soumission chimique

Soumission chimique et benzodiazépines : comment l’affaire des viols de Mazan vient questionner les médecins

C’est le propre de certaines affaires judiciaires de questionner la société dans son ensemble. Soulevant la problématique de la lutte contre les soumissions chimiques, dont Gisèle Pélicot devient la figure de proue, l'affaire, hors du commun des viols de Mazan, questionne aussi le rôle des soignants. Elle interroge notamment sur la prescription de benzodiazépine dans un pays qui en consomme trop et sur un meilleur repérage de ces soumissions chimiques.

27/09/2024 Par Dr Clément Guillet
Médicaments Psychiatrie
soumission chimique

L’affaire de Mazan choque la France. Pendant 10 ans, sous les traits d’un mari attentionné, Dominique Pelicot, droguait sa femme, Gisèle Pélicot, à son insu. Il la faisait violer par des hommes recrutés sur internet. De 2011 à 2020, on compterait plus 80 hommes en tout, dont 51 se retrouvent actuellement dans le box des accusés.

Ce procès tentaculaire défraye la chronique par le nombre d’inculpés, la durée des sévices endurées par la plaignante, mais aussi par le mode opératoire. Le mari droguait sa femme avec du lorazepam (Temesta) avant de la faire violer alors qu’elle était inconsciente sous l’effet des benzodiazépines. Cette affaire hors norme vient éclairer d’une lumière crue ce qu’est la soumission chimique en France.

Augmentation des cas de soumission chimique

Depuis 2003, lorsque les analyses toxicologiques l’ont permis, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) documente le phénomène. Dans un rapport annuel, elle relève d’abord une augmentation exponentielle du nombre de signalements pour des agressions facilitées par une substance. Pour l’année 2022, ce sont plus de 1297 cas signalés (+69% par rapport à l’année précédente), une augmentation à mettre en lien avec le mouvement de libération de la paroles Metoo.

L'ANSM définit la soumission chimique comme « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violence volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu ou sous la menace ». Elle distingue les soumissions chimiques vraisemblables - lorsqu’une ou plusieurs substances non déclarées par la victime sont identifiées - des soumissions chimique possibles lorsque les données cliniques ou toxicologiques ne permettent pas de conclure.

En augmentation par rapport aux chiffres de l’années précédente, les cas de soumission chimique vraisemblables représentent 97 cas pour l’année 2022. Ce sont le plus souvent des femmes qui en sont victimes (82,5%/80 cas), âgées de 9 mois à 90 ans, dont 23 mineurs. Pour les hommes comme pour les femmes, les agressions sexuelles représentent la majorité des cas (62,9%/61 cas).

Majorité de traitement sédatifs


Au fur et à mesure des rapports, l’ANSM relève une constante qui va à l’encontre des idées reçues : les médicaments sédatifs détournés sont plus utilisés que les drogues. Dans 56,7% des cas, ce sont des médicaments qui sont retrouvés dans les analyses. Arrivent en tête, les benzodiazépines et apparentés (25%), les antihistaminiques (12,6%), les opioïdes (11%) et d’autres sédatifs (7,9%) parmi lesquels les neuroleptiques.

Parmi les benzodiazépines, on retrouve notamment le bromazepam, le zopiclone, le diazepam ou encore le zolpidem. Comme dans l’affaire Mazan, un cas de soumission au Temesta a été signalé en 2022 et 4 cas en 2021. Parmi les antihistaminiques, c’est l’hydroxyzine (Atarax) qui arrive en tête (5 cas) ; parmi les opiacés, on retrouve notamment la codéine et le tramadol (5 cas chacun).

De leur côté, les drogues sont utilisées dans 43,3% des cas de soumission chimique. La MDMA et la cocaïne arrivent en tête avec 12 cas recensés (21%), Le GHB/GBL – souvent qualifié de drogue du violeur - représente 6 cas (10%).

