Régulariser ou sélectionner les médecins étrangers exerçant en France ? Le sort des Padhue divise

28/02/2024 Par A. R.
En affichant sa volonté de "régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent à bout de bras nos services de soins", le 16 janvier dernier, Emmanuel Macron a semé le trouble. Faut-il remettre en cause la procédure de validation actuelle, qui passe nécessairement par la réussite des épreuves de vérification des connaissances (EVC)? Alertant sur le "niveau faible" des candidats qui ont échoué à la dernière session, le Pr Éric Rosenthal, président du jury des épreuves de médecine générale, juge nécessaire de maintenir une sélection des médecins à diplôme hors Union européenne. De son côté, le Dr Abdellahim Bensaïdi, représentant des Padhue, pointe la précarité administrative de certains médecins, et appelle à la mise en place d'une validation sur dossier. Notamment pour les praticiens en poste depuis des années, dont les compétences sont reconnues par les équipes.

   

"Une sélection des médecins ayant un diplôme obtenu hors UE est parfaitement indispensable"

 

Le Pr Éric Rosenthal* a présidé le jury de la session 2023 des EVC** en médecine générale. Préoccupé par le faible niveau des candidats, il a co-rédigé une tribune dans Le Monde, estimant que les autorités étaient en train de « brader » la qualité des soins sous prétexte de lutte contre les déserts médicaux. Il revient pour Egora sur ce texte polémique en y apportant quelques nuances.

  Egora.fr : Pouvez-vous commencer par nous préciser ce que sont ces EVC dont vous avez présidé le jury ? Pr Eric Rosenthal : Ce sont des épreuves écrites qui constituent la première étape du parcours de validation de médecins qui ont un diplôme délivré hors de l’Union européenne, et qui souhaitent exercer dans un établissement de santé sur le territoire. Il y avait cette année 38 jurys, un par discipline médicale. Je présidais le jury de médecine générale, qui avec 91 membres était numériquement le plus important : plus de 6000 candidats étaient inscrits, dont environ 2500 se sont présentés…   En quoi consistent précisément les épreuves ? Il y a deux épreuves écrites. La première concerne les connaissances fondamentales : ce sont des questions de cours. La seconde est une épreuve plus pratique : elle s’appuie sur des observations cliniques que les médecins rencontrent régulièrement dans leur discipline. Pour les médecins généralistes, par exemple, cela pouvait être le diagnostic et le traitement d’une anémie, de douleurs des épaules chez une personne âgée…. Les questions ont été établies par les membres du jury, comme nous avons l’habitude de le faire pour le concours de PH ou les EDN [Épreuves dématérialisées nationales, ndlr]. Les épreuves étaient organisées sur une journée à Rungis, dans le Val-de-Marne.   Comment s’est effectuée la correction ? Nous avons établi des grilles de correction, mentionnant les mots-clés qui devaient figurer dans chaque réponse : par exemple, dans le cas de douleurs inflammatoires des épaules chez une femme de 69 ans, le candidat devait mentionner la posologie de cortisone dans le cas d’une pseudopolyarthrite rhizomélique pour obtenir un point à la question du traitement. Nous avons effectué la correction par binômes, et les écarts éventuels de notation entre les deux correcteurs ont fait l’objet d’une discussion et d’une harmonisation. Globalement, nous avons été surpris par le niveau de connaissance très faible des candidats. Les tout premiers ont obtenu une très bonne moyenne, mais une majorité des candidats n’a pas atteint 10 de moyenne, et entre ces deux extrêmes, seulement 241 candidats ont une moyenne finale de plus de 12.

