Insuffisance cardiaque chez la femme jeune : des risques propres sous-estimés

03/11/2022 Par Alexandra Verbecq
Cardio-vasculaire HTA
Grossesses pathologiques, accouchements prématurés, infertilité, nulliparité… sont des facteurs de risque méconnus d’insuffisance cardiaque (IC) à court ou moyen terme.

  Sur le plan cardiovasculaire (CV), la grossesse induit une augmentation des contraintes correspondant à un équivalent d’activité sportive de la classification IIIC de Mitchell. « Pendant leur grossesse, les femmes subissent un très grand stress métabolique, hormonal et CV. L'adaptation cardiaque engendre une dilatation harmonieuse de toutes les cavités, avec apparition d’une hypertrophie physiologique comparable à celle du sportif de haut niveau », introduit la Dre Marjorie Richardson (Centre des valvulopathies, réseau Coeur et grossesse, Institut Cœur Poumon, au CHU de Lille). Il convient alors de détecter les signes de mal-adaptation qui pourront être des signes ultérieurs de défaillance cardiaque afin de prévenir potentiellement des événements futurs. Très fréquents (10% des grossesses), les désordres hypertensifs sont un premier facteur de risque (FDR) d’insuffisance cardiaque (IC). Ils regroupent l'hypertension artérielle (HTA) présente dès le départ, l’HTA gravidique apparaîssant à partir de 20 semaines et la pré-éclampsie (PE) qui est l’HTA gravidique associée à une protéinurie. Dans les formes très sévères, ils peuvent prendre la forme d’un HELLP syndrome avec des anomalies de coagulation et du bilan hépatique. « Ces désordres hypertensifs de la grossesse augmentent le risque d’IC, d'autant plus s'il y a une PE. Un registre de Caroline du Sud montre qu’ils sont d’autant plus marqués chez les femmes d'origine afro-américaine. Une très grande étude de cohorte d’un autre registre (Williams, JACC 2021) précise que la PE est aussi très fréquente (3 à 7 % des grossesses). Tous les médecins ont forcément des patientes ayant fait une PE. Il faut savoir que cette pathologie multiplie par deux le risque d'IC à fraction d’éjection (FE) préservée à long terme. Il convient de suivre ces femmes et de les orienter vers le cardiologue », poursuit la spécialiste. Un autre FDR d’IC pouvant être dépisté est un accouchement prématuré (naissance à moins de 36 semaines) et les retards de croissance (poids estimé à moins du cinquième percentile). « Une étude (Silverberg, JAMA Cardiol 2018) réalisée sur plus de 700 000 naissances a analysé le risque maternel de mortalité, d'IC et de troubles du rythme. Malgré l'ajustement sur tous les autres FDR CV (âge, obésité, diabète, PE, tabac, cholestérol, insuffisance rénale), ces travaux ont montré l’association du risque d'IC et de la prématurité spontanée. Et lorsque s’ajoute un retard de croissance, le risque d'IC et de décès est encore plus fortement associé. Ce marqueur de risques, différent des FDR CV habituels, est également à repérer parmi nos patientes », précise le médecin. L’infertilité est un autre FDR à repérer. Des études longitudinales (Lau, JACC 2022) réalisées dans le cadre de la Women’s Health Initiative (WHI) aux Etats-Unis, avec des suivis sur plus de 20 ans, ont révélé qu’un échec de conception supérieur à 1 an est associé à l'IC à FE préservée (indépendamment des FDR CV traditionnels et des FDR d’infertilité de type obésité, âge…). Pour la Dre Richardson : « Nous pouvons imaginer que les facteurs qui préexistent et qui conduisent à une infertilité chez ces patientes sont aussi ceux conduisant à de l'IC à FE préservée. D’ailleurs, ce sont plutôt des patientes ayant une infertilité d'origine ovarienne ou hormonale, donc des FDR indépendants. D’autre part, nous savons qu’une ménopause précoce augmente le risque CV. Dans la WHI, nous voyons que la durée totale de reproduction est inversement associée au risque d’IC ». Sur des suivis de 20 à 30 ans, la nulliparité se révèle être un autre FDR associé à l’IC à FE préservée avec un mécanisme également différent des FDR standards connus. Dans la WHI, lorsque sont regroupés les événements indésirables de la grossesse sur le plan CV (diabète gestationnel, HTA gravidique, PE, petit poids de naissance < 2,5 kg, macrosomie > 4,5 kg, prématurité), l’IC chez ces patientes est multiplié par deux.   Des risques liés à la grossesse « Le risque d'événements de type IC du post-partum doivent également être repérés pendant la grossesse. Ils ne sont pas rares et représentent une grossesse sur 1000. En général, nous parlons d’événements bruyants détectés avec une dysfonction ventriculaire gauche. Ces patientes sont à très haut risque et nous en voyons de plus en plus. L’incidence augmente avec les années. Dans les grosses séries américaines, ces patientes font, dans 13,5% des cas, des événements majeurs (décès, choc cardiogénique, oedème pulmonaire,…). Il existe aussi de nombreux événements « banalisés » comme une détresse respiratoire à l’accouchement, au cours d’une hémorragie de la délivrance.  Ces patientes passent par un service de réanimation ou de soins intensifs en post-partum sans que le mot IC ne soit écrit car leur FE est préservée. Elles sont aussi à risque et méritent un suivi. Lors de l’interrogatoire, un événement aigu réversible en post-partum, ou une hospitalisation en soins intensifs ou réanimation seront recherchés afin de les surveiller de façon adaptée », complète la spécialiste. Une conférence de consensus aux États-Unis en 2021 a mis en place des mesures de prévention CV chez les patientes jeunes ayant présenté des événements CV indésirables de la grossesse au sens large. Elles consistent à identifier et gérer les FDR CV, maîtriser l'HTA, inciter les patientes à adapter leur alimentation, à perdre du poids, à reprendre une activité physique ou encore à arrêter de tabac. Il n’existe pas encore de stratégie de traitement médicamenteux préventif validé mais de nombreux travaux sont en cours sur ce sujet.   Les bénéfices de l’allaitement sur la protection maternelle « L'allaitement maternel doit être encouragé non seulement en raison de ses effets bénéfiques chez le nouveau-né mais aussi pour ses bénéfices maternels. Sur le plan CV, il a un effet protecteur maternel. L’allaitement diminue l’indice de masse corporelle de façon proportionnelle à sa durée. Il réduit le risque de diabète, d'infarctus et d’AVC à long terme pour toutes ces patientes ayant eu des événements CV pendant la grossesse. Ainsi, dans le cadre de la prévention CV, il est nécessaire de parler des grossesses avec nos patientes. Cela doit devenir une routine dans notre consultation au même titre que parler du tabagisme », conclut le Dr Richardson.

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Martine Papaix Puech

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