La nouvelle de sa suspension s’est largement répandue dans la presse locale et sur les réseaux sociaux. Un généraliste, installé depuis 32 ans à Violaines (Pas-de-Calais), a annoncé dans une lettre et sur son répondeur qu’il était contraint de fermer son cabinet pour une durée de six mois à compter du 1er mars. Dans un message adressé à ses patients, il évoque une cabale que la Sécurité sociale aurait menée contre lui. Le motif évoqué par le généraliste ? Il aurait "une trop grande activité médicale". Dans La Voix du Nord, les habitants – qui ont vu 3 médecins quitter la commune en quelques mois – ont témoigné de leur inquiétude. Certains se disant "pris en otage", et dénoncent une décision honteuse alors que le manque de praticiens se fait cruellement sentir. Une pétition a ainsi été lancée pour réclamer la suppression de cette suspension.
Interrogé par certains lecteurs sur les raisons de cette suspension, Egora s’est tourné vers l’Assurance maladie, qui a précisé que cette décision avait été prononcée par la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins.
Dans cette décision, qu’Egora a pu consulter, il est en effet indiqué que le directeur régional du service médical de l’Assurance maladie des Hauts-de-France avait porté plainte contre le médecin généraliste devant la section des affaires sociales de la chambre disciplinaire de première instance des Hauts-de-France de l’Ordre. En novembre 2019, cette dernière avait sanctionné le praticien d’un blâme. Sanction qui n’a pas fait l’objet de publication. Mais cela ne s’est pas arrêté là puisque le directeur régional du service médical de l’Assurance maladie des Hauts-de-France a fait appel de cette décision, demandant l’aggravation des sanctions.
Ce dernier relevait en effet plusieurs dysfonctionnements dans la pratique du généraliste, notamment une "hyperactivité incompatible avec la qualité des soins" mais aussi des prescriptions médicamenteuses non conformes aux données acquises de la science pouvant être potentiellement dangereuses pour ses patients et non compatibles avec la qualité des soins. Le praticien s’est défendu, pointant notamment une plainte "rédigée en se basant sur des données générales et des analyses comptables, sans prendre en compte les données humaines spécifiques à chaque patient" au sujet des prescriptions mises en cause.
Par ailleurs, selon le maire de Violaines, interrogé par France Bleu, la CPAM lui aurait demandé de baisser "de 25% ses arrêts maladie"
S’agissant du grief d’hyperactivité, le médecin a critiqué "l’attitude déloyale et désobligeante du service médical, qui se fonde essentiellement sur des référentiels médicaux, des moyennes informatiques et des estimations comptables en négligeant la réalité humaine et la pratique médicale sur le terrain", ajoutant que ses patients ne s’étaient "jamais plaints et l’apprécient". Il a par ailleurs avancé l’importance de sa patientèle (2700 patients) et le manque de confrères sur la commune, expliquant la sur-sollicitation.
La section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins a finalement infligé au généraliste la sanction de l’interdiction d’exercice pour une durée de douze mois, dont six avec sursis, à compter du 1er mars 2022 jusqu’au 31 août 2022, "compte tenu de la nature et du caractère répété de ces manquements, dont certains ont exposé les patients à des risques graves pour la santé". Décision affichée dans les locaux administratifs de la CPAM de l’Artois durant toute la durée de l’interdiction ferme.
Jusqu’à 100 patients par jour
Après étude des pièces du dossier, la section des affaires sociales au niveau national constate qu’environ 73%" des journées de travail du généraliste "comptaient plus de soixante actes". "Il a effectué certains jours plus de quatre-vingt actes, voire près de cent sans même tenir compte de ceux relevant d’autres régimes de sécurité sociale". De fait, les consultations ont nécessairement été "de brève" ou "très brève" durée, ce qui paraît incompatible avec "les exigences de qualité, de sécurité et d’efficacité de soins".
Elle rapporte également avoir relevé des prescriptions dangereuses, notamment pour une patiente se trouvant à 32 semaines d’aménorrhée et asthmatique à qui a été prescrit du Flector, "contre-indiqué selon le résumé des caractéristiques du produit (RCP) chez la femme enceinte à partir du sixième mois de grossesse en raison des risques pour le fœtus et du Dimetane contre-indiqué pour les asthmatiques". La section ajoute que "dans 6 dossiers concernant 18 prescriptions, le praticien a prescrit concomitamment des médicaments susceptibles d’interactions entraînant des risques graves pour la santé, en particulier de torsades de pointes et d’infarctus du myocarde, d’hémorragie ou de rhabdomyolyse".
Pour certaines prescriptions, "des posologies doubles de la posologie maximale" auraient été indiquées. "Si le praticien indique avoir demandé à des patients d’arrêter certains de ces traitements, il ne l’a pas mentionné sur les ordonnances. En outre, certains traitements étaient des traitements de fond qui ne pouvaient être interrompus", peut-on lire dans la décision.
Autre élément mis en lumière : "dans 10 dossiers concernant 13 prescriptions, le praticien a, en dépit d’alternatives thérapeutiques moins dangereuses, prescrit des médicaments contre indiqués au regard de l’âge des enfants", et d’autres "réservés aux adultes". Au cours de "près de 80 actes", il aurait "établi des prescriptions se heurtant à des contre-indications absolues liées aux pathologies des patients".
Des chevauchements de prescriptions d’hypnotiques ont également été relevés dans d’autres dossiers (du double au quintuple de la dose maximale parfois).
Le suivi de certains patients diabétiques a également été jugé non conforme. "Dans 19 dossiers, le praticien ne s’est pas assuré de la réalisation des examens de suivi biologique de patients diabétiques", conformément aux recos de la HAS.
Enfin, l’instruction a soulevé que le MG avait appliqué des majorations de facturation MGE et MNO relatives à la prise en charge par les généralistes des jeunes enfants et nourrissons "sans porter de mention dans le carnet de santé" de ces enfants, ce qui ne respecte pas les dispositions de la nomenclature générale des actes professionnels.
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