Comment justifiez-vous cette limite à 12 plutôt qu’à 10 ? Le jury a considéré collectivement qu’une moyenne de 12 témoignait d’un niveau de connaissances acceptable pour déclarer reçu un candidat, compte tenu de la difficulté des épreuves. C’est forcément subjectif, mais nous avons estimé que les sujets étaient simples et qu’un candidat avec une note finale de 10 n’avait pas un niveau suffisant. Nous avions connaissance du nombre de postes ouverts en médecine générale (537), mais ce n’est pas ce qui a guidé notre correction. Nous n’avons donc pas sciemment décidé de pourvoir 241 postes plutôt que 537, c’était une décision fondée sur le niveau observé des candidats.   L’une des particularités de ces EVC est qu’elles rassemblent plusieurs types de candidats : des personnes exerçant déjà en France, notamment sous le statut de praticien attaché, et des personnes n’ayant encore jamais exercé en France… Tout à fait, et il y a très probablement une très grande disparité entre les candidats qui exercent en France depuis plusieurs années, ceux qui n’y ont jamais exercé, et ceux qui sont diplômés mais n’ont probablement jamais exercé la médecine. Nous savons tous que les établissements de santé en France manquent de personnels, d’aides-soignants, d’infirmiers et de médecins, et que nombre de médecins étrangers, souvent originaires de pays hors UE, occupent des postes qui autrement ne seraient pas pourvus. En tant qu’ancien hospitalier au CHU de Nice, je sais que beaucoup de ces médecins sont de bons, voire de très bons professionnels. Ils exercent dans des conditions précaires, et il faut leur permettre d’accéder à des conditions dignes, à un statut et un salaire comparables à ceux de leurs collègues en poste dans les mêmes services et avec les mêmes responsabilités. Evaluer ces médecins qui sont en poste alors qu’ils ont un diplôme hors UE, c’est parfaitement indispensable, mais évaluer par de mêmes épreuves des milliers de candidats qui ont des formations initiales différentes et des modalités d’exercice de la profession qu’on ne connait pas, ça n’est probablement pas la bonne façon de faire ! Ce qui nous a fait réagir, ce qui nous a conduits à rédiger une tribune dans Le Monde, c’est l’annonce du Gouvernement que les médecins qui ont échoué aux EVC seraient maintenus en poste jusqu’à la prochaine session. Compte tenu des résultats très faibles de beaucoup de candidats, il y avait de quoi sursauter ! En pratique, il est possible que la plupart des médecins en poste qui se sont présentés aux EVC aient été reçus. En réalité nous ne le savons pas. Une autre partie des médecins en poste refuse de se présenter aux EVC, car ils les jugent inadaptées à leur situation, et je pense qu’ils ont raison.   Vous revenez donc en partie sur ce que vous avez écrit dans la tribune ? Ce qu’aucun des signataires de la tribune ne souhaitait, c’est qu’elle soit comprise comme une charge à l’égard des médecins étrangers qui exercent dans les hôpitaux. Et certaines réactions montrent qu’elle a été comprise ainsi, à tort. En revanche, je confirme le niveau de connaissances faible de nombreux candidats. Une sélection des médecins ayant un diplôme obtenu hors UE est donc parfaitement indispensable.   Avez-vous pu échanger avec certains représentants des Pahue ? Oui, et je suis d’accord avec leur constat. Ils estiment qu’on ne peut pas évaluer les connaissances et les compétences des quelques centaines de médecins qui sont en poste depuis plusieurs années de la même manière que celles de milliers de candidats qui n’ont jamais exercé en France et se présentent aux EVC. Les représentants des Padhue ont des propositions concrètes et réalistes. Ils doivent être écoutés et entendus.   * Interniste, conseiller scientifique à l’ANRS Maladies infectieuses émergentes ** Épreuves de vérification des connaissances et de la langue française (EVC), examen visant à évaluer le niveau des médecins à diplôme hors Union Européenne souhaitant exercer au sein des établissements de santé en France

 
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"Nous demandons une validation sur dossier, avec des prérequis"

 

Le Dr Abdellahim Bensaïdi est vice-président d’Ipadecc*, une association défendant les intérêts des médecins à diplôme étranger en France. Le niveau des connaissances de ces derniers ayant été mis en cause par le président du jury 2023 des EVC de médecine générale, il revient sur les conditions d’exercice et de régularisation de ces praticiens.

  Egora.fr : Pouvez-vous commencer par vous présenter et nous dire deux mots sur votre parcours ? Dr Abdellahim Bensaïdi: J’ai obtenu mon diplôme de médecine générale en Algérie, et je suis arrivé en France en 2019. J’ai d’abord exercé en Alsace, où j’étais présent pendant la première vague du Covid, en plein épicentre de l’épidémie. J’ai fait un DU de diabétologie en deux ans, et j’exerce maintenant comme diabétologue à Paris, où j’ai complété ma formation par un diplôme de nutrition clinique et thérapeutique. Je suis sous le statut de praticien attaché, mais j’exerce sur un poste senior.   Comment avez-vous reçu les mises en causes de membres du jury des EVC concernant le niveau des candidats à diplôme hors UE voulant exercer la médecine générale en France, exprimées dans une tribune parue dans Le Monde début février ? La première question que cela pose, c’est de savoir pourquoi la barre a été fixée à 12. Des gens ont été reçus avec 12,00 tandis que d’autres ont été recalés avec 11,99. Dans d’autres disciplines, la barre a été fixée à 15, et en médecine d’urgence, le dernier retenu avait 9. Comment peut-on expliquer qu’un généraliste qui a 11,9 n’a pas le niveau pour exercer en France, tandis qu’un urgentiste qui a 9, lui, l’a ? La sécurité des patients aux urgences est-elle moins importante qu’en médecine générale ? Dans un concours, la note éliminatoire est de 6, et s’attaquer à des gens en leur disant qu’ils n’ont pas le niveau alors qu’ils ont la moyenne ne peut relever que d’une volonté politique de s’en prendre à une certaine catégorie de médecins.

