"Avec le rythme de l'externat, on n'a déjà pas de vie. Si je n'en ai pas encore pendant mon internat et que, en plus, je ne peux pas être dans la même ville que mon copain, ça ne va pas être possible. Je vais péter un plomb." Alice*, étudiante en sixième année de médecine, est inquiète. Depuis le lancement de la réforme du deuxième cycle de ces études (R2C) en septembre dernier, une question tourne en boucle dans sa tête : va-t-elle pouvoir être affectée dans la même ville que son conjoint – également en sixième année de médecine – en septembre prochain ? Comme lui, la jeune femme de 24 ans a passé avec succès les Épreuves dématérialisées nationales (EDN) en octobre, et se prépare pour les Examens cliniques objectifs structurés (Ecos) prévus fin mai.
En couple depuis cinq ans, elle rêve de réaliser son internat dans la même ville que son compagnon. "On habite ensemble depuis trois ans, et idéalement on aimerait être affectés dans la même subdivision de Nouvelle-Aquitaine. Lui veut faire de l'anesthésie et moi, à la base, j'aimerais me spécialiser en chirurgie maxillo-faciale ou ORL. Mais si on veut faire notre internat au même endroit, il va peut-être falloir qu'on élargisse nos choix", confie Alice, déjà installée dans le sud-ouest de la France.
Au cœur des craintes de la future médecin : la nouvelle procédure d'appariement mise en place cette année par la R2C. Jusqu'alors, la procédure d'attribution des postes d'internat se basait sur un classement unique à l'issue des Épreuves classantes nationales informatisées (ECNi). "Les affectations se faisaient une part une [par ordre de classement, NDLR]. Les étudiants avaient un créneau durant lequel ils faisaient leur choix d'internat", résume Jérémy Darenne, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Pour ceux en couple, le carabin ayant obtenu un meilleur résultat pouvait demander à être 'déclassé' afin de rejoindre sa moitié dans le classement et faire leur choix quasi simultanément. Ils étaient alors assurés d'être dans la même subdivision grâce à ce déclassement", confirme Jérémy Darenne. L'année dernière, 70 étudiants se sont déclassés sur plus de 9 000 à l'issue des ECNi, d'après la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine.
"On est énervés et dégoûtés"
Cette option a été balayée par la R2C. Avec 13 classements différents, la nouvelle procédure d'affectation ne permet plus de faire des choix "en temps réel" et rend impossible tout déclassement. En effet, "l'algorithme [permettant l'appariement] va faire en sorte que chaque étudiant ait le vœu le plus haut accessible" en fonction de ceux qu'il a formulés et de ses résultats aux EDN et aux Ecos, confirme le président de l'Anemf. L'attribution des postes d'internat se fera un même jour pour tous les étudiants, et non plus par ordre de classement. "Pour les couples, cela peut poser un problème, car ils n'ont plus de visibilité [en continu] sur les affectations", poursuit Jérémy Darenne.
Un changement aux allures de douche froide pour Alice et son conjoint. "On est énervés et dégoûtés. Cette année, on a déjà dû encaisser la R2C avec des oraux classants, et près d'un an en moins pour les réviser, rappelle l'étudiante, agacée. Je ne sais pas comment on va faire si on doit tenir six ans à distance, avec nos horaires de l'internat." En moyenne, d'après une étude de l'Isni**, les internes en médecine français travaillent plus de 58 heures par semaine. Un rythme intense qui rend difficile les allers-retours entre différentes villes, surtout qu'en plus de réussir à "se voir", "on [devra] aussi continuer à voir nos familles", ajoute Alice.
À Paris, Lucille, 24 ans, partage ces craintes. L'étudiant*** en cinquième année de médecine passera les EDN l'année prochaine. Il aurait dû plancher dessus en octobre dernier, mais a préféré redoubler "pour avoir un an de plus de révision", détaille le carabin, qui souhaite intégrer un internat en radiologie dans la capitale. Sa conjointe - également en cinquième année – vise, elle, médecine générale, toujours à Paris. "C'est plus mon choix de spécialité qui pourrait poser un problème", admet Lucille. Installé depuis un an et demi avec sa compagne, le vingtenaire pointe du doigt le "stress" supplémentaire induit par la R2C, et notamment son impact sur la procédure d'appariement. "Je trouve ça trop bête", lâche-t-il, dans un souffle.
Dans ce contexte, Alice songe à changer de choix de spécialisation afin de maximiser ses chances d'être affectée dans la même subdivision que sa moitié. En plus de la chirurgie maxillo-faciale ou ORL, l'étudiante compte "demander plusieurs spécialités qu'[elle] n'aurai[t] pas envisagées, comme la chirurgie pédiatrique". "Je pense même à demander urgences même si, à la base, je ne veux pas vraiment faire ça", confie la jeune femme. Pour s'assurer d'être ensemble, elle et son conjoint réfléchissent aussi à faire des vœux peu demandés dans des villes également moins prisées, avant de "faire un droit au remords dans la première année [de leur] internat" pour finalement atteindre leur spécialité rêvée. "Sauf que, dans ce cas, je perds un an", glisse Alice, sans enthousiasme.
