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Congrès de l'ESH 2024 : quelles nouveautés dans la prise en charge de l'HTA ?

Le 33ème congrès de la Société européenne d'hypertension (ESH), qui s'est tenu à Berlin du 31 mai au 3 juin 2024, a rassemblé près de 2 000 participants. Le congrès a été l’occasion de présenter un nouveau document dédié aux médecins généralistes, synthétisant les dernières recommandations de l’ESH pour la gestion de l’HTA. De nombreuses perspectives thérapeutiques ont aussi été évoquées. 

20/06/2024 Par Alexandra Verbecq
ESH 2024
HTA.

"Le point le plus important pour la communauté des médecins généralistes est la présentation des recommandations ESH simplifiées 2024 réalisées par un large groupe d’experts de l’ESH, constitué notamment de médecins généralistes et d’internistes", a annoncé la Dre Marilucy Lopez-Sublet, interniste, cheffe de l'unité de médecine interne et HTA, centre d’excellence ESH en HTA au CHU d’Avicenne (Bobigny, 93) et secrétaire scientifique à la Société française d'hypertension artérielle. Ces guidelines pratiques sur l’hypertension, dont la publication est imminente ("2024 ESH Clinical Practice Guidelines for the management of arterial hypertension", Archives of Internal Medicine), sont destinées à tous les médecins intéressés par l’HTA, en particulier les généralistes. Ce document très synthétique, schématique et clinique résume, en quelques pages seulement, les recommandations de l’ESH 2023 (publication de 198 pages). "Quatre chapitres importants y sont abordés : la mesure de la pression artérielle, la prise en charge du patient, le choix du traitement, l’évaluation de la réponse globale. Ce document reste novateur par la simplification des messages notamment pour les collègues généralistes", se réjouit la spécialiste.

Ce document intègre les nouvelles molécules dans la prise en charge. "Les différents congrès internationaux, en cardiologie, en néphrologie, en diabétologie et dans l’HTA, ont intégré la place de molécules récentes, comme les iSGLT2, les analogues du GLP-1, les inhibiteurs du récepteur minéralocorticoïde et d'autres inhibiteurs du système rénine-angiotensine, aujourd’hui reconnues pour leurs effets protecteurs cardiaques et/ou rénaux. Il est très important de savoir quelle est leur place dans la prise en charge et à quels patients les proposer en se référant aux recommandations EHS 2023", souligne la Dre Lopez-Sublet.

Autre point fort du texte : "Les bêta-bloquants ont été 'réhabilités' dans la prise en charge de l’HTA. À présent, ils peuvent être administrés en première ligne également (Mancia et al. Journal of Hypertension. 2023)", indique le Pr van de Borne, chef du service cardiologie à l’Hôpital Universitaire de Bruxelles, qui poursuit : "D’autre part, une revue de la littérature (Elena Manta et al., Hypertension février 2024) a montré que les bétabloquants pouvaient également réduire les AVC, aussi bien que la majorité des classes d'agents anti-hypertenseurs concluant ainsi qu’il n’existait pas de raison de les mettre en dernier choix parmi les molécules pouvant être utilisées ".

Par ailleurs, ces recommandations abordent aussi l’HTA des patients d’ascendance africaine, qui demande une prise en charge spécifique. En effet, l’HTA chez les patients "à peau noire" a une prévalence supérieure et grandissante par rapport aux autres ethnies. Chez ces sujets, l’atteinte des organes cibles est plus précoce et sévère. Ils ont une moins bonne réponse aux traitements médicamenteux classiques. "Une session a rappelé l'importance des associations avec les inhibiteurs calciques et les diurétiques thiazidiques dans la prise en charge de ces patients. Les classes à privilégier dans cette population, et qui sont efficaces, sont aussi précisées dans les recommandations de l’ESH 2023", mentionne le Dr Lopez-Sublet.

Plusieurs présentations ont, en outre, rappelé l'importance de prescrire un traitement combiné dès que l'HTA est de grade 2 et/ou que le patient est à haut risque cardiovasculaire. "Ce traitement comprend généralement deux molécules associées afin d'avoir un meilleur contrôle de la PA et pouvoir la normaliser rapidement : un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un antagoniste de l’angiotensine II, d’une part, et d’autre part, un anticalcique ou un diurétique (hydrochlorothiazide, indapamide,…)", précise le Pr van de Borne. 

 

Prise en charge de l’HTA de la femme : insister sur 3 périodes clés

La femme connaît trois stades importants dans sa vie pour le risque cardiovasculaire - celui de la prescription d’une pilule, celui de la grossesse, celui de la ménopause. Le risque cardiovasculaire ou de complications de la maladie cardiovasculaire chez la femme doit être évalué à chacune de ces étapes. "Une mauvaise prescription de pilule peut aggraver ce risque chez certains profils (tabac, antécédents de phlébites, surpoids, sédentarité…). La grossesse entraîne des désordres hypertensifs. Avec le mode de vie actuel, les femmes arrivent en moins bonne santé pour affronter une grossesse et développent plus facilement de l’HTA et du diabète gestationnel, explique la Dre Lopez-Sublet. Enfin, la ménopause entraîne une carence en oestrogènes impactant l’effet 'protecteur cardiovasculaire' de ces hormones. Non seulement la femme rattrape l'homme, mais le dépasse du fait du cumul de tous ces facteurs. Aujourd'hui, la maladie cardiovasculaire est la première cause de décès chez la femme. La consultation d'une femme doit ainsi être menée différemment de celle d'un homme. Sous l’égide du Pre Claire Mounier-Véhier, nous avions rédigé un consensus d’experts intitulé " HTA, hormones et femme. Il est accessible sur le site de la SFHTA."

