"L'Urssaf m'a réclamé jusqu'à 76 000 euros" : une généraliste raconte son calvaire administratif

22/10/2021 Par Aveline Marques
Témoignage
Régularisations, majorations, menaces de saisie d'huissier… Installée en secteur 1 à Fort-de-France (Martinique), le Dr Pauline Chabrand subit depuis près de deux ans ce qu'elle nomme un "matraquage administratif" de la part de l'Urssaf. A l'origine : une erreur dans son dossier. La considérant à tort comme médecin en secteur 2, l'organisme de recouvrement a commencé par lui réclamer près de 20.000 euros, somme dont elle s'est acquittée en vidant les économies constituées en vue de son congé maternité. Mais la machine s'est emballée, la plongeant dans l'angoisse… De guerre lasse, alors qu'elle songe à déplaquer, cette maman de trois jeunes enfants s'est décidée à témoigner sur Egora.

"Je me suis installée en secteur 1 à la fin de mon internat en Martinique, en octobre 2013. J'ai transmis les papiers au pôle conventionnel de la Caisse générale de Sécurité sociale (CGSS), qui a transmis à l'Urssaf. Tout s'est déroulé sans encombre jusqu'à l'année 2019. Je payais mes cotisations chaque trimestre. Je suis quelqu'un d'assez stressé et carré donc je veille à payer toujours en temps et en heure. 

En septembre 2019, alors que j'attendais mon troisième enfant, j'ai reçu un courrier de l'Urssaf m'indiquant que je n'avais pas déclaré mes honoraires 2018. Mon comptable l'avait pourtant bien fait en juin comme convenu. J'ai donc renvoyé les documents. Mais en octobre, je reçois un détail de régularisation et un appel de cotisations : on me réclame 19.576 euros, dès novembre. Alors que j'avais déjà versé près de 14.000 euros en 2019 et que mon solde aurait dû être de 4.000 à 5.000 euros d'après mon comptable… 

Je suis allée à l'Urssaf mais je n'ai pas réussi à avoir d'explications à cette régularisation. Le gestionnaire comptable m'a indiqué que même si je contestais cette somme, même si elle n'était pas due, il fallait que je m'en acquitte sous peine de subir une mise en contentieux, avec saisie d'huissier. J'étais contrainte de payer avant toute contestation… 

Avec mon mari, nous avions anticipé l'arrivée de notre troisième enfant et la perte de revenus du congé maternité en mettant de l'argent de côté tout au long de l'année. Il m'a dit : "écoute, paie, on va contester et ils vont te rendre l'argent et en attendant, si on est vraiment embêtés on fera un prêt ; ne t'inquiète pas, c'est pas une somme que tu dois". Donc on a cassé nos économies et on a payé.  

 

“On me prenait pour une fraudeuse” 

Mais quinze jours après, l'Urssaf m'a demandé 8.408 euros de plus. Je ne pouvais absolument pas payer ! C'est là que j'ai fait appel au Dr Anne Criquet Hayot, présidente de l'URPS-médecins libéraux de Martinique et membre de mon syndicat, la FMF, pour essayer de faire remonter les informations. L'Urssaf ne me répondait pas alors que j'y allais tous les matins. Je n'ai trouvé aucune oreille attentive… Quelqu'un a fini par...

me dire au téléphone : "si on vous demande de telles sommes, c'est que vous les avez gagnées, Madame, il faut s'acquitter de vos dettes". Quand j'ai raccroché, j'étais en pleurs… On me prenait pour une fraudeuse, pour quelqu'un qui ne veut pas payer ses dettes alors que je suis en règle! C'est terrible de ne pas se sentir écouté. 

A ce moment-là, je n'étais vraiment pas bien. J'étais très anxieuse et stressée, vraiment sens dessus dessous. Mes enfants avaient 4 et 2 ans, j'étais en fin de grossesse. A 7 mois de grossesse, il a fallu que j'augmente mon activité pour faire face financièrement alors que j'avais au contraire l'intention de lever le pied, pour penser davantage à moi et à mes enfants. Mon mari me disait d'arrêter les frais, de ne pas me rendre malade, de ne pas mettre en danger ma famille et mon couple pour ça. J'allais accoucher, mes enfants avaient besoin de moi et je n'étais pas disponible psychologiquement. Je redoublais de travail, en mettant ma santé et celle de mon enfant à naître en jeu. 