Intégrer un critère "couple" dans l'algorithme
Afin d'éviter de telles situations, une poignée d'étudiants plaide pour la prise en compte d'un critère "couple" dans l'algorithme d'appariement. "On demande à ce qu'il puisse, en plus du vœu de spécialité et de ville, permettre d'être couplé à quelqu'un", développe Alice. Ce "matching couple", soutenu par l'Anemf, ne sera pourtant "pas réalisable cette année", "par manque d'anticipation du CNG [Centre national de gestion, NDLR] sur le plan technique", affirme Jérémy Darenne.
Une annonce confirmée par le Pr Benoît Veber, à la tête de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine. Selon lui, introduire un nouveau critère viendrait "fragiliser l'algorithme". Avec ce "matching couple", "on ne pourrait plus garantir la capacité de [ce dernier] à donner le meilleur choix possible aux étudiants", assure le président de la Conférence. En effet, "la difficulté est que l'algorithme, tel qu'il a été développé, garantit le meilleur choix à chaque étudiant [selon ses résultats et ses vœux, NDLR], sauf si on le fragilise. Si on introduit une nouvelle variable, pour l'instant, on ne sait pas trop comment l'algorithme va réagir. Ça ne nous parait pas réaliste de fragiliser l'appariement sur l'algorithme tel qu'il a été validé", prolonge le Pr Benoît Veber.
Si un tel critère ne peut être pris en compte cette année, une autre solution est envisagée durant la procédure d'appariement. Ce processus – encore en discussion – devrait débuter en août avec, tout d'abord, une phase de simulation. Non obligatoire, celle-ci doit permettre...
aux étudiants "d'apprendre à utiliser l'algorithme", souligne le Pr Benoît Veber. Cette "phase de découverte" devrait être suivie d'une autre, cette fois déterminante. "On va [ensuite] donner le top départ obligatoire pour que chaque étudiant exprime ses vœux", poursuit le président de la Conférence, précisant que cette étape devrait intervenir "sûrement fin août". "On demandera aux étudiants d'exprimer au minimum 40 vœux. Un étudiant a intérêt à exprimer le maximum de vœux possibles, car tout va se jouer lors du premier tour de l'appariement. Il faut que les étudiants ne se limitent pas dans leurs choix."
"Une fois que tous les étudiants auront exprimé leurs vœux, on va faire tourner une première fois l'algorithme à blanc. Cela va aboutir à une proposition d'affectation fictive", détaille le Pr Benoît Veber. L'objectif de ce "premier tour" d'essai est que les étudiants "voient, après l'expression de leurs vœux, leurs possibilités". Ces derniers devraient pouvoir modifier leurs vœux. Au total, "on fera probablement tourner [l'algorithme] deux ou trois fois à blanc", ajoute-t-il.
Un "matching couple" envisageable d'ici 2025
Ce n'est qu'une fois ces phases d'essai réalisées "qu'on figera l'affaire et qu'on fera tourner l'algorithme" une autre fois. Les étudiants se verront alors attribuer une spécialité et une subdivision. "Pour [ceux] qui n'auraient pas été affectés lors de cet appariement, on leur demandera de refaire des vœux." "Probablement qu'à l'issue du deuxième tour, 98% des étudiants seront appariés", estime le Pr Benoît Veber. Si certains restent sans affectation, "on verra si on refait un tour [d'algorithme] ou si on les apparie manuellement". Le président précise toutefois que la procédure décrite n'a pas encore été actée et doit être validée en Copil R2C dans les prochaines semaines.
Mais en quoi ce processus pourrait-il aider les étudiants en couple ? Selon le Doyen des doyens, la solution réside dans les phases d'essai de la procédure. Ces étapes "à blanc" doivent permettre aux conjoints de voir "ce qu'ils pourraient faire pour espérer être dans la même ville", explique le président de la Conférence. "Ils pourront comprendre ce qui va se passer" lors de l'affectation définitive, "et modifier l'ordre de leurs vœux" ou en ajouter. "Cela leur donne la possibilité de voir ce qu'ils doivent faire comme vœux pour avoir la possibilité d'être affectés dans la même subdivision", développe le doyen, reconnaissant que cette solution n'offre pas un résultat sûr à "100%".
Pour les prochaines années toutefois, la possibilité d'intégrer un critère "couple" dans l'algorithme reste envisageable. Contacté par Egora, le CNG – en charge de la procédure d'appariement – confirme que "les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur se sont engagés à ce que soient étudiées de très près les conditions dans lesquelles la demande relative à une affectation tenant compte du statut 'en couple' pourrait se faire en 2025 sans dénaturer l’algorithme". Il précise également que "par couple, s’entend lié par un Pacs ou un mariage".
L'année prochaine, Lucille pourra donc espérer bénéficier de ce statut – si les conditions pour sa mise en place sont réunies. Le carabin regrette toutefois l'absence de certitude autour de ce qu'il estime être une promesse : "Ce matching couple est quelque chose que l'on nous promet depuis le début de la réforme. On nous disait de ne pas nous inquiéter." "Il y a beaucoup de choses dans cette réforme qui sont compliquées à changer, car inscrites dans la loi, continue l'étudiant à Paris. Mais je trouve que, pour la question des couples, ce n'est pas si difficile [de prendre en compte ce critère] et pourtant, ça changerait des vies."
*Le prénom a été modifié.
**Intersyndicale nationale des internes.
***L'étudiant a souhaité être genré au masculin.
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