Selon une enquête de l'UFC-Que Choisir, c'est une opacité malsaine qui règne dans le secteur des complémentaires santé, au point que certaines d'entre elles consacrent plus de la moitié de la cotisation, au financement de leurs frais de gestion, dont de colossaux frais de publicité et marketing. L'association de consommateurs somme le gouvernement d'assainir un secteur "où la concurrence conduit à augmenter les prix", preuve qu'en l'état, le marché "ne marche pas".
Le président de la République doit annoncer, ce mercredi à Montpellier, au congrès de la Mutualité française, la concrétisation de ses promesses de campagne d'un reste à charge zéro pour les lunettes, les audio-prothèses et les prothèses dentaires. Or, au-delà de cette bonne nouvelle attendue par les consommateurs, l'UFC Que Choisir saisit le gouvernement, car l'association est persuadée que le surcoût de remboursements qui va incomber essentiellement aux mutuelles et assurances privées, se répercutera sur le montant des primes. Et ce malgré les promesses gouvernementales.
"Le sujet semble avoir disparu du débat"
"Alors qu'au début de discussions, le gouvernement avait annoncé vouloir éviter cette inflation, le sujet semble avoir disparu du débat", a relevé Alain Bazot, le président de l'UFC-Que Choisir, lors d'une conférence téléphonique ce mardi. La mobilisation est d'autant plus de mise que le milieu de la protection complémentaire santé (mutuelles, assurances privées et institutions de prévoyance), secteur hyper concurrentiel, est passé maître dans l'art des engagements volatiles et des rideaux de fumée placés opportunément pour empêcher le consommateur de comprendre ne serait-ce que le niveau de garantie offert. Et ainsi, faire son choix en connaissance de cause. "Le marché est une gabegie", insistait Alain Bazot, rappelant que les engagements des OCAM (organismes complémentaires d'assurance maladie) pris en 2010 visant à améliorer la lisibiité des garanties offertes aux consommateurs étaient loin d'être tenus. Ce qui induit un "dysfonctionnement concurrentiel", critique le président de l'association. De nouvelles négociations sont en cours, sur ce même thème de la lisibilité, entre le comité consultatif du secteur financier et l'organisme qui représente les OCAM, l'UNOCAM, "alors que les anciennes directives sont toujours en cours, et ne sont pas appliquées", grinçait le président de l'UFC-Que Choisir. Et les patients se plaignent de cette absence de boussole.
Des garanties difficiles à comprendre
Selon un sondage exclusif IFOP-Que Choisir, 37 % des Français trouvent que leurs garanties sont difficiles à comprendre, près d'un consommateur sur 2 (48 %) avoue ne pas connaître à l'avance le montant du remboursement qu'il percevra pour des soins importants et 33 % reconnaissent qu'ils ne connaissent pas la distinction entre ce qui est remboursé par la Sécu ou par leur complémentaire. Une analyse menée sur les documents commerciaux remis aux patients par 29 des plus importants opérateurs du marché, révèle que 3 % seulement d'entre eux respectent (dans 75 % des cas) le vocabulaire censé être commun car issu d'un glossaire élaboré par les OCAM elles- mêmes. Mais 80 % en ont un respect insuffisant, voire nul. Autre engagement non respecté par 75 % des OCAM : expliquer clairement la part de remboursement maladie et celle de la complémentaire. Enfin, il n'y a que 40 % des OCAM qui rendent intelligible pour le patient, le montant des remboursements attendus, en fonction du niveau de garantie du contrat. Ce qui vaut surtout pour les remboursements dentaires. Cet état des lieux peu reluisant amène Que Choisir à considérer que le consommateur ne peut pas comparer les offres proposées par un marché hyper concurrentiel riche de 477 organismes différents. "Il y a foisonnement d'offre, mais il s'agit d'un dynamisme concurrentiel de façade", signalait Alain Bazot. Car ici, le foisonnement d'offres ne fait pas baisser les prix mais au contraire, les augmente du fait d'un recours massif à la publicité et au sponsoring, pour attirer la clientèle. Au détriment du coût des primes et du montant des remboursements. Résultats, hélas, prévisibles de cette course faussement concurrentielle : une augmentation de 47 % du coût des complémentaires depuis 2006, soit un surcoût d'environ 220 euros en 11 ans (une complémentaire coûte 688 euros par an en moyenne en 2017). Elles ont augmenté trois fois plus que les prix, qui n'ont cru que de 14 % sur la même période.
