Ostéoporose : mettre un terme à l’inertie thérapeutique, enfin !

25/01/2024 Par C.G.
Rhumatologie

L’épidémiologie nationale de l’ostéoporose et de ses conséquences est plus qu’inquiétante. Elle invite à préciser certains éléments physiopathologiques et de prise en charge, pour améliorer le repérage des patients à risque et leur prise en charge.   Si on sait depuis plusieurs années que les chiffres nationaux concernant la prise en charge de l’ostéoporose sont mauvais, elle devient encore plus inquiétante une fois mise en perspective avec d’autres pays. Ainsi, selon une étude épidémiologique menée entre 2005 et 2018 dans 19 pays, l’incidence des fractures de hanche en France gravite autour de la moyenne internationale (239 pour 100 000), mais la tendance nationale est à la hausse, alors que la tendance générale est plutôt à la baisse. Le chiffre des prescriptions de médicaments antiostéoporotiques post-fracture est aussi en baisse régulière, atteignant moins de 10% des patients français éligibles. Et les chiffres de mortalité post-fracture seraient aussi en hausse. Une autre étude australienne a, par ailleurs, confirmé que le dépistage et la prise en charge de l’ostéoporose augmente avec l’âge et le nombre de comorbidités des patients (Bliuc, PLoS Med., 2023). Avec le vieillissement, le nombre de fractures devrait augmenter de 25% entre 2019 et 2034. Et le coût de ces fractures, estimé à près de 7 milliards d'euros sur 2019, devrait aussi s’envoler...   Mieux évaluer le risque individuel Une des difficultés est l’imperfection des mesures d’ostéodensitométrie. Premier exemple : les femmes ménopausées ayant une fracture ostéoporotique ont une DMO normale ou subnormale dans plus de la moitié des cas. Cela s’expliquerait par une microarchitecture osseuse différente. Selon les données récentes d’une cohorte de femmes ménopausées avec DMO normale, celles qui avaient eu une fracture au cours d’un suivi de 15 ans avaient un profil comparable à celles qui n’en avaient pas eu (sociodémographie, anthropométrie, densitométrie), mais présentaient en revanche des différences de qualité osseuse, selon le microscanner périphérique : épaisseur des travées corticales et trabéculaire, résistance osseuse. Une autre étude française, menée dans la filière fracture d’un centre tertiaire, s’est cette fois penchée sur les spécificités des sujets en situation d’obésité : menée auprès de patients ayant eu une fracture dans les 12 derniers mois, elle a mis en évidence que ceux-ci avaient en moyenne des valeurs de T-score inférieurs d’environ un point par rapport aux sujets non obèses que ce soit au niveau de la hanche (-1,8 vs -0,7), du rachis (-1,6 vs - 0,7) ou du fémur (-2,1 vs -1,5 , p<0,001 pour tous), une fois les paramètres d’importance ajustés.   Une fracture sous traitement n’est pas nécessairement un échec La survenue d’une fracture sous traitement doit toujours inviter à rechercher une cause secondaire de fractures (dysthyroidie, dysparathyroidie, myélome...), et donc à réaliser un bilan biologique avant de prendre une décision thérapeutique. Une fois cette hypothèse écartée, la question du traitement de l’ostéoporose peut être évoquée : et si la survenue de cette fracture est vécue comme un échec par le patient, elle ne l’est pas forcément sur le plan scientifique. D’abord parce que si les traitements antirésorbeurs conduisent à une réduction importante de 30 à 70 % du risque de fracture vertébrale, aucune étude ne montre un taux zéro de fracture sous traitement. Ensuite parce qu’il est difficile de déterminer si un patient qui se fracture sous traitement est en échec ou a bénéficié d’un sursis avant la survenue de ce premier événement. De plus, une fracture sous traitement n’impose pas forcément de changer de traitement pour avoir une meilleure efficacité thérapeutique et éviter une seconde fracture. D’ailleurs, plusieurs études montrent qu’après un premier événement, le risque d’une nouvelle fracture est élevé dans les deux années suivantes, mais il est inférieur chez