Reste à charge zéro : "Il doit y avoir aussi une action sur les tarifs médicaux"

26/01/2018 Par Catherine le Borgne
Assurance maladie / Mutuelles

Directrice déléguée santé de la Mutualité française, Séverine Salgado envisage les pistes de travail préconisées par son institution pour aboutir au reste à charge zéro souhaité par le président de la République. Elle s'exprime également sur les discussions en cours sur la télémédecine et l'ouverture des centres de santé à des organismes privés.

  Egora.fr : Agnès Buzyn a lancé officiellement, mardi dernier, les négociations sur le reste à charge zéro pour les lunettes, les prothèses auditives et les prothèses dentaires. La ministre souhaite que les discussions se terminent en mai, ce qui représente un délai très court.  Comment abordez-vous ces discussions ? Séverine Salgado : Nous abordons très sereinement ces négociations. Il est exact que le délai est très bref, mais nous nous sentons assez à l'aise pour aborder ces discussions officielles. Nous avons en effet publié en décembre dernier une contribution de la Mutualité assez complète qui aborde ces trois secteurs, dresse des constats sur leur économie globale et apporte des éléments au débat. L'idée de parvenir au reste à charge zéro sur ces trois secteurs où nous sommes les principaux financeurs, sur lesquels nous avons identifié des difficultés d'accès aux soins et parfois de renoncement à des soins, nous tient vraiment à cœur. C'est bien d'avoir des délais resserrés. Cela met les acteurs sous tension et permet de ne pas relâcher la pression.   La ministre a posé comme condition qu'il ne doit pas y avoir d'augmentation des cotisations des organismes de protection complémentaire santé. Et là, vos points de vue divergent… Non, pas nécessairement, dans la mesure où nous considérons que s'il devait y avoir une augmentation spécifique des adhérents à leur protection complémentaire du fait de ce reste à charge zéro, nous ne remplirions pas l'objectif fixé par le président de la République et les pouvoirs publics. Si l'adhérent doit payer plus en amont, cela nous éloigne du reste à charge zéro. Deux conditions au minimum doivent être remplies pour éviter toute hausse de cotisation. La première, réaffirmée à plusieurs reprises par le président de la Mutualité française, c'est que le reste à charge zéro ne doit pas concerner l'ensemble des prestations et des soins dans les trois secteurs. Il nous faut construire un panier de soins nécessaires, mais aussi de qualité car nous ne voulons pas de paniers "low cost". Il faut aussi que ces soins soient adaptés aux besoins des patients : celui qui souffre d'une très forte myopie doit pouvoir bénéficier de verres avec un degré d'amincissement suffisant pour répondre à des critères esthétiques de base. Il faut aussi que le dispositif soit adapté aux caractéristiques du patient et qu'il soit de qualité. On ne va pas financer des montures très chères, qui sont plus des accessoires de mode que des dispositifs médicaux. La deuxième condition que nous posons, est que l'ensemble des acteurs des trois chaines de valeurs soient mobilisés. Il faut bien entendu, que l'assurance maladie obligatoire révise les bases de remboursement, il doit y avoir aussi une action sur les tarifs médicaux. Tout ceci nécessite de travailler avec l'ensemble de la filière, du producteur au distributeur en passant par les professionnels de santé. Ensuite, nous, assurance complémentaire, nous proposerons des prises en charge qui permettent à l'adhérent d'avoir un reste à charge nul sur ces produits du panier de soins.   La Mutualité et le ministère semblent en phase sur ce sujet. Oui, nous sommes en phase. Lors du lancement des discussions, mardi dernier, l'ensemble des intervenants du secteur étaient présents.  C'est assez éloquent.   Des négociations conventionnelles sont en cours, avec les chirurgiens-dentistes et il semble y avoir des tiraillements entre les syndicats et la Cnam concernant les tarifs.  