n’est pas négociable et c’est sans conditions. S’il n’y a pas 30 euros, il n’y aura pas la CSMF. Trente euros, ce n’est pas une augmentation : ce n’est même pas le rattrapage de l’inflation depuis la dernière revalorisation de la profession en 2017 ! 

Et de la même façon, s’il n’y a que le 30 euros -comme me le laisse à penser l’Ondam à 3.5%, ce sera non aussi.  

 

Prescription d’antibiotiques par les pharmaciens : « Ce transfert de compétence créé un émoi sans pareil chez les médecins » 

 

Le PLFSS 2024 prévoit d’élargir les compétences des pharmaciens en matière de prescription d’antibiotiques après un Trod positif pour l’angine ou la cystite simple. Quelle est votre position ? 

Ce transfert de compétence créé un émoi sans pareil chez les médecins. Depuis plusieurs années, on leur demande de s’organiser, de participer aux CPTS, de monter des SAS, de mettre en place la régulation, de prendre en charge des soins programmés… Tout cela avec des tarifs indigents. Et voilà que le même gouvernement – puisqu’on a le même Président de la République depuis 7 ans – décide de faire... un virage à 180 degrés. Au mépris de toutes les règles de qualité et de sécurité, on file la prescription aux pharmaciens alors que leur métier, c’est la dispensation. Imaginons que, dans le même état d’esprit, je propose pour des raisons économiques et écologiques que les médecins disposent dans leur cabinet d’une armoire avec les médicaments qu’ils prescrivent le plus souvent ? Comme ça, pas besoin d’imprimer d’ordonnance, pas besoin d’aller à la pharmacie, on économise de l’essence ! Quelle serait la réaction des pharmaciens ? Améliorerait-on la santé des Français ? Non, car la dispensation permet aux pharmaciens d’expliquer et de vérifier l’absence d’interactions. C’est ensemble que l’on fait mieux ! 

La CSMF porte un amendement pour que cette mesure soit autorisée seulement « à défaut d’une organisation territoriale ou d’un médecin disponible ». En cas de cystite un samedi soir à 22 heures, il suffit d’appeler le régulateur et de décrire la symptomatologie et il n’a qu’à regarder votre dossier médical pour vous envoyer l’ordonnance ou mieux, l’envoyer à la pharmacie de garde… À quoi cela sert sinon de développer le DMP et Mon espace santé ? 

Je ne suis pas en train de minimiser le problème mais cette mesure ne devrait être appliquée que là où il y a vraiment des trous dans la raquette. Sinon on donne aux médecins comme signal : « Barrez-vous de vos organisations territoriales ». 

 

L’université d’été de la CSMF cette année est consacrée à la financiarisation de la médecine libérale. Quel est le danger ? 

On voit des acteurs privés qui, dans les établissements de santé, choisissent de ne garder que les activités rentables et écartent celles qui ne le sont pas... Ça soulève deux problèmes. D’abord, on ne peut pas avoir d’activités à perte, que ce soit dans le privé ou le public ; une activité peut être moins rentable qu’une autre, mais elle ne peut pas être à perte. Une fois qu’on a rééquilibré les choses, on ne peut pas tolérer des prises de décision en faveur des activités les plus rentables. On ne peut pas laisser sur le carreau les patients qui, par manque de chances, n’ont pas la bonne maladie. 

Dans son dernier rapport charges et produits, l’Assurance maladie s’intéresse enfin à ce problème de financiarisation. Je ne peux que le saluer. Mais la réponse apportée est la mise en place d’un observatoire… J’ai dit au directeur de la Cnam que le temps que cet observatoire rende ses conclusions, l’imagerie médicale française sera aux mains de fonds de pension et d’investissements étrangers, payés par les cotisations sociales et les impôts des Français mais qui imposeront des règles nouvelles ! Comme les cliniques et les biologistes avant eux, et bientôt le secteur de l’anatomopathologie, qui fait l’objet d’OPA*** extrêmement agressives. 

 

Quelle incidence sur l’exercice des médecins libéraux ?  