Les EVC vous semblent-elles adaptées aux Praticiens à diplôme hors UE (Padhue) ? Pas du tout. On demande à des personnes qui sont séniorisées, qui exercent déjà depuis de nombreuses années, qui participent à la formation des internes, qui font le même travail que des médecins français, de passer les EVC. Et quand on dit à l’administration que les EVC ne sont pas adaptées, elle nous renvoie à la réforme prévue pour 2025. En 2025, j’aurai six ans d’exercice en France ! Aujourd'hui, l’administration nous dit qu’on ne peut pas s’inscrire à l’Ordre tant qu’on n’est pas lauréat des EVC, mais c’est faux : en 2019, on a voté la loi « stock », qui a permis de régulariser 2000 personnes sur dossier sans avoir à passer les EVC. Il fallait avoir deux ans d’exercice : à titre personnel, il me manquait deux mois, et je n’ai pas pu bénéficier de cette loi. Et pourtant, j’ai été séniorisé, ce qui veut bien dire qu’on estime mon travail ! Nous demandons une validation sur dossier, avec des prérequis : un nombre minimal d’années d’exercice, l’approbation du chef de service, pourquoi pas une commission régionale, éventuellement des parcours de validation complémentaires si nécessaire… Et il faut que cette validation sur dossier soit mise en place rapidement : nous ne pouvons pas attendre une réforme des EVC dans deux ans.   Pourquoi les Padhue ne passent-ils pas les EVC, que les membres du jury estiment être largement à la portée de praticiens exerçant déjà en France ? Parce que nous avons des vies de familles, nous travaillons 70 heures par semaine, et nous ne pouvons pas préparer un concours très sélectif dont on supprime des postes du jour au lendemain. C’est une épreuve destinée à nous mettre des bâtons dans les roues afin de nous empêcher de nous inscrire à l’Ordre, alors que ce dont nous avons besoin, c’est d’une procédure administrative. Puisqu’il est question de vérifier notre capacité à exercer, notre compétence, il n’y a pas besoin de concours. Nos directions et nos chefs le savent très bien et nous font confiance, sinon ils ne nous auraient pas maintenus cinq ans en poste. Ceux qui n’étaient pas bons sont repartis chez eux. Et j’ajoute que dans certaines spécialités, il n’y a tout simplement pas de postes ouverts, ou très peu !   Combien de Padhue attendent actuellement une régularisation ? D’après la DGOS [Direction générale de l’offre de soins, NDLR], il y a environ 4000 médecins à diplôme hors UE non régularisés sur le territoire, dont 1900 ne sont pas en poste ou n’exercent pas la médecine : ils sont sur des postes non médicaux, ou tout simplement au chômage. Sur les 2100 personnes en poste et non régularisées, environ 60 % sont là depuis moins d’un an. Les gens qui sont en poste depuis plus de deux ans sont environ 500 ou 600 en métropole, et 150 en Antilles-Guyane. La moitié d’entre eux sont là depuis plus de cinq ans. Il y a donc environ 750 personnes qui pourraient passer par une procédure sur dossier telle que nous la souhaitons.   Quel est l’état d’esprit de ces médecins ? Ils sont dans le désarroi, ils sont désespérés, ils ne savent pas quoi faire. D’autant plus que parmi ces 750, la moitié environ sont soit naturalisés, soit citoyens permanents, soit encore détenteurs de titres de séjour long. On ne peut pas leur dire de quitter l’hôpital et de rentrer chez eux, ils ont les mêmes droits au séjour que n’importe qui. Ceux qui sont sous le coup d’OQTF [Obligation de quitter le territoire français, NDLR] sont très peu nombreux, ce sont des gens qui se sont retrouvés sans contrat et n’ont pas eu de titre de séjour.   Pour vous, les raisons des réticences des autorités à régulariser ces personnes sont-elles purement financières ? Oui, on voit bien que lors des débats budgétaires cette année, la santé a encore été amputée. Mais c’est une erreur d’espérer faire des économies sur la régularisation des Padhue. Parmi les 750 personnes dont je parle aujourd’hui, 90% ont des postes séniorisés. Notre salaire ne changerait pas d’un centime en cas de régularisation, du moins dans un premier temps. Ce qui changerait, ce serait notre sécurité et notre tranquillité d’esprit.   Comment recevez-vous la volonté du gouvernement de nommer un émissaire pour recruter des médecins hors de nos frontières ? Je pense que cela ne marchera pas, car on ne peut pas aller chercher des médecins à l’étranger et leur donner 1400 euros. D’autre part, l’OMS demande aux États de ne pas recruter des médecins dans des pays où cela désertifierait les territoires. C’est une question totalement différente de notre situation : personne n’est venu nous chercher, nous sommes venus de notre plein gré, de la même manière que certains médecins français vont au Canada. Ce sont les flux migratoires naturels.   * Intégration des praticiens à diplôme étranger contre la crise

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