enfant qui ne mange pas

Devant un enfant "qui ne mange pas bien", quand s’inquiéter ?

Devant un nourrisson ou un petit enfant qui "ne mange pas", il convient d’éliminer une pathologie organique, génétique ou encore psychiatrique. Ces troubles peuvent être regroupés sous l’acronyme TCAPE, pour "Trouble des conduites alimentaires du petit enfant". Lorsque le trouble est fonctionnel, de nombreuses astuces ou stratégies peuvent être mises en place par le médecin généraliste.

10/12/2024 Par Dre Marielle Ammouche
JNMG 2024 Nutrition Pédiatrie
enfant qui ne mange pas

La prévalence des difficultés alimentaires chez les enfants est difficile à estimer et très variable en fonction des études, car cela dépend des différents critères pris en compte. Ainsi, elle est estimée entre 28 et 70% à 1 an, et entre 6 et 60% à 3-7 ans. Après évaluation médicale, on estime qu’environ 2 à 3% des enfants de moins de 6 ans présenteraient de réelles difficultés alimentaires.

Deux échelles permettent d’objectiver ces troubles. L’échelle de Montréal, qui s’adresse aux enfants de 6 mois à 6 ans, comprend 14 questions et permet d’établir s’il existe des difficultés alimentaires et à quelle intensité. Chez le bébé de moins de 6 mois, on utilise l’échelle de comportement alimentaire (BEBQ), qui comprend 18 questions.

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Ces échelles permettent de faire la différence entre les variantes de la normale, les difficultés et les véritables troubles, dont il faut s’occuper médicalement, explique le Dr Marc Bellaïche (hôpital Robert-Debré, Paris, et Hôpital américain, Neuilly-sur-Seine, 92). Elles servent aussi pour le suivi de l‘enfant.

Différents facteurs de vigilance

Plusieurs éléments interviennent dans les difficultés alimentaires. En premier lieu, le timing. Les difficultés alimentaires surviennent en effet, le plus souvent, aux moments d’acquisition de nouvelles compétences (diversification alimentaire, introduction des morceaux, sevrage de l’allaitement, …).

Il existe une néophobie, entre 12 mois et 3 ans, qui est normale. Elle est d’ordre sensorielle et gustative. Elle succède à une période de néophilie, qui doit correspondre aux moments de diversification (entre 4 et 6 mois), et d’acquisition de nouvelles textures (entre 6 et 12 mois). « Si cette période de néophilie se passe bien, la période de néophobie va se raccourcir », explique le Dr Bellaïche. A savoir que la période de néophilie, qui permet de diversifier le panel alimentaire, commence dès la période in utero.

Si la période de néophobie se prolonge au-delà de 3 ans, par exemple lorsqu’un enfant refuse de manger certains aliments, cela devient un handicap.

Evaluer les apports sur le plan quantitatif et qualitatif

Comment savoir si on est dans une difficulté alimentaire ou un véritable trouble des conduites alimentaires ?

Il faut tout d’abord évaluer si l’enfant mange assez de calories. Il existe un moyen simple de le calculer. En dessous de 1 an, le bébé doit manger environ 100 kcal/kg, pour avoir une croissance optimale. Ensuite un enfant de 3 ans doit manger environ 1300 kcal/ jour, un enfant de 6 ans, 1600 kcal/jour. Et le site Ciqual permet de calculer les calories apportées par les aliments.

Ensuite, l’enfant est-il dénutri ? Pour cela, on utilise l’indice de Kanawati qui correspond au périmètre brachial/ périmètre crânien, et qui définit 4 catégories : absence de dénutrition (indice supérieur ou égal à 0,31); dénutrition légère, modérée et sévère. En cas de dénutrition, l’enfant doit être adressé à un spécialiste.

Sur le plan qualitatif, 4 nutriments sont à regarder en particulier : le fer, le calcium, le DHA, et les phytonutriments. En cas d’insuffisance, le lait de croissance est fondamental.

Eliminer de véritables troubles

Parfois on est dans un véritable trouble. Ainsi, il existe des cas de scorbut – une cinquantaine de cas par an en France – qui peuvent survenir chez des enfants qui mangent très mal, par exemple en cas de consommation uniquement des frites et de nuggets. 

Il s’agit de cas psychiatriques de troubles des conduites alimentaires avant l’âge de 6 ans, caractérisés par une sélectivité alimentaire extrême, appelé Avoidant restrictive food intake disorders (Arfid). Ce trouble peut être retrouvé chez des enfants qui ont des profils de personnalité particulier (anxiété, repli social), et qui ont peur de manger. Ils ont une diminution du poids, de l’état nutritionnel. Les compléments alimentaire oraux sont là, indispensables. Certains sont remboursés par la Sécurité sociale.

Par ailleurs, souvent, les troubles des conduites alimentaires sont liés à l’autisme. Ainsi chez 20% des enfants autistes, le premier signe d’appel était un TCA.

Globalement ces troubles peuvent être regroupés sous l’acronyme TCAPE, pour "Trouble des conduites alimentaires du petit enfant".

