Egora : Quel regard portez-vous sur l’étude récemment publiée dans Nature soulignant le risque que pourrait faire courir l’émergence de virus mutés du Covid à la suite de traitements par le molnupiravir ? Dr Benjamin Davido : Je dois d’abord souligner la rigueur de cette étude. Réalisée en population générale, elle confirme ce que l’on savait déjà in vitro, à savoir que cet antiviral induit l’apparition de mutations ; c’est d’ailleurs son mécanisme d’action. Au-delà, ce travail confirme ce que l’on sait sur les antiviraux en général, et tout particulièrement en ce qui concerne les virus qui sont doués d’une grande capacité de mutation, comme le VIH par exemple, qui est que des traitements partiellement efficaces sur la clairance virale sélectionnent des virus résistants, surtout en monothérapie. Ce phénomène est d’ailleurs également démontré avec les anticorps monoclonaux, notamment dans des études réalisées chez des immunodéprimés. Cela étant, à l’heure actuelle, le risque que de tels mutants diffusent et aggravent la pandémie semble très théorique, comme le soulignent les auteurs de la publication. De plus, il faut savoir que les mutations étaient bien antérieures à l’utilisation de ce produit. Je pense qu’il faut relativiser dans la mesure où le molnupiravir n’est pas commercialisé en France, ni en Europe à ma connaissance. Rappelons-nous la pandémie de grippe de 2009 et des alertes émises concernant une utilisation massive d’oseltamivir (Tamiflu) et le risque de voir émerger des mutants. Nous devons faire preuve du même pragmatisme. Enfin, je pense que cette étude a le mérite de repositionner nos moyens de lutte face au virus et doit conduire à réaffirmer que la vaccination est très probablement le meilleur moyen à notre disposition pour prévenir l’infection Covid. Cela ne pose-t-il pas néanmoins la question d’un emploi optimal des antiviraux contre le virus Covid ? C’est exact et tous les traitements antiviraux ne se valent pas. Selon moi, tout le monde ne peut pas s’improviser spécialiste du traitement antiviral du Covid. Il faut à chaque prescription se poser la question de l’indication, de l’innocuité et des possibles interactions médicamenteuses. Je rappelle à ce sujet que l’association nirmatrelvir/ritonavir (Paxlovid), actif par voie orale, expose à de nombreuses interactions et est peu utilisé actuellement. Il faut espérer que ce produit conservera son efficacité, auquel cas nous n’aurions plus d’antiviral actif par voie orale. Quant au remdésivir (Veklury), il s’administre en perfusion à l’hôpital, ce qui évite les prescriptions abusives. Existe-t-il néanmoins un risque d’émergence d’un supervariant ? Les auteurs de l’étude pointent l’existence de nombreux variants, mais n’ont pas identifié de variants prédominants consécutivement à l’emploi du molnupiravir. Néanmoins, il ne peut être exclu que le double effet de l’antiviral et des capacités naturelles de mutations du virus n’aboutisse à l’émergence d’un variant prédominant. Quel est votre avis en ce qui concerne la situation épidémiologique ? Nous sommes sollicités depuis la mi-août pour des patients ayant un Covid justifiant une hospitalisation. La dynamique que j’observe depuis les derniers jours est que les choses ont plutôt tendance à se tasser car on n’observe pas d’évolution exponentielle. On peut penser que cette situation est fortement liée au redoux historique de septembre et de début octobre et un automne qui ne se dessine pas encore. Mais le tempo va changer avec l’entrée dans la période froide ainsi qu’avec le changement d’heure avec des jours plus courts qui vont inciter à rester à l’intérieur. Selon les informations que je viens de recueillir auprès de gestionnaires de lits d’urgence avec lesquels nous travaillons, il ressort que des patients Covid arrivent en continu ; certes en petit nombre, mais cela représente une problématique de patients supplémentaires à gérer. En ce qui nous concerne, notre unité Covid, montée en 2020, est restée pérenne, mais depuis six mois, n’ayant plus de malades infectés par le Covid, nous avons pris des patients d’infectiologie communautaire. Si demain les choses s’accélèrent du côté du Covid nous ne pourrons pas faire face à une arrivée soudaine de plusieurs patients car nos lits sont tous occupés. Enfin, SOS Médecins fait état d’une augmentation de 15 à 20% des appels pour "motif de Covid" et cela ne présage rien de bon pour l’automne et l’hiver. Comment voyez-vous la suite ? Je crains que la dynamique du Covid ne continue. Or, nous n’avons pas actuellement de campagne de vaccination digne de ce nom, y compris pour protéger les plus à risque comme les personnes âgées et les sujets atteints de comorbidités. J’avoue ne pas comprendre pourquoi on ne se fixe pas d’objectifs ambitieux pour la vaccination anti-Covid, ainsi d’ailleurs qu’en matière de grippe. Avec des objectifs chiffrés à date, y compris pour les soignants. Je rappelle que nous avons dû faire face l’année dernière à une triple épidémie de Covid, grippe et VRS. Même si on peut espérer une diminution du fardeau du VRS par l’administration préventive de nirsevimab, une double épidémie grippe/Covid ne serait pas une bonne nouvelle pour l’hôpital ainsi que pour le système de soins en ambulatoire. Que préconisez-vous ? Les généralistes et les pédiatres doivent se sentir mobilisés pour encourager la vaccination anti-Covid de leurs patients. Le rôle du médecin est très important, car les gens, qui très généralement n’ont pas d’objection, ont besoin d’être rassurés. Il peut être très utile de rappeler que le Covid tue, en moyenne, trois fois plus que la grippe et qu’il n’existe pratiquement pas de contre-indication à cette vaccination. Et aussi qu’il existe des vaccins sans ARN messager pour ceux pour lesquels cela serait un frein. Enfin, il conviendrait de réactiver les gestes barrières, à commencer par le port du masque. Justement, qu’elle est votre position au sujet du port du masque ? Le masque fait partie de notre outil de travail, au même titre qu’un stéthoscope. A l’image de l’exemplarité vaccinale, le soignant doit porter un masque durant les périodes où le virus circule fortement. On sait qu’en matière d’hygiène, c’est la répétition des mêmes gestes qui est efficace. Cela comprend au premier chef les gestes barrière face à des virus extrêmement contagieux et pas seulement le Covid d’ailleurs ; pensons notamment aussi aux rhinovirus, qui sévissent habituellement au début de l’automne et qui sont en train de repartir. Habituons-nous à porter le masque dès le début de l’automne et jusqu’à la fin de l’hiver. Pour moi ce n’est pas négociable. *Le Dr Davido déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données de cet article
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