Cela représente-t-il un problème à vos yeux ? Je ne saurai pas dire si les négociations vont être plus difficiles dans un secteur ou dans un autre. Les négociations conventionnelles sont déjà bien entamées avec les chirurgiens-dentistes, des rapports de force se sont dessinés. Mais tout le monde est bien conscient de la nécessité de parvenir à ce reste à charge zéro et les chirurgiens-dentistes ont rappelé qu'ils attendaient une revalorisation des soins conservateurs par les pouvoirs publics. Mais le reste à charge zéro ne concerne que les prothèses. La montée en charge du reste à charge zéro est prévue sur la durée du quinquennat et c'est une excellente chose.   D'autres négociations sont en cours à la Cnam, concernant la télémédecine, qui sort du domaine expérimental pour rejoindre le droit commun. Les mutuelles n'ont pas attendu ce moment pour se lancer dans les territoires, avec leurs propres organisations. Mais a priori, ce qui est en train de se négocier à la Cnam n'a pas grand-chose à voir avec les réalisations mutualistes existantes … Nous soutenons effectivement le développement de la télémédecine, pour des raisons qui sont assez connues d'amélioration d'accès aux soins dans certaines zones du territoire et pour certaines spécialités, et donc d'amélioration de la prise en charge du patient. Nous avons donc développé des actes de télémédecine et comme nous sommes aussi offreurs de soins au travers de nos centres de santé, nous avons aussi mené des expérimentations de télémédecine, notamment dans le cadre de nos Ehpad mutualistes. Là encore, nous abordons ces négociations sereinement et nous sommes ravis que les partenaires conventionnels discutent de la création d'actes de télémédecine qui pour l'instant, concernent la télé consultation et la télé expertise. Nous sommes en phase avec les premiers cadrages tarifaires proposés, soit au plus, les tarifs existants pour un acte de télé consultation.   Autre événement d'actualité : une ordonnance définit les missions des centres de santé, et permet aux cliniques, de devenir gestionnaires de ces structures de soins. Qu'en pense la Mutualité, elle-même gestionnaire de centres de santé ? Nous approuvons tout ce qui permet un exercice regroupé de qualité et le développement des centres de santé car le regroupement est pour nous un progrès. C'est mieux encore pour les centres de santé, car ils ont des obligations de pratique de tarifs opposables et de tiers payant. Je rappelle que la loi Hôpital, patients, santé et Territoire (Hpst) prévoyait déjà cette possibilité ; ce sujet revient dans l'actualité avec cette ordonnance, qui ne fait que réaffirmer une disposition qui existait déjà, mais très peu activée.   Les médecins de centres de santé, manifestent unanimement leur désapprobation et leur inquiétude de voir le secteur à but lucratif, pénétrer leur secteur. Oui, mais dans la mesure où la loi Hpst et l'ordonnance, prévue dans la loi de modernisation de notre système de santé, réaffirment bien que les tarifs opposables et le tiers payant constituent toujours des obligations pour tous les centres de santé, nous considérons que toute innovation, toute amélioration dans l'offre de soins est une bonne chose.  

Les chiffres
52 % du coût des soins prothétiques, est assuré par les organismes complémentaires, 23 % par l'assurance maladie, 25 % par les patients.
Les assureurs complémentaires remboursent 74 % de l'optique en 2016 (66 % en 2012). L'assurance maladie, 4 %, les patients 22 %
Les audioprothèses sont remboursées à 31 % par les assureurs complémentaires, 56 % par les patients et 14 % par l'assurance maladie.

 

Un reste à charge qui pénalise les plus pauvres
Selon une enquête de l'Irdes (Ehis-Esps) de 2014, le taux de renoncement pour les soins dentaires était de 16,8 % en moyenne, mais atteignait 28 et 23 % pour le premier et le second quintile de revenus (les prothèses dentaires représentent 11 % des actes des chirurgiens- dentistes, mais 55 % des leurs recettes). Pour l'optique, on table sur 10,1 % de renoncement en moyenne, mais 7 % pour le premier quintile de revenus et 14 % pour le second. On ne compte actuellement que 30 % des 6 millions de personnes malentendantes qui sont appareillées. L'objectif du gouvernement est d'atteindre 40 à 45 % de personnes équipées.

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Stéphanie Beaujouan

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