"Vous ne remplissez plus les conditions requises pour pouvoir vous inscrire aux épreuves classantes organisées en 2022..." C’est avec désespoir et contrition que Jonathan a reçu le résultat de son inscription aux ECNi 2022 par le Centre national de gestion (CNG), le 15 février dernier. Issu d’un village rural au sud-est de Reims, le jeune homme, âgé de 30 ans, se trouve dans une situation “impossible”. Titulaire d’un master* en médecine obtenu en République tchèque, il ambitionnait de revenir faire son internat en France pour exercer dans un désert. Mais tout ne s’est pas passé comme il l’espérait…
“Médecine, c’était mon rêve”, raconte-t-il aujourd’hui. “Et le rêve a tourné au cauchemar.” En 2009, le jeune bachelier qu’il était se lance dans la première année, sans succès. Qu’importe : il décide de redoubler et tombe dans l’année de la mise en place de la Paces et du numerus clausus. Il échoue une seconde fois et doit malheureusement faire une croix sur son projet. Jonathan se réoriente en licence de biologie. “Je n’ai pas du tout aimé. J’avais beaucoup de regrets concernant la médecine car j’étais persuadé d’en être capable. Quand j’ai fait mes premières années, je n’étais pas aguerri, je sortais du lycée”, raconte-t-il. “J’ai entendu beaucoup de gens parler de médecine à l’étranger et j’ai voulu tenter ma chance…”
Jonathan passe alors plusieurs examens d’entrée dans différentes facultés à l’étranger, basés sur des épreuves de physique, chimie, biologie et mathématiques. Un jour, la porte s’ouvre : il est admis à Brno, deuxième plus grosse ville de République tchèque. “J’ai eu de la chance, c’était une très bonne école de réputation mondiale. Il y avait des étudiants de partout en Europe”, se souvient-il.
"A l’étranger, c’est facile de rentrer mais difficile de rester"
Question niveau, Jonathan balaie toute différence. “Certes, c’est plus facile de rentrer. Mais c'est très dur de rester. Sur les plus de 200 élèves en première année dans ma promotion, on est seulement 35 à avoir obtenu notre diplôme de deuxième cycle”, affirme-t-il. A Brno, il découvre aussi une autre manière de travailler, l’entraide et la cohésion qui lui manquaient tant en France. “A Reims, c'était chacun pour sa pomme, avec tout le monde qui essaie d’être meilleur que son voisin. En République tchèque, les professeurs étaient très compréhensifs et aidaient les élèves.”
Malgré cette dynamique positive, il redouble sa troisième année, “submergé par le travail”. Mais s’accroche jusqu’à la fin du deuxième cycle pour obtenir son master. Sur les trois français de sa promotion, il est le seul à ambitionner de retourner en France pour exercer et veut tout faire pour. “Mon plan, c’était de faire mes ECN en France car je savais que c’était possible”, confirme-t-il.
Son plan, Jonathan a toutefois dû le changer en cours de route… Alors qu’il arrive à la fin de son deuxième cycle en juin dernier, l’épidémie de Covid est encore bien présente partout en Europe, ses révisions toujours plus intenses en parallèle de son stage en chirurgie. La République tchèque manquant de doses, il n’est pas vacciné comme l’ont été les carabins français et n’a donc pas de pass sanitaire valable. Son tout dernier examen est prévu le 9 juin, soit cinq jours avant les épreuves classantes en France. Car là-bas, le fonctionnement est différent. Plutôt qu’une date de partiel et de concours unique, les étudiants en médecine doivent s’inscrire à une session d’examen quand ils sont prêts. “On dispose de trois essais par matière. Si on loupe ces trois essais, on redouble. Si on loupe deux essais supplémentaires, on est éliminés”, résume-t-il rapidement. Son examen du 9 juin était sa dernière chance pour obtenir son diplôme dès 2021. S’il ne le passait pas à cette date-là, il aurait été obligé de redoubler son année.
"J’ai fait le choix de me préparer pour 2022"
Jonathan hésite longtemps, mais décide de repousser l’examen des ECN en France d’un an, “pour se laisser du temps” et ne pas “venir les mains dans les poches”. “En février, j’en avais juste tellement marre. J’étais sous la pression des examens, des stages. Au bord du burn-out. Les ECN françaises débutaient le 14 juin, je me suis dit que je n’étais pas capable de le faire. Donc j’ai fait le choix de les préparer pour 2022.” “En plein milieu de la pandémie, il fallait que je passe mon diplôme à Brno, prendre l’avion en catastrophe, arriver en France en espérant ne pas être contaminé, ne pas avoir de quarantaine et me pointer à l’examen... Donc non, je n’ai pas fait ça”, ajoute-t-il, encore amer, assumant de ne pas avoir révisé les ECN en parallèle de son cursus tchèque intégralement en anglais.