Voyant mon angoisse, mon comptable a repris l'ensemble de mes cotisations depuis mon installation. Il s'est aperçu qu'elles n'étaient pas concordantes avec mon secteur d'activité. En fait, il y avait eu un problème d'immatriculation à l'Urssaf : on m'avait étiquetée secteur 2, et non secteur 1. J'ai fait appel au pôle conventionnel de la CGSS qui a confirmé qu'ils avaient bien transmis à l'Urssaf mon adhésion à la convention indiquant le secteur 1. L'Urssaf a reconnu que l'erreur avait été faite à son niveau. Très bien : l'erreur est humaine ! Il suffit de régulariser la situation, en remontant les années jusqu'en 2013. Je suppose que la régularisation de 2019 correspondait aux cotisations qui auraient été dues si j'avais vraiment été secteur 2 mais je n'ai jamais eu d'explication. 

Suite à cela, fin novembre, l'Urssaf a fermé mon compte et en a ouvert un nouveau, en accord avec mon secteur d'activité. Ils m'ont dit qu'ils me feraient un décompte de ce que j'avais payé en trop, ou pas, de ce que je leur devais, ou pas. J'étais prête à me mettre à jour de mes cotisations, sous réserve que ce soit conforme. Dans ce nouveau compte, ils ont bien mis mes déclarations d'activité, mais en ne remontant que jusqu'à 2017, en faisant l'impasse sur mes quatre premières années d'activité, et sans les mettre en concordance de façon exhaustive avec les cotisations que j'avais versées année par année.  

 

“Ma fin de grossesse a été un cauchemar” 

Et ils ont continué à me réclamer des indus, 24.453 euros au total pour 2017, 2018 et 2019. A partir de ce moment-là, je n'ai plus eu de signe de vie. Ma fin de grossesse a été un cauchemar. Je ne savais pas si je devais continuer à payer mes cotisations ou pas, étant donné que mon compte n'était toujours pas mis à jour. Au 19 février 2020, les arriérés s'élevaient à 29.391 euros.  

Je me suis tournée vers mon syndicat, qui m'a conseillé de prendre un avocat pour forcer l'Urssaf à mettre à jour mon compte. En mars 2020, mon avocat a engagé une procédure en référé pour équilibrer rapidement mes comptes, et une procédure au fond devant le pôle social du tribunal judiciaire de Fort-de-France. A partir de ce moment-là, sur les conseils de mon avocat, je n'ai plus payé mes cotisations à l'Urssaf.  

Ma dette a continué d'augmenter. A un moment donné, je recevais des courriers tous les 15 jours, avec des injonctions à payer, des majorations de retard. Mon comptable s'inquiétait, mon avocat disait de ne pas en tenir compte. Moi, j'étais prise entre deux feux. A la fois je me sentais dans mon bon droit et en même temps...

je n'aimais pas être en dehors des clous. C'est très anxiogène de recevoir ce type de courriers et de ne pas donner suite. Tout comme de n'avoir aucune réponse à mes courriers. En deux ans, le nombre de mails que j'ai reçus en réponse est anecdotique. Le médiateur de l'Urssaf ne m'a jamais donné suite. C'est inhumain, surtout pour nous qui travaillons avec l'humain… 

Le 18 novembre 2020, la veille de l'audience en référé, on me demandait 76.780 euros … Mais à leur demande, l'audience a été renvoyée. Cinq fois au total, jusqu'à ce que la procédure en référé finisse par se superposer à la procédure au fond : les deux ont été plaidées le même jour, le 6 mai 2021, ce qui a rendu le référé non avenu. L'arriéré en mars 2021 était alors de 39.721 euros. 