Aujourd’hui, pour des raisons affichées de difficultés de recrutement d’infirmières, qui sont réelles, mais aussi -ne rêvons pas- pour des raisons de rentabilité financière, on supprime des vacations de chirurgie dans les cliniques privées. En tant que patron d’une entreprise médicale, vous ne pouvez pas pousser les médecins à accélérer la cadence pour augmenter la rentabilité car le code de déontologie médicale l’interdit. Mais quand on supprime à un chirurgien 25% de ses vacations, il y a deux conséquences possibles, toutes deux scandaleuses. D’un côté, on a le chirurgien qui, pour continuer à soigner autant de patients et maintenir son niveau de rémunération, va faire autant d’actes mais en moins de temps. Et je ne pense pas qu’en faisant plus vite tout le temps, on fasse mieux et qu’on respecte les recommandations. De l’autre côté, on a le chirurgien qui va faire avec car il n’a que deux bras et donc, va prendre en charge moins de patients… C’est tout aussi inadmissible dans un contexte où l’accès aux soins est déjà compliqué.  

Le même phénomène est observé dans les cabinets de biologie, de radiologie et demain, d’anapath. Ne rêvons pas, ces nouvelles organisations médicales de soins primaires, où l’on regroupe les médecins, vont faire l’objet des mêmes OPA, pour les mêmes raisons ; c’est évident. Il faut mettre le holà sur les effets pervers de cette financiarisation. 

 

L’ensemble des six syndicats représentatifs des médecins libéraux, mais aussi Médecins pour demain, Reagjir, l’Isnar-IMG ou encore le syndicat des pédiatres ont appelé à la grève le 13 octobre. Les médecins répondront-ils à cet appel ? Se dirige-t-on faire une grève illimitée ? 

Difficile de vous dire si les médecins iront ou n’iront pas… Mais cette mobilisation est d’ores et déjà historique, sans précédent. Tous les syndicats médicaux, de toutes générations, s’associent à ce mouvement et c’est déjà un point extrêmement fort. Il y a deux revendications : obtenir les moyens nécessaires de soigner les Français et supprimer toutes les mesures coercitives contenues dans la PPL Valletoux, en tête desquelles la mesure concernant la permanence des soins et dont la finalité (telle qu’exposée dans les motifs) est d’aller vers une obligation individuelle pour les médecins libéraux et de donner la possibilité à un directeur d’ARS de contraindre un libéral à prendre des gardes à l’hôpital public.  

Pour justifier cette mesure, on entend que 85% des services d’urgence sont à l’hôpital public. Mais pourquoi ? La DGOS n’a eu de cesse que d’empêcher la création de services d’urgence dans le privé, et de ne pas ouvrir, voire de supprimer, des lignes de PDSES*** pour les médecins spécialistes. Dans mon propre établissement, privé, à Reims, j’ai la chance d’avoir une ligne de PDSES en gastro-entérologie. Il y a deux ans, mon ARS a décidé unilatéralement de faire disparaitre la ligne de PDSES en nuit profonde pour les gastros, pour les pneumos et en totalité pour les ORL et les radiologues – il leur a fallu se battre pendant des semaines… 

Je ne suis pas un fou furieux des mouvements de grève, des manifestations et du verbe haut. Mais j’appelle mes confrères, de toute spécialité, de tout exercice, de toute obédience syndicale (ou non) à se mobiliser massivement. On a tous une bonne raison de ne pas faire grève : les médecins sont responsables de leurs patients et ils sont payés à l’acte… Mais l’heure est grave. Il faut aller au bout de ce mouvement social, c’est indispensable pour faire comprendre à la société que si on ne veut pas que l’accès se dégrade encore pendant les 20 ou les 30 ans à venir, c’est le moment qu’il ne faut pas louper.  

*Objectif national de dépenses d’assurance maladie. 
**Option pratique tarifaire maîtrisée 
***Offre publique d’achat 
****Permanence des soins en établissement de santé 

8 débatteurs en ligne8 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
J'ai du mal à voir la différence entre ce qu'il propose et le secteur 2, même s'il dit qu'"on ne touche pas au secteur 2 ; ses conditions d’accès sont parfaitement réglementées, avec des formations in
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Médecine générale
il y a 1 an
Le seul moyen REALISTE de valoriser un acte de soin, qu'il soit technique ou plus globalement humain, c'est d'en mesurer la complexité et la DUREE; Et si certains veulent encore prétendre que la du
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1,4 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 an
"Il manquait 700 millions d’euros par rapport au chiffrage du programme de la CSMF, qui prévoit la hiérarchisation du tarif des consultations, avec la consultation de base à 30 euros et la consultatio
 
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