Un constat s’impose : les soumissions chimiques sont en majorité réalisées via des médicaments sédatifs détournés de leur usage, qui peuvent être obtenus facilement auprès d’un médecin, comme c’est le cas dans l’affaire Mazan.

Limiter les prescriptions de benzodiazépines

Chef d’orchestre criminel, Dominique Pelicot utilisait du Temesta et parfois aussi du zolpidem (Stilnox) pour droguer sa femme. Sur plusieurs années, le septuagénaire se serait fait prescrire plusieurs dizaines de boîtes de l’anxiolytique via son médecin généraliste, pour un total de 780 comprimés. La prescription de benzodiazépines, d’utilisation très courante, peut-elle être mieux encadrée ?

Le clonazepam (Rivotril) est un cas d’école. Dans les années 2000, cette benzodiazépine utilisée largement comme anxiolytique, hypnotique et antiépileptique, avait été identifié comme sujette à un usage détourné pour des cas de soumission chimique. Elle représentait la première molécule utilisée dans ce contexte.  En 2011, la prescription initiale a donc été restreinte aux seuls pédiatres et neurologues, à l’exception d’une parenthèse durant la crise sanitaire du Covid-19 pour accompagner la fin de vie. Il a même été envisagé d’ajouter un colorant pour la solution buvable, pour limiter les risques. Cela avait été fait pour le flunitrazépam (Rohypnol), qui a finalement été retiré du marché en 2013, car trop fréquemment utilisé pour des soumissions chimiques.

Plus récemment, c’est le Stilnox qui s’est vu pointé du doigt, mais cette fois en raison du risque de dépendance et de trafic. Depuis 2017, il nécessite une prescription sécurisée. Ces mesures peuvent être-elle être efficaces pour limiter les cas de soumission chimique ? Pas sûr.

La restriction du Rivotril avait logiquement entrainé une chute de son utilisation en général et dans les cas de soumission chimique en particulier (3 cas en 2020 et aucun en 2021 et 2022). Mais l’utilisation de benzodiazépines pour les soumissions chimiques s’est déplacée vers d’autres molécules de la même catégorie dans un pays qui reste un très gros consommateur de ces produits : la France se situe régulièrement dans les premiers consommateurs de benzodiazépines en Europe.

Comment repérer les cas de soumission chimique ?

L’affaire Mazan soulève une autre problématique pour les soignants : le repérage des cas de soumission chimique. Depuis des années, Gisèle Pélicot présentait des troubles de la mémoire, de la confusion et une forte somnolence après le week-end où elle avait été droguée. Elle avait consulté deux neurologues, l’un avait évoqué un ictus amnésique et le second un trouble anxieux.

Quand et comment évoquer un cas de soumission chimique quand on est médecin ? Les praticiens de villes ou les urgences peuvent-ils améliorer leur pratique en ce sens, notamment par des dosages urinaires ou sanguins plus fréquents ?  Le Collège de la médecine générale a commencé à se saisir du sujet dans le cadre de groupes de travail portant sur la prévention des risques des psychotropes et les violences intrafamiliales.

L’ANSM rappelle dans son rapport quelques éléments qui peuvent attirer l’attention des soignants. Plus d'un cas sur deux rapporte une amnésie des faits (60 cas). Des troubles de la vigilance et autres troubles neurologiques, troubles du comportement et troubles somatiques divers sont également rapportés. L‘administration de la substance a lieu majoritairement dans un contexte festif pour les victimes adultes contrairement aux victimes enfants pour lesquels le contexte privé demeure en première position. Enfin, les auteurs sont souvent connus des victimes (43,3%/42 cas) et des proches pour les enfants.

La vente libre d'ibuprofène devrait-elle être interdite?

Armand Moraillon

Armand Moraillon

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D'une part, Il me semble que les pharmaciens connaissent mieux les effets nocifs des médicaments et des associations médicamenteus... Lire plus

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