Par un jugement du 30 juin 2021 [qu'Egora a pu consulter, NDLR], le juge me donne raison et ordonne à l'Urssaf de tout mettre à jour, afin d'équilibrer les comptes par rapport à mon activité. Ils doivent payer 1.500 euros de frais de justice, qui reviendront à mes avocats, et 1.200 euros de dommages et intérêts. 1.200 euros pour tous ces courriers, mails, déplacements et nuits à ne pas dormir durant près de deux ans, c'est gentil… Mais moi je ne suis pas à courir après l'argent. Tout ce que je veux c'est que ce soit mis à jour, pour être enfin libérée.  

Or, nous sommes le 20 octobre [date de l'entretien, NDLR], et l'Urssaf ne s'est toujours pas exécutée. Je n'ai reçu aucun courrier et ils ne répondent pas à mes avocats. Ils n'ont pas payé les condamnations et n'ont toujours pas mis à jour mon dossier. J'ai toujours des majorations qui datent de 2017 et de 2018. Et un appel de régularisations cotisations pour 2019 de 15.599 euros. Alors que j'ai déjà payé 33 510 euros en 2019, sur un bénéfice de 113.000 euros en 2018. Sans compter la Carmf et les impôts! 

Le juge n'a pas fixé de date butoir pour qu'ils s'exécutent ni d'astreinte donc je suis maintenant contrainte de saisir le juge de l'exécution. Tout ce qu'on leur demande, c'est qu'ils fassent leur boulot… 

 

“D’autres confrères plus fragiles ou moins bien entourés auraient pu mettre fin à leurs jours” 

J'ai fait médecine pour être médecin de famille, c'était ma vocation. Mais ne supportant plus le matraquage administratif, je me suis résolue à diminuer mon activité libérale et à prendre un poste en Ehpad à temps partiel, pour avoir un salaire qui tombe tous les mois et ne plus subir une telle pression fiscale. Ça m'apporte une certaine tranquillité d'esprit. Si ça continue comme ça, j'envisage de me salarier à temps plein. Ça m'a pourri un an de ma vie à un moment où je n'en avais vraiment pas besoin et je n'ai pas du tout envie de subir à nouveau cette pression. On a déjà un métier qui est difficile au niveau investissement, émotionnel, horaires et là, cette charge administrative que j'ai subie pour juste prouver que je suis une personne honnête, c'est trop… Quand je vois à quel point nous ne sommes pas soutenus quand on se retrouve dans une telle situation, alors que nous sommes une profession particulièrement sujette au burn out… Etre ainsi mis en cause alors qu'on s'investit corps et âme dans ce métier, c'est dur.  

Aujourd'hui, je suis désabusée. J'ai 37 ans et j'ai déjà dû réorienter ma pratique. Quand je vois que deux ans après je suis toujours en procédure... Je suis tout à fait consciente que pour l'année 2020 et 2021, je dois à l'Urssaf des cotisations. J'ai reçu des menaces de saisie d'huissier pour non paiement et les cotisations apparaissent actuellement sur mon compte avec des majorations de retard. Je sais qu'à un moment donné, on va me demander de grosses sommes d'un seul coup. J'ai mis de côté, pour pouvoir faire face en temps voulu parce que j'ai la tête sur les épaules. Mais je pense que quelqu'un de plus fragile, ou de moins bien entouré, n'aurait pas forcément tenu le coup et aurait pensé mettre fin à ses jours. Je fais partie d'un groupe WhatsApp de médecins libéraux et régulièrement il y a des confrères qui témoignent de sommes complètement fantaisistes réclamées par l'Urssaf, 15.000, 20.000 euros comme moi. Je ne sais pas comment ça se termine mais c'est assez délirant et ça fait perdre beaucoup de temps. Beaucoup de confrères doivent subir cette pression en se pensant isolés… c'est pour ça que je témoigne." 

La réponse de l'Urssaf 
Evoquant "le principe de confidentialité", l'Urssaf nationale, sollicitée par Egora, indique ne pas être autorisée à "communiquer sur les dossiers individuels" ni à "à les commenter". Toutefois, l'organisme nous assure que ses "équipes devraient prendre attache très rapidement avec le Dr Plazy-Chabrand afin de faire le point sur son dossier". 

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