Jonathan, aidé par ses parents et sa sœur, se renseigne alors tant bien que mal sur la possibilité de passer les ECN l’année suivant l’obtention du diplôme du deuxième cycle des études de médecine. “Je n’ai rien trouvé qui m’en empêcherait. J’ai parlé à mon médecin de famille en France qui m’a dit qu'il n'y avait aucun problème. Mon père a appelé la faculté de Reims qui a répondu que c’était possible”, narre-t-il. “Mais j’avais juste super peur de rentrer en France et qu’on me dise que ce n’est finalement pas le cas.”
Pas très prudent mais rassuré par les quelques retours allant dans son sens, il ne s’inscrit pas à la session des ECN 2021 - ouvertes uniquement au mois de février - et se concentre sur son diplôme tchèque. Il décroche finalement son master et parvient à rentrer en France début juillet. “J’ai contacté le CNG et je leur ai indiqué que je comptais m’inscrire à la session 2022. C’est là qu’ils m’ont dit que je ne pouvais plus participer aux ECN…”
"Je ne peux rien faire"
En effet, en France, l'article R. 632-5 du code de l'éducation stipule qu’il faut passer les ECNi dans l’année de l’obtention du diplôme. Son diplôme étant daté du 9 juin 2021 en République tchèque, le CNG estime que Jonathan ne remplit par conséquent pas les conditions requises pour se présenter aux ECNi 2022. "Ça a été la panique. J’ai contacté tout le monde : le ministère de l’Enseignement supérieur, le préfet, les élus, des députés”, cite-t-il pêle-mêle, la voix éteinte. "C’était les vacances. J’ai eu peu de réponses au début. Le député Éric Girardin est allé poser une question sur mon cas à l’Assemblée nationale en novembre, il n’a toujours pas eu de réponse.”
Commencent alors des mois d’attente insoutenable. Il écrit à plusieurs reprises aux ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur, appelle...
à leurs cabinets, mais est systématiquement renvoyé vers le CNG. Début octobre, il reçoit un courrier officiel de l’instance indiquant qu’il ne pourrait pas s’inscrire, avec la possibilité de contester la décision devant le tribunal administratif de Paris, ce qu’il fait. “Le pire, c’est que le jour de l'audience, le CNG ne s’est pas présenté. Il n’y avait même pas d'avocat", regrette Jonathan. A l’issue, une médiation est proposée entre le jeune homme et le CNG, mais n’aboutit à rien.
En réalité, Jonathan se trouve dans une impasse. Il pourrait s’appuyer sur l’article R. 632-8 du code de l'éducation encadrant des dérogations possibles, comme les cas de force majeure. “Le problème, c’est que pour le CNG, je n’ai pas été officiellement refusé car je ne me suis pas inscrit. La dérogation aurait été possible dans mon cas, mais il aurait fallu que je m’inscrive, en sachant que je n’allais pas venir pour l’examen juste pour rentrer dans le bon cadre.” Seule possibilité encore à exploiter, celle de s’inscrire malgré tout aux ECNi 2022 pour de nouveau pouvoir contester la décision devant le tribunal.
"Pour le moment, médecine c’est foutu"
“Voilà où j’en suis. Mon diplôme est reconnu en France, mais je ne peux rien en faire. Médecine, c’est foutu”, souffle-t-il. A 30 ans, il est donc de retour chez ses parents le temps de trouver une solution. “On me dit que je peux peut-être obtenir une équivalence d’infirmier mais je n’ai rien trouvé en ce sens.”
Jonathan se dit aujourd’hui “résigné”. Il songe à s’inscrire en master de biologie. “Retour à la case départ”, grince-t-il. “Cela implique de retourner à l'université et refaire des études différentes. Ce qui est quand même une pilule difficile à avaler quand on vient juste d'être diplômé.” “A la maison c’est très dur. Je ne suis pas originaire d'une famille de médecins. Mes parents se sont sacrifiés pour payer mes études, et j'ai moi-même dépensé la quasi-totalité de mes économies. On s’attendait tous à célébrer mon diplôme et ça a tout gâché.” Le jeune homme nourrit d’autant plus de regrets qu’il comptait s’installer dans une zone sous-dotée, en retournant dans son village d’origine. “J’avais 3 options : médecin généraliste, médecin légiste ou médecin du travail. J’aurais pu les avoir.”