 

Risque cardiovasculaire résiduel : l’inflammation en cause

Des études cliniques en cours visent à agir sur "l’inflammasome". "Lorsqu’un patient à haut risque cardiovasculaire a une tension artérielle et des taux de LDL-cholestérol et triglycérides contrôlés, qu'il arrête de fumer, qu'il perd du poids et que son diabète est bien contrôlé, il persistera malgré tout un risque cardiovasculaire 'résiduel' non négligeable en dépit du contrôle des facteurs de risques conventionnels. Ce risque résiduel est médié par différents facteurs dont notamment l’inflammation", explique le Pr Philippe van de Borne. En effet, favorisée par l’athérosclérose et l’athérome, l’inflammation présente au niveau des parois vasculaires pourrait être l’un des mécanismes impliqués dans ce risque résiduel. 

Des études cliniques concernant un grand nombre de nouvelles molécules (Arglabina, Miltefosine, Anakinra, Rilonacept, Tocilizumab, Ziltivekimab, MCC950a,…) sont actuellement en cours. Elles visent à agir sur "l’inflammasome", c’est à dire l'ensemble des paramètres intervenant dans l'inflammation, pour essayer d'abaisser davantage le risque de récidive après un événement cardiovasculaire (Anouar Hafiane et al., Pharmacol Res., avril 2022).

 

Urgences hypertensives : la conduite à tenir précisée

L’HTA maligne se caractérise par une élévation excessive de la pression artérielle (PA), des lésions microvasculaires aiguës et une défaillance ischémique de plusieurs organes. Une revue de la littérature issue du registre Hama réalisée par une équipe française (Boulestreau R et al. Malignant hypertension: a systemic cardiovascular disease ; JACC Review Topic of the week 2024) a résumé les points de vue actuels concernant la pathogenèse et la prise en charge de l’HTA maligne, et proposé des stratégies pour en améliorer la prise en charge.

La PA doit être abaissée en quelques heures, mais il faut tenir compte de plusieurs paramètres. Son niveau absolu et le rythme de son augmentation déterminent le risque de lésion des organes cibles. La non-observance du traitement antihypertenseur est fréquente dans l’HTA maligne bien qu'un traitement anti-angiogénique et immunosuppresseur puisse également déclencher des urgences hypertensives. Selon la présentation clinique, un traitement parentéral ou oral permet d’initier une baisse de la PA. Avec un traitement efficace, le pronostic est amélioré mais les patients restent exposés à un risque élevé d’effets indésirables cardiovasculaires et rénaux. "De nombreux centres d’excellence, comme le mien, participent à l'inclusion des patients dans ce registre initialement français, désormais européen. Nos collègues généralistes étant aussi confrontés à des urgences hypertensives, je pense qu’il est essentiel qu’ils prennent connaissance de ce papier important", souligne la Dre Lopez-Sublet. 

 

Place à l’innovation

De nouveaux dispositifs associant l’automesure tensionnelle à un électrocardiogramme permettant de détecter les anomalies du rythme cardiaque se développent. C'est un sujet important puisqu'en réalisant des mesures à domicile, le patient peut non seulement préciser les mesures prises lors des consultations mais également être mieux sensibilisé et motivé dans la gestion de sa pathologie", rappelle le Pr van de Borne. 

Ces dispositifs combinent les fonctions tensiomètre et la possibilité de réaliser un enregistrement électrocardiographique. "En posant simplement un doigt de chaque main sur les deux petites zones métalliques présentes sur l’appareil, le patient obtient simultanément à la mesure de sa tension, un enregistrement de son ECG. Ces équipements permettent la détection précoce de fibrillations auriculaires, fréquentes chez le patient hypertendu et sous-diagnostiquées. L’ajout de la fonction ECG est un avantage majeur", souligne le médecin.

 

Perspectives médicamenteuses

De nouvelles molécules capables de bloquer de manière sélective et spécifique la production d’aldostérone s’annoncent. Actuellement, les antagonistes non-spécifiques de l’aldostérone disponibles, comme la spironolactone ou l’éplérénone, bloquent également d'autres récepteurs hormonaux entraînant des effets secondaires. "Désormais, des molécules sont synthétisées bloquant spécifiquement la production d’aldostérone (Mason W. Freeman et al., N Engl J Med 2023). En effet, jusqu'à récemment, on ne savait pas le faire sans bloquer également la production du cortisol. La chaîne enzymatique produisant l’aldostérone se trouvant juste à côté de celle synthétisant le cortisol. Cela ouvre des perspectives intéressantes pour le traitement de l'HTA résistante, pour celui des hyperaldostéronismes primaires éventuellement, et au-delà, pour le traitement des patients ayant diverses formes d'insuffisance cardiaque", s’enthousiasme le Pr van de Borne.

