"Ils ne vont pas me faire plier" : face aux barrages et aux saccages, les médecins de Martinique revendiquent le droit de soigner
"Je ne comprends pas. Nous avons toujours été au service de la population…" Une semaine après le saccage de son cabinet, le Dr Marc Thimon, 74 ans, est toujours sous le choc. Au matin du jeudi 24 novembre, ce généraliste, installé depuis 40 ans dans le quartier Sainte-Thérèse, à Fort-de-France, a eu la désagréable surprise de découvrir son cabinet complètement sens dessus dessous. "Ils ont volé les deux postes de télé de la salle d'attente, un micro-onde, mon pèse-bébé, deux tensiomètres, mon otoscope, ils ont cassé mon appareil à ECG et rendu l'informatique complètement obsolète. Une porte vitrée a été cassée", raconte-t-il à Egora, visiblement ému. Les trois autres cabinets et la pharmacie du centre de santé, situé dans ce quartier "défavorisé" de la ville, ont subi le même sort. "Les gens du quartier nous soutiennent, assure le généraliste, qui exerce aux côtés de son frère, également généraliste, et non loin de sa fille, dermatologue. Tout le quartier nous est venu en aide. On a toujours été présents pour cette population, pour ce quartier relativement pauvre, avec ce magnifique centre médical. On a toujours été présents, que ce soit à domicile et même sur le plan pécunier. On vit avec ce quartier. Nous l'avons dans notre peau. Je ne comprends pas qu'on nous ait fait mal comme ça." D'après le Dr Anne Criquet-Hayot, présidente de l'URPS médecins libéraux de Martinique, un autre centre médical de l'île (abritant une pharmacie et cinq cabinets) a lui aussi été saccagé et une pharmacie, située à côté un centre commercial incendié, a "complètement brulé". Installée au Robert, cette généraliste a dû couper court à notre entretien téléphonique, mardi, lorsque qu'une bande de "casseurs" a débarqué devant le centre commercial abritant son cabinet pour monter un barrage. "Les gendarmes ont fait évacuer le centre, la salle d'attente, nous raconte-t-elle. Je viens de regagner mon cabinet. C'est infernal." Des médecins de garde "terrorisés" Depuis une dizaine de jours, la situation est explosive en Martinique. La contestation de l'obligation vaccinale, qui avait donné lieu à des affrontements devant le CHU entre forces de l'ordre et syndicats il y a quelques semaines puis à la mise en place d'une mission de médiation et au recul de la date butoir au 31 décembre, s'est muée, comme en Guadeloupe, en une violente révolte sociale. Une crise qui met en danger la vie des soignants et la santé des Martiniquais, pourtant déjà bien éprouvée par la quatrième vague de Covid. "On a eu 1300 morts sur l'île. Rapportés à la population de la métropole, ça ferait 250 000 morts, souligne Anne Criquet-Hayot. L'incidence est toujours à 165." En raison des barrages routiers, soignants et patients peinent à se rendre sur les lieux de soins. Ils sont parfois victimes d'"extorsions", quand ils ne sont pas complètement bloqués. "Un chirurgien, malgré son caducée, a été refusé au barrage, mentionne la présidente de l'URPS. Hier [lundi, NDLR], une collègue radiologue m'a appelée pour me dire qu'on lui avait refusé l'accès à son cabinet." SOS médecins a interrompu ses visites à domicile. Les médecins libéraux effectuant des gardes au Samu ou en maison médicale de garde sont "terrorisés", "paniqués" à l'idée de tomber sur un barrage en regagnant leur domicile en pleine nuit. Quant au CHU, faute d'effectifs suffisants parvenant sur les lieux, il est en service minimal, n'assurant que "l'extrême urgence", rapporte la présidente de l'URPS. "Les ambulances sont fouillées, le personnel est racketté aux barrages et les médecins sont insultés, voire agressés comme une de nos internes, relate un remplaçant dans un témoignage transmis à Egora par le Dr Jean-Paul Hamon. Nous n'avons pas pu administrer un tiers des chimiothérapies prévues." "Il y a une perte de chance majeure pour la population martiniquaise, qui est prise en otage", alerte Anne Criquet-Hayot, évoquant des retards de dialyse ou des traitements par insuline compromis par les difficultés rencontrées par les infirmières libérales pour