Dans la santé, la transition écologique s’affiche enfin au grand jour

16/06/2023 Par Romain Loury
Santé publique
[DOSSIER] Longtemps peu préoccupé par son empreinte environnementale, le système de santé français entame enfin sa transition verte. Alors que les initiatives locales se multiplient, l’Etat souhaite enfin s’atteler au sujet. 

 

Environ 49 millions de tonnes équivalent CO2 (MtCO2e), soit plus de 8% de l’empreinte carbone de la France : tel est le niveau des émissions du système de santé français, selon le bilan publié mi-avril par les experts du Shift Project*. Premiers émetteurs, les hôpitaux (38%), suivis par la médecine de ville (23%), les établissements et services pour personnes âgées (21%), ceux pour enfants et adultes handicapés (17%). Selon ce bilan, les achats de médicaments occupent la première place (29%), devant les dispositifs médicaux (21%), l’alimentation (11%), le transport des patients et de leurs visiteurs (9%). 

Alors que la France, comme l’UE, vise la neutralité carbone en 2050, le système de santé sera-t-il en mesure de participer à l’effort collectif ? Oui, à en croire le Shift Project. Selon ses modélisations, il est possible de réduire les émissions de 80% d’ici la moitié du siècle. Et ce en jouant sur tous les leviers : bâtiment (rénovation thermique, énergie bas carbone), alimentation (réduction du gaspillage, des emballages), transport (télémédecine, véhicules électriques, covoiturage, transports en commun), médicaments et dispositifs médicaux (achats écoresponsables, relocalisation de la production), réduction des déchets. Ce verdissement radical permettrait d’atteindre un bilan carbone de 9,8 MtCO2e en 2050, au lieu des 50,7 MtCO2e attendus, soit une baisse de 80%. 

 

De nombreuses initiatives locales 

Pour y parvenir, il faudra accélérer la cadence. Pour le Pr Patrick Pessaux, chef du service de chirurgie viscérale et digestive et endocrinienne des Hôpitaux universitaires de Strasbourg et président du Collectif écoresponsabilité en santé (Ceres), « certains secteurs se sont engagés depuis des années, mais celui de la santé s’y met avec retard ». Notamment au regard des pays d’Europe du nord, tels que le Royaume-Uni, dont le National Health System (NHS) s’est doté en 2010 d’une « feuille de route pour une santé durable ». Résultat, l’empreinte carbone du système de santé britannique a diminué de 11% entre 2007 et 2015, malgré une activité en hausse de 18%. 

Plutôt qu’une approche descendante à la britannique, la France se caractérise par de nombreuses initiatives locales. Des actions notamment relayées par le Comité pour le développement durable en santé (C2DS), association créée en 2009 et qui regroupe près de 850 établissements, dont 11 CHU et les 19 centres de lutte contre le cancer (CLCC). Pour sa directrice Véronique Molières, « la plupart des professionnels de santé souhaitent s’engager dans une dynamique de développement durable. Nous n’avons plus besoin d’expliquer pourquoi s’engager, mais comment, que ce soit sur le transport, le gaspillage ou l’énergie ».  

Egalement en première ligne, le Ceres, fondé en 2020 et regroupant 22 sociétés savantes, vise, outre le partage d’initiatives, à promouvoir la formation continue et la publication de recommandations de bonne pratique. Plusieurs sociétés savantes se sont attelées au sujet, dont la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) afin de réduire l’impact environnemental de l’anesthésie générale, et la Société francophone de néphrologie dialyse transplantation (SFNDT) sur la « dialyse verte ». 

 

Une Convention de planification écologique à l’automne 

Longtemps peu disertes à ce sujet, les autorités sanitaires semblent enfin s’y mettre. Le 22 mai, le gouvernement a réuni un premier Comité de pilotage (Copil) de la planification écologique pour le système de santé. Présidé par la ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo, il débouchera à l’automne sur une Convention de planification écologique, qui traitera aussi bien d’énergie, de soins comme de numérique et de transport. 

Chargé de suivre les travaux du Copil en tant qu’expert externe, Patrick Pessaux salue la démarche : « il faut qu’il y ait un cadre, un agenda et des objectifs, pour que les établissements sachent vers quoi ils doivent s’engager ». Il est « absolument essentiel de coordonner les différents efforts pour aller dans le même sens. Cette volonté politique, nous l’appelons de nos vœux depuis un moment », renchérit Véronique Molières. 

D’autant que, face à la crise qui frappe le secteur de la santé, la transition écologique devrait constituer « une opportunité, et pas un frein », estime Patrick Pessaux. Non seulement parce que l’explosion des coûts, notamment de l’énergie, impose de rationnaliser la consommation, mais aussi parce que la transition écologique permet de « redonner du sens à nos pratiques », ajoute le président du Ceres. « Quand on parle de transition écologique, il ne s’agit pas que d’empreinte carbone. Le développement durable a aussi des dimensions sociales et économiques. Pour les établissements, cela peut même constituer un levier d’attractivité ! ». 

* Association créée en 2010, le Shift Project se définit comme « un think tank qui œuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone ». En 2020, il a lancé un Plan de transformation de l’économie française, ensemble de propositions visant à décarboner 15 secteurs économiques, tels que l’énergie, l’agriculture et la santé. 

 

 

Au sommaire : 

-   Interview : "Rares sont les cliniciens à penser aux expositions environnementales lorsqu'ils sont face à leurs patients"

-   Les généralistes, en première ligne face au réchauffement 

-   La pollution de l’air, un risque en construction 

-   Perturbateurs endocriniens : chez les femmes enceintes, les difficultés de la prévention 

-   Médicaments : le bon usage pour limiter l’impact environnemental 

-   L’éco-anxiété, ou le trop-plein de réalité 

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