Plusieurs autres molécules sont actuellement en phase II et III. "Ce sont des avancées intéressantes ouvrant de nouvelles perspectives dans l’HTA. Une récente publication fait le point sur les essais en cours (Redon J. and Carmena R. Present and future of drug therapy in hypertension: an overview ; Blood pressure 2024)", rapporte la Dre Lopez-Sublet. Les récents traitements anti-hypertenseurs visent à abaisser la tension artérielle tout en ayant une action de protection supplémentaire contre les lésions organiques et les troubles métaboliques. Certaines molécules, introduites pour d’autres indications, sont testées dans l’HTA (iSGLT2, agonistes du GLP-1, valsartan/sacubitril). D’autres s’appuient sur une approche pharmacogénomique (action ciblant l’ARNm de l’angiotensinogène et agoniste du récepteur 1 du peptide natriurétique). D’autres encore ciblent de nouvelles voies (un inhibiteur sélectif et spécifique de l’aminopeptidase A empêche la production d’angiotensine III au niveau du cerveau). Enfin, des voies d'administration, comme l'injection sous-cutanée, sont également à l'étude pour améliorer la protection et l’observance.

 

Patient hypertendu contrôlé à faible risque : faut-il arrêter la monothérapie ?

Selon l’étude Stop-Trial, 36% des patients à faible risque cardiovasculaire contrôlés par monothérapie ou bithérapie faiblement dosée ne sont plus hypertendus un an après l’arrêt de leur traitement. Alors faut-il arrêter la monothérapie pour ces patients? "Si le patient hypertendu est bien contrôlé, même s’il est maintenant à faible risque cardiovasculaire, le fait d’arrêter son traitement augmentera sa pression artérielle et conduira inévitablement à une augmentation de son risque cardiovasculaire”, considère le Pr Van de Borne.

Bien sûr, dans certaines situations à faible risque, les mesures hygiéno-diététiques pourraient normaliser la pression artérielle, permettant de réduire la dose de l’antihypertenseur ou même éventuellement de l’arrêter. “Il faut néanmoins rester très prudent, car ces patients on une propension à aggraver leur hypertension artérielle en vieillissant, et il faudra souvent redémarrer un traitement hypotenseur par la suite, poursuit le spécialiste. Une surveillance régulière de la pression artérielle s’impose donc après un arrêt thérapeutique”. 

Enfin, il ne faut pas négliger les effets délétères même d’une légère augmentation de la pression artérielle sur le risque d’accident vasculaire cérébral. Ainsi, chez un patient diabétique, pour chaque réduction de 5 mmHg de la pression artérielle systolique, le risque de faire un accident vasculaire cérébral diminue de 13%, et ce risque diminue de 11,5% pour chaque réduction de 2 mmHg de la pression diastolique (Stroke. 2018 Mar; 49(3): 772–779).

 

La Dre Marilucy Lopez-Sublet déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour : Ablative solutions, Amgen, Astra Zeneca, IQVIA, Leurquin Mediolanum,  Medtronic, Novartis, Omron, Servier, Theradial.

Le Pr van de Borne déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Amarin, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Daiichi Sankyo, GlaxoSmithKline, Lilly, Menarini, Novartis, Novo Nordisk, Pfizer, Sanofi. 

 

La musicothérapie : des bienfaits sur l'HTA

Une session s’est intéressée aux effets de la musicothérapie. La musique agit, en effet, sur le système nerveux autonome, régulateur notamment de la tension artérielle, du rythme cardiaque et de la fréquence respiratoire. "L’utilisation de cette technique est grandissante dans le monde médical, en particulier pour les pathologies chroniques. Les bienfaits de la musicothérapie sur l’HTA sont prouvés", indique le Dr Lopez-Sublet. La musique doit bien entendu être tranquillisante et non excitante.

Les centres d'excellences en HTA : interlocuteurs du médecin généraliste

Le congrès de l’ESH a été l’occasion de réunir les Centres d'Excellence Européens en HTA. En France, il en existe quinze, répartis sur le territoire. Ils ont pour vocation d'accueillir les patients hypertendus complexes nécessitant un avis d’expert. "Première cause de consultations en médecine générale, l’HTA concerne 17 millions de patients dont 10% ont des hypertensions sévères, résistantes ou rares. Il est important que nos collègues généralistes puissent échanger sur les cas complexes avec les spécialistes de ces Centres d’Excellence en HTA". L’annuaire de ces centres figure sur le site de la Société Française d'Hypertension Artérielle, www.sfhta.eu.

Références :

Sources : D’après des entretiens avec la Dre Marilucy Lopez-Sublet (CHU d’Avicenne, Bobigny, 93), et le Pr Philippe van de Borne (Hôpital Universitaire de Bruxelles).

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