Et puis, le carabin est passé de la tristesse à la colère en découvrant que l’article R. 632-5 du code de l'éducation mis en avant par le CNG pour refuser sa candidature a été supprimé… en septembre 2021. “Si j’avais loupé l’examen du 9 juin, j'aurais dû le repasser en septembre après que le texte a été abrogé et là ça comptait bien pour les ECN 2022. En fait, si je passe mon examen, ma carrière est foutue. Si je rate mon diplôme et mon examen… tout va bien. Quelle est la logique ?” s’agace-t-il.
Recherches faites, le fonctionnement des ECNi est cadré à la fois par le code de l’éducation et par l’arrêté du 12 décembre 2021 publié au Journal officiel. Les textes qui ont été supprimés et qui concernaient Jonathan l’ont été dans le cadre de la réforme du deuxième cycle des études de médecine (R2C), applicable uniquement pour les étudiants en quatrième année actuellement. De plus, l’obligation de passer le concours des ECN lors de la dernière année de deuxième cycle est maintenue dans le cadre de la réforme. Le texte supprimé dont parle Jonathan l’a simplement été dans le cadre de la R2C mais son principe est aussi exprimé dans l’arrêté. Le nœud du problème réside en fait dans le fait que l’étudiant n’a pas formalisé d’inscription pour juin 2021.
Quelles options lui reste-t-il donc ? Outre celle de contester à nouveau son rejet devant le tribunal, Jonathan pourrait éventuellement terminer son internat en République tchèque, puis venir exercer en France via l’épreuve annuelle de vérification des connaissances (EVC). Or, là aussi, plusieurs problèmes se posent. “Il faut parler la langue. Moi, j’ai fait mes cours en anglais. J’ai des notions de Tchèque acquises lors de mes stages mais sans être bilingue, c’est galère pour la thèse. Si j’avais su que ça allait m’arriver, je m’y serais préparé, bien sûr. Mais je ne m’y attendais pas du tout…” Deuxième difficulté, dans le pays, il n’existe pas d’équivalent des ECN. Pour obtenir un internat, il faut postuler comme à n’importe quel travail. “Admettons que je prenne du temps pour apprendre le Tchèque à fond, je perds déjà un an. L’année suivante je postule à un internat… Mais ils vont bien voir que ça fait deux ans que je ne travaille pas et je ne suis pas sûr d’avoir une place là-bas. Je suis coincé.” Et puis il y a le coût des études tchèques, à 9.000 euros l’année, qu’il n’est pas en mesure de pouvoir financer. “Faire mon internat à l'étranger reviendrait à partir en exil, sans certitude de pouvoir un jour revenir en France. Je ne pense pas être capable d'imposer ce fardeau financier à mes parents, d'autant plus que ma mère a des problèmes de santé et que je veux rester proche d'elle”, assume-t-il aussi.
Écoeuré par les embûches de son parcours, il a baissé les bras. “Je suis résigné parce que je ne sais pas quoi faire de plus. A 30 ans, je suis maintenant financièrement ruiné et ma carrière médicale est anéantie.” Il regrette même de ne pas avoir raté ses examens à Brno. “Si je m’étais aperçu de ce problème avant, j'aurais pu m’en sortir en faisant exprès de rater mon examen…”
En attendant le retour de ses recours juridiques, qui ne devraient de toute façon pas tomber avant la session des ECN 2022 organisée à partir du 13 juin, Jonathan tourne en rond. Lui qui n’aime pas être dans la lumière, accepte de parler de son cas pour éventuellement faire bouger les choses. “Il est extrêmement dur pour moi d'entendre d'un côté les médias se lamenter du manque de médecins, et de l'autre subir cette situation car la loi française n'offre aucune solution en cas d'erreur”, estime le jeune homme. “Vous n’imaginez pas le stress que ça me cause. Ça fait huit mois que je ne pense qu’à ça. Je n'imaginais pas qu'un si petit détail pourrait détruire ma carrière”, conclut-il tristement.
*master = diplôme du deuxième cycle des études de médecine
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