"La dérive des frais de gestion nous préoccupe au plus haut point"
Et lorsque les mutuelles évoquent les hausses des taxes ou le coût des contraintes réglementaires (loi ANI sur la complémentaires pour tous, réserves prudentielles), pour justifier cette escalade, l'UFC-Que Choisir répond, chiffres à l'appui, que lesdites taxes pèsent pour moins d'un tiers dans cette inflation. Et que les contraintes réglementaires se confinent à 15 % du tout environ. Ce qui pèse le plus, évidemment, ce sont les frais de gestion des OCAM , soit 7,2 milliards d'euros en 2016, qui se répartissent entre les frais d'administration (2,810 milliard), les frais de gestion des sinistres (1,534 milliards) et surtout les frais d'acquisition (2,845 milliards), dans lesquels se rangent les campagnes publicitaires, les sponsorings de voile ou de courses diverses, les mailing et prospects téléphoniques, les boutiques, les frais de courtiers, etc. "La dérive des frais de gestion nous préoccupe au plus haut point : 1,7 milliards depuis 2010 et 30 % de hausse, soit une inflation deux fois plus rapide que celle des prestations servies aux assurés", a insisté Mathieu Escot, le responsable des études à l'UFC-Que Choisir. "Les consommateurs ne retrouvent pas les économies d'échelle annoncées en 2010, du fait de la fusion des mutuelles qui ne sont plus qu'un demi- millier aujourd'hui, au lieu du double'". Quand à l'importance des frais de gestion, il est bien évident que les consommateurs n'en sont pas ou mal informés, alors qu'il s'agit là aussi d'une obligation légale. Une étude menée par l'association sur les contrats individuels, laisse entrevoir des montants de frais de gestion pouvant aller de 9 à 42 % de la cotisation selon la catégorie de contrats (maximum 32 % de frais d'acquisition).
"Moins d'un euro sur deux revient aux assurés"
Il faut savoir que sur les contrats collectifs, les OCAM accusent un déficit de 4 %, alors qu'ils réalisent une marge de 4 à 7 % sur les contrats individuels. "C'est une redistribution à l'envers, a commenté le responsable de Que Choisir, "des plus aidés vers les moins aidés", qui supportent le plus gros de la charge. Une situation qui "n'est pas acceptable", et "nous scandalise", ont clamé les militants associatifs. En moyenne, sur 100 euros de cotisations, 76 % reviennent aux assurés en contrat collectif, mais seulement 66 % en individuels. Et même, pour certains contrats, moins de 50 % soit "moins d'un euro sur deux qui revient aux assurés". Et quels sont ces contrats ? "En particulier, ceux souscrit par démarchage à domicile ou par téléphone, auprès de personnes âgées souvent, ou par l'intermédiaire de certains courtiers, en totale opacité". Sans commentaires. Pour Que Choisir "C'est la preuve que la concurrence ne fonctionne pas dans le secteur santé. Ces contrats auraient dû disparaître car ils sont peu favorables aux assurés. Mais du fait d'une absence de lisibilité et de transparence sur le taux de redistribution, ils existent toujours". L'association de consommateurs se tourne maintenant vers le gouvernement, sommé d'agir pour moraliser le marché, alors que s'ouvre la nouvelle ère du reste à charge zéro pour les lunettes, les prothèses dentaires et auditives. "Ce qui nous choque, c'est que le reste à charge zéro arrive au milieu de ce marché malsain, insistait Alain Bazot. Le plus choquant, c'est le secteur des contrats individuels où la régulation est défaillante. On peut même se demander si derrière cette passivité, il n'y a pas une certaine complaisance des pouvoirs publics à ne pas régler un marché qui ne marche pas…"
"C'est un échec de l'autorégulation"
UFC-Que Choisir formule deux demandes : définir par la réglementation, une meilleure lisibilité des garanties des contrats. Un arrêté prévu par la loi Hamon de 2014 n'est jamais paru. "On fait du sur place, c'est un échec de l'autorégulation", a pesté Alain Bazot. Deuxième requête : un indicateur de performance qui publierait le taux de redistribution des complémentaires santé. "Ce serait un véritable aiguillon concurrentiel, sur le modèle de Nutriscore", pour l'alimentation, estime le président de l'UFC-Que Choisir. "Nous sommes en droit de nous interroger sur le taux d'évaporation d'un marché qui consacre des milliards d'euros de dépenses en frais de publicité, de marketing alors que certaines complémentaires ne redistribuent pas la moitié de ce qu'elles touchent", s'indigne-t-il, soulignant qu'il y avait une véritable bataille pour acquérir des parts de marché. Pour lui, il y a urgence : "Il faut que les pouvoirs publics s'emparent de ce problème avant que le reste à charge zéro n'éclabousse tout le reste de la collectivité".
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