ceux qui sont sous traitement par rapport aux autres. À l’inverse, ne pas avoir de fracture sous traitement ne signifie pas que ce dernier est efficace. Le spécialiste a rapporté une définition de l’échec thérapeutique, proposée par l’IOF (International Osteoporosis Foundation) en 2012 qui n’a pas été actualisée depuis : il pourrait être évoqué après deux fractures sous traitement, ou une seule fracture sous traitement en cas d’éléments associés évocateurs (marqueurs de remodelage osseux ou densité minérale osseuse n’ayant pas évolué de manière attendue), ou encore si ces marqueurs n’évoluent pas en l’absence de fracture.   Aide des biomarqueurs Les marqueurs d'échec thérapeutique pour les médicaments anti-résorptifs reposent sur le suivi du dosage des CTX sériques. Des études récentes suggèrent que c’est la variabilité de ce taux qui pourrait être significative. D’autres dressent le même constat pour le taux de PINP sérique, un autre biomarqueur du remodelage. Leur combinaison pourrait aider à augmenter la sensibilité de la définition de l’échec. Si l’échec d’une première ligne de bisphosphonates est confirmé, le denosumab ou le tériparatide peuvent être envisagés, le second semblant plus adapté aux situations complexes (fractures récurrentes vertébrales, DMO vertébrale non améliorée sous traitement). Il est aussi important de savoir qu’après plusieurs années de traitement par dénosumab, on note souvent l’apparition d’Ac neutralisants qui réduisent le contrôle des taux de CTX à distance de l’injection. « Il ne s’agit pas d’un échec à proprement parler, mais d’un relâchement plus précoce des effets du dénosumab. Dans ce cas, réduire le délai d’administration de 6 à 5 mois peut aider à maintenir la suppression du remodelage», souligne le Pr Serge Ferrari (Hôpitaux universitaires de Genève). Le tériparatide peut éventuellement lui être associé.   Les filières fractures : la réponse ? Les filières fractures (ou FLS pour ‘fracture liaison service’ en anglais) sont des modèles de prévention secondaire dont l'objectif est d’identifier les patients dès leur passage aux urgences ou en service d’orthopédie pour une fracture de fragilité liée à l’ostéoporose. Elles peuvent parfois s’appuyer sur des services d’orthogériatrie ou des unités périopératoires gériatriques préexistants. Le travail initial est conduit par une infirmière ou un assistant de recherche clinique (ARC) de liaison chez les sujets hospitalisés ou non à partir d’un âge seuil déterminé par la filière (40, 50 ou 60 ans selon les filières). Le processus consiste ensuite à informer le sujet, lui expliquer, proposer des investigations pour, le cas échéant, initier un traitement et mettre en place un suivi. La littérature montre que le traitement initié par les professionnels de la filière est plus efficace que lorsqu'il est laissé à l'initiative du médecin traitant. Ces filières sont colligées et évaluées à travers l'initiative internationale "Capture the Fracture" permettant d’en établir les bonnes pratiques. En pratique, le nombre de patients intégrant réellement les filières est inférieur au nombre identifié, en raison de multiples obstacles : refus, oublis, perdus de vue, comorbidité priorisée par le patient. Reste que la littérature confirme que la prise en charge des patients dans des FLS est médico-économiquement vertueuse. Des expérimentations ont lieu afin d’améliorer le taux d’entrée dans la filière, le taux de traitement puis d’observance. Avec l’aide de l’intelligence artificielle, élargir le repérage via d’autres imageries (scanners abdominaux par exemple) pourrait aussi élargir le socle des patients repérés et intégrés dans un parcours de soins. Pour l’heure, 3 132 fractures pourraient être évitées dans les 5 prochaines années grâce aux FLS existant en France, offrant l’économie de plus de 2 100 opérations, 9 600 consultations et 8 millions d’euros (source : Capture the Fracture partnership).     Au programme de ce dossier :

     

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