se rendre au domicile des patients. Plus de gardes Les médecins font-ils les frais de leur engagement en faveur de la vaccination contre le Covid? D'après les derniers chiffres fournis par le ministère, 80.2% des libéraux martiniquais sont complètement vaccinés (Anne Chriquet-Hayot évoque un taux de 95% pour les médecins) contre 33% de la population. Mais pour la présidente de l'URPS, "ces actes de vandalisme n'ont rien à voir avec les revendications syndicales". "Là on n'est pas dans le débat de la vaccination, on est dans le débat de l'accès aux soins de la population", insiste-t-elle. "Il n'y a pas de tensions avec les patients, nous assure de son côté le Dr Thimon. Je n'ai jamais caché mon point de vue sur la vaccination. Je suis vacciné, quand les patients me demandent mon avis, je ne peux pas leur dire 'ne vous faites pas vacciner'. Est-ce que ça vient de là ou pas, je n'en sais rien. Il faut dire qu'il y a quelques mois ils ont brulé un centre de vaccination pas très loin de chez nous." Mais pour le généraliste, qu'ils soient oui ou non antivax, les casseurs sont avant tout "des idiots". "La majorité silencieuse n'est pas pour cette grève, pour ces exactions. Mais ils ne les dénoncent pas car ils ont peur." Dès le 25 novembre, la présidente de l'URPS-ML alertait le ministre de la Santé sur la "situation dramatique des professionnels de santé" de l’île, cibles de "menaces, d'intimidations, d'exactions de toute sorte". La généraliste réclamait des "décisions urgentes en matière de sécurisation des personnels de santé dans l’exercice de leurs fonctions". Face à l'absence de "réponse forte des autorités en charge de la sécurité publique en Martinique", la représentante des médecins libéraux, soutenue par le président du CDOM et en accord avec les praticiens, a annoncé lundi que les cabinets médicaux de l'île fermeraient désormais à 17 heures. Et ce afin de permettre aux médecins "de regagner leur domicile avant la tombée de la nuit", nous précise-t-elle. Par ailleurs, "les médecins libéraux n'assureront plus d'intervention dans les maisons médicales de garde et dans le service de régulation du Samu, à partir de 17 heures, tant que les autorités compétentes ne mettront pas en place un accompagnement sécurisé de ces professionnels entre leur domicile et leurs lieux d'intervention", annonce le communiqué. Un appel qui semble avoir été entendu par le représentant de l'Etat en Martinique. "Le préfet m'a appelée, rapporte Anne Criquet-Hayot. Avec le président de l'Ordre, nous avons contacté l'ensemble des médecins libéraux qui effectuent des gardes pour recenser ceux qui nécessitent un accompagnement à l'aller et/ou au retour. On attend de voir quelles dispositions seront prises." "Rouvrir le plus rapidement possible" Alors que le Gouvernement a dépêché des renforts aux Antilles et qu'un plan de libération des axes routiers a été engagé, la situation semble toujours difficile. Faute d'accompagnement policier mardi soir, "les médecins ne sont pas venus ni au Samu ni en maison médicale de garde", informe le Dr Criquet-Hayot. Les professionnels du centre médical Sainte-Thérèse, eux, doivent encore panser leurs plaies. Le Dr Thimon est néanmoins déterminé à reprendre du service dès que possible. "Le meilleur moyen de répondre à ces gens-là, c'est de rouvrir rapidement mon cabinet. Ils ne vont pas me faire plier."
Mercredi soir, une réunion s'est tenue entre les représentants de l'ensemble des professions de santé, de l'ARS et de la préfecture, nous informe le Dr Criquet-Hayot. "Ils ont proposé de loger les médecins de garde au Samu sur place ou dans un hôtel, mais ça ne résout pas le problème : il faut bien rentrer le lendemain matin et il n'y a pas de solution pour les médecins qui assurent des gardes en maisons médicales de garde." La présidente de l'URPS-ML nous signale également des pénuries d'essence ainsi que "tensions d'approvisionnement sur les médicaments", le port étant toujours bloqué. A cela s'ajoute des difficultés pour nettoyer les lieux de soins ou évacuer les Darsi, les prestataires ayant eu aussi du mal à y accéder.
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