Fraude

Ordonnance numérique, contrôle des arrêts maladie... Comment l'Assurance maladie tente de barrer la route aux fraudeurs

Plus de 600 millions d'euros de fraudes à l'Assurance maladie ont été détectées en 2024, un chiffre "record". Plus de 40% ont toutefois pu être évitées avant qu'elles ne se produisent grâce à un "arsenal" de plus en plus robuste d'outils de lutte contre ces pratiques qui se développent et se complexifient.  

20/03/2025 Par Louise Claereboudt
Fraude

"La lutte contre la fraude fait partie de nos politiques prioritaires", a martelé Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie, ce jeudi 20 mars, lors d'une conférence de presse organisée au siège parisien. "On a redéfini notre stratégie en 2022, on est en train d'augmenter nos moyens, d'accélérer nos procédures, et ça produit des résultats", s'est-il félicité. En 2024, 628 millions d'euros de fraudes ont ainsi été détectées et stoppées par les services de l'Assurance maladie ; "un nouveau chiffre record", en hausse de 35% par rapport à l'année dernière.

C'est nettement plus que l'objectif fixé dans la convention d'objectifs et de gestion (COG), qui était de 500 millions d'euros en 2024. Plus largement, depuis 2021, les résultats de la lutte contre les fraudes ont "quasiment triplé", précise-t-on. 263 millions d'euros de fraudes ont, en outre, pu être évitées l'an dernier (+55% par rapport à 2023) "avant même qu'elles ne puissent se produire" - et donc de causer un préjudice financier -, et ce grâce au renforcement des contrôles a priori et à la multiplication des actions de prévention, souligne l'Assurance maladie dans un communiqué de presse.

Source : Cnam

Sur les 628 millions d'euros de fraudes détectées et stoppées l'an dernier, 416 millions d'euros provenaient des professionnels de santé en ville (68%), 109 millions des assurés sociaux (18%) et le reste des établissements de santé (14%). Du côté des professionnels de santé, elles ont été en grande partie commises dans le champ de l'audioprothèse, avec un préjudice détecté et stoppé qui a été multiplié "par plus de cinq" en un an pour atteindre 115 millions d'euros. Ces fraudes ont pris la forme de "fausses sociétés, de faux audioprothésistes sans diplôme, ou encore de facturations fictives en bande organisée entre, parfois, prescripteur, audioprothésiste et patient", a énuméré Thomas Fatôme.

 

"Travail de fourmis"

Trois quarts de ces fraudes aux audioprothèses ont toutefois pu être évitées grâce à "un travail de fourmis". L'Assurance maladie a en effet intensifié ses contrôles : 55 000 factures ont été contrôlées de manière approfondie et "plus de 20 000 factures" ont été rejetées. Une centaine de demandes de conventionnement ont, par ailleurs, été refusées, "parce qu'on s'est rendu compte qu'il n'y avait pas vraiment d'entreprises, pas vraiment d'acteurs, pas vraiment de locaux, qu'il s'agissait de coquilles vides", a expliqué le numéro 1 de la Cnam. Aussi, près de 500 procédures contentieuses (pénalités financières, plaintes pénales, signalements au procureur, etc.) ont été engagées.

L'Assurance maladie a également renforcé sa politique de contrôle et de sanction des centres de santé, dont "une petite minorité est là pour faire de l'argent et pas pour soigner", a déploré Thomas Fatôme, précisant qu'il s'agit surtout de centres dentaires et ophtalmologiques. Plus de 90 millions d'euros de fraudes ont été détectées et stoppées en deux ans, dont 39 millions en 2024. Pour enrayer ces fraudes, l'Assurance maladie a actionné quatre leviers : la récupération des indus et des pénalités financières, les déconventionnements (30 centres ont été déconventionnés en 2024 et un nouveau cycle de déconventionnements doit intervenir en avril), des actions pénales et des signalements aux ordres professionnels.

S'agissant des fraudes des assurés, l'action de l'Assurance maladie s'est essentiellement portée sur les arrêts de travail, dont le montant du préjudice a atteint 42 millions d'euros en 2024 (soit plus de 2 fois plus qu'en 2023) – 30 millions rien que pour les faux arrêts de travail. Ceci est lié à la "recrudescence des faux arrêts vendus sur les réseaux sociaux" ou sur Internet. 60% d'entre eux ont pu être stoppés avant que des indemnités journalières n'aient été versées.

La politique de "fermeté" face aux fraudeurs a abouti en 2024 à une hausse "significative" des poursuites engagées, avec près de 20 000 actions contentieuses menées, soit le double de l'année précédente, parmi lesquelles plus de 8400 procédures pénales et 7000 pénalités financières (pour un montant total de 50 millions d'euros). 90% des pénalités ont concerné les assurés, principalement pour faux arrêts de travail.

Face aux fraudeurs qui ont professionnalisé leur méthode, on a professionnalisé notre lutte

Devant la presse, Marc Scholler, directeur délégué de l'Assurance maladie chargé des finances, de la lutte contre les fraudes et de l'audit, a souligné "l'arrivée" d'un nouveau type de fraudeurs, "bien souvent extérieurs au monde de la santé" qui "s'y greffent, comme des parasites". "On est passé d'une fraude artisanale et un peu opportuniste à une fraude beaucoup plus organisée, professionnalisée et avec des méthodes de plus en plus sophistiquées, a-t-il poursuivi. Ce sont des réseaux qui exploitent tous les potentiels et les nouvelles technologies, mais aussi les faiblesses humaines." Marc Scholler a cité, par exemple, le recrutement de mules pour certains trafics sur les réseaux sociaux, les méthodes de phishing, ou encore la falsification de documents (faux certificats, fausses ordonnances, fausses créations d'entreprises, fausses facturations…). 