Dans la stratégie thérapeutique, il convient alors de rechercher une pathologie chronique, génétique (petit poids de naissance, problème cardiaque, …) ou psychiatrique. Mais attention à ne pas confondre les symptômes de TCAPE (enfant qui ne mange pas bien) avec une allergie alimentaire, dont le traitement par éviction risquerait d’aggraver le TCAPE. De même, attention à ne pas donner un IPP (pour œsophagite) si cela n’est pas nécessaire.

Trois phénotypes

Pour mieux comprendre ces TCAPE, une étude a été réalisée à l’hôpital Robert-Debré (Paris) sur 244 enfants de 1 à 6 ans recrutés au sein de la consultation multidisciplinaire dédiée, non dénutris, et n’ayant pas de carence. Ces enfants ne présentaient pas de troubles organiques ou psychiatriques. Ils ont été comparés à 109 enfants témoins. Cette étude a permis en mettre en évidence 3 phénotypes : les petits mangeurs, les enfants qui ont peur de manger, et ceux ayant une alimentation sélective.

Les petits mangeurs ont généralement des antécédents familiaux chez l’un des deux parents, une croissance staturo-pondéral modeste mais régulière, un bilan biologique normal. Souvent, ils ont du mal à rester en place au moment des repas. La prise en charge repose alors sur la réassurance des parents. « Il faut leur expliquer que c’est une variante de la normale, qu’il y a une composante génétique et biologique », détaille le Marc Bellaïche. Il n’y a pas lieu de leur donner des compléments nutritionnels oraux qui risqueraient de les caler encore plus. Il faut leur donner une liberté d’action psychomotrice. On peut, par exemple, organiser régulièrement des « pique-niques ludiques » qui permettront petit à petit à l’enfant de se calmer au moment des repas. La prise en charge est du ressort du médecin généraliste.

Deuxième phénotype : les enfants qui ont peur de manger, ce qui correspond à un syndrome anciennement appelé anorexie post-traumatique du petit nourrisson (par exemple en cas de sondage, d’intubation, de fausses-routes, etc…). « Il faut faire de l’approche comportementale en fonction de leur âge, et on arrive ainsi facilement à accompagner et à rassurer ce petit patient. » Ces enfants doivent être adressés une première fois à un spécialiste, mais peuvent ensuite être suivis en médecine générale.

Enfin le dernier phénotype est représenté par les enfants ayant une alimentation sélective. Elle est dite très sélective en dessous de 10 aliments. Cette sélectivité peut être lié à la couleur (vert, blanc, orange), ou à des textures - ce qui fréquent et qui correspond aux enfants ne mangeant pas de morceaux ou de grumeaux.

Sur le plan développemental, l’étude a permis d’identifier certaines caractéristiques des enfants TCAPE. Ils présentent souvent un léger retard de langage par rapport à la population contrôle. En outre, ils ont souvent eu un défaut d’exploration des objets ou moment où cela se fait normalement, entre 6 et 10 mois de vie (stade oral). A cet âge-là, « il faut travailler le main-bouche » confirme le Dr Bellaïche. Il ressort de cette étude aussi la notion de stress au moment du repas. En outre, ces enfants présentent souvent une hyper-irritabilité sensorielle : mal-à-l’aise quand on les touche, volonté de s’essuyer les mains….

Ces situations -ni organiques, ni psychiatriques, ni génétiques, ni éducationnelles- constituent les TCAPE fonctionnels (Functional toddler feeding disorder). Ils font partie des troubles intestinaux. Ainsi, les difficultés alimentaires seront introduites dans les prochains critères de Rome IV, qui définissent les troubles fonctionnels intestinaux (TFI). Ces enfants présentent ainsi souvent des TFI associés, en particulier des difficultés d’exonération. Il faut donc traiter cette constipation pour améliorer les difficultés alimentaires.

Difficultés alimentaires : Que faire ?

Pour lutter contre l’irritabilité sensorielle présente chez les enfants TCAPE, il faut tout d’abord respecter l’évolution neuropsychologique de l’enfant. Par exemple, ne pas forcer la marche avec des trotteurs.

Ensuite, chez ces enfants, il faut mettre en place une désensibilisation sensorielle. Si les enfants n’arrivent pas à toucher les aliments, il faut leur faire toucher des objets non alimentaires. Il faut développer tous les sens.

Au moment des repas, il faut soigner la présentation des aliments sur l’assiette, l’installation de l’enfant ; utiliser du matériel adapté (cuillère, …). Il faut aussi, bien sûr, ne pas le forcer, ne pas faire durer le repas, ne pas trop remplir les assiettes, ne pas utiliser des textures mixtes, et ne pas servir d’eau pendant les repas. "L’alimentation doit devenir un plaisir", résume le Dr Dellaïche. 

Références :

D’après la présentation du Dr Marc Bellaïche (Hôpital Robert-Debré, Paris, et Hôpital américain, Neuilly-sur-Seine, 92) aux Journées nationales de médecine générale (JNMG, 10 et 11 octobre 2024, Cnit Forest de Paris-La Défense).

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