"Face aux fraudeurs qui ont professionnalisé leur méthode, on a professionnalisé notre lutte", a poursuivi le directeur délégué. L'Assurance maladie a ainsi renforcé son dispositif de "riposte". D'abord, en augmentant de 10% ses effectifs dédiés à la lutte contre les fraudes par rapport à 2023 (totalisant plus de 1600 agents spécialisés). L'Assurance maladie s'est également dotée de six unités d'enquêteurs judiciaires disposant de prérogatives de police judiciaire, composées de 60 agents autorisés à enquêter sous pseudonyme pour infiltrer des réseaux frauduleux et les démanteler. Objectif : "intervenir le plus en amont possible afin que les services de police ou gendarmerie neutralisent ensuite rapidement ces fraudeurs".

En parallèle, l'Assurance maladie a intensifié sa surveillance numérique (identification des atypies et des incohérences grâce à l'analyse de données) et mis en place de nouveaux outils de détection et de prévention des fraudes. D'abord, pour lutter contre les fausses ordonnances. Elle a déployé cet été le téléservice Asafo Pharma qui permet aux pharmaciens - "nos premiers alliés" dans ce combat - de signaler une fausse ordonnance. Depuis août, 7300 suspicions ont été transmises, et les trois quarts ont été confirmées comme frauduleuses. Depuis janvier, le service, accessible depuis amelipro, a évolué : il permet par exemple de rechercher directement une ordonnance via le numéro d'inscription au répertoire (NIR) de l'assuré, ou encore d'automatiser la vérification en envoyant un mail au médecin prescripteur.

Autre levier déployé pour lutter contre le trafic de faux, l'ordonnance numérique qui "progresse" et dont "la généralisation est prévue d'ici la fin de l'année 2025", a loué Marc Scholler, appelant les médecins à adopter ce "nouveau réflexe". A date, 56 millions d'ordonnances numériques ont été créées, 37 000 médecins en ont créé au moins une et 12 070 officines en ont déjà traité une. "Fiabiliser les ordonnances et la délivrance, ce n'est pas de la bureaucratie de confort, c'est le nerf de la guerre", a insisté Marc Scholler, alors que plus de 13 millions d'euros de fraudes liées aux trafics de médicaments et aux fausses ordonnances ont été détectées et stoppées l'an dernier.

S'agissant des arrêts de travail, un nouveau dispositif d'authentification a également vu le jour. Il s'agit du Cerfa sécurisé, "à la manière d'un billet de banque", avec, notamment, une étiquette holographique non photocopiable. Son utilisation sera obligatoire à compter de juin 2025. Sur ce volet, l'Assurance maladie a également renforcé son incitation à l'utilisation de l'arrêt de travail dématérialisé (e-AAT), qui représente près de 80% des arrêts de travail envoyés. Le recours à l'e-AAT a par ailleurs été valorisé dans le cadre de la convention médicale par le biais du forfait structure, "qui deviendra la dotation numérique à compter de 2026", précise la Cnam.

Arrêts de travail : 230 000 contrôles ciblés avec examen médical menés en 2024

Dans son bilan anti-fraude, l'Assurance maladie rapporte qu'elle a renforcé ses contrôles des arrêts de travail par son service médical. En 2024, ce dernier a réalisé 680 000 actions sur les arrêts de travail, 10 000 de plus que l'année précédente. Au total, 230 000 contrôles ciblés avec examen médical ont été menés. Et dans 33% des cas l'arrêt a été jugé médicalement injustifié et a été suspendu, contre 30% en 2023. 

La "fraude pouvant prospérer là où il n'y a pas de vigilance", l'Assurance maladie mise sur une mobilisation collective, et incite les assurés à vérifier leurs remboursements et à signaler "toute incohérence", ajoute Marc SchollerDepuis cet été, ils peuvent signaler les actes suspects sur leur compte ameli. Ce dispositif sera amélioré en 2025. Il sera notamment possible pour les patients de "déclarer une suspicion de fraude directement à partir de la liste des paiements de leur compte". Et à compter du second semestre, l'Assurance maladie les alertera directement lors de remboursements effectués pour leur compte au profit de professionnels de santé. "En cas de suspicion de fraude liée notamment à des prises en charge d'actes ou de soins qui n'ont pas eu lieu, chaque assuré pourra facilement alerter sa CPAM."

"Il faut qu'on continue à agir pour détecter et stopper le plus rapidement possible la fraude, qui est proprement insupportable et met en cause cet outil précieux qu'est notre système de solidarité et d'assurance maladie", a conclu le directeur général de la Cnam face à la presse. Thomas Fatôme a fait part de son ambition d'"aller plus loin" dans les résultats de la lutte contre les fraudes, y compris au-delà des objectifs fixés par la COG. Cela nécessitera une surveillance accrue afin d'identifier "les nouveaux risques" qui émergent. Car "la fraude se déplace, elle va là où il y a de 'l'argent'". 

13 débatteurs en ligne13 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 jour
Et ajoutons que sur un compte-épargne-santé-social individuel attribué à chaque citoyen responsable de son "répondant" (son pognon), de telles fraudes deviendront impossibles, ou le peu qui subsiste
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 jour
" appelant les médecins à adopter ce "nouveau réflexe". Ils sont mignons, les bureaucrates ! L'ordonnance électronique ne relève pas d'un "réflexe", mais d'une formation des médecins, tout
Photo de profil de Avocat  Du Diable
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 jour
Ne doutons pas que dans les bureaux de la CNAM , les hauts dirigeants se posent la question de savoir comment transférer cette tâche sur le médecin , comme jadis la saisie des feuilles de soins , les
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