Allergies au venin d’hyménoptères : des protocoles de désensibilisation efficaces

25/05/2020 Par Corinne Tutin
Allergologie
Le taux de succès dépasse 80 % en cas d’allergie au venin d’abeille ou de guêpe.
 

« Comme toutes les allergies, celles aux substances émises par les insectes sont en augmentation en France », indique le Dr Céline Roussel, allergologue au CHR de Lille. « Parmi celles-ci, l’allergie aux venins d’hyménoptères est à la fois la mieux étudiée et la plus fréquente. Elle semble concerner 1 à 3 % de la population générale, avec un pourcentage de réactions graves allant de 0,3 à 7,5 % selon les études ». Ces manifestations sont en règle observées chez l’adulte car les réactions aux venins sont moins graves chez l’enfant et peuvent même guérir spontanément. Le risque de réactions sévères augmente avec l’âge et la présence de comorbidités, en particulier cardiovasculaires, et de prise de médicaments tels que les bêta-bloquants et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion. « Le nombre de décès déclarés, en rapport avec un choc anaphylactique, se situe autour de la dizaine de cas chaque année, mais est difficile à connaître précisément car la cause des réactions allergologiques n’est pas toujours rapportée », complète le Dr Roussel. Des piqûres de guêpe sont le plus souvent en cause. Mais, les piqûres d’abeille, heureusement moins courantes, exposent deux fois plus fréquemment à des réactions allergiques sévères. Le risque, qui s’élève avec la quantité de venin injecté, est notamment professionnel, « et 15 à 30 % des apiculteurs sont allergiques au venin d’abeille », précise le Dr Roussel. On peut aussi rencontrer quelques allergies aux bourdons en milieu agricole, par exemple chez les maraîchers qui utilisent ces insectes pour la pollinisation, mais ceci est exceptionnel car ces insectes piquent peu.

  Quant aux frelons asiatiques, qui sont arrivés en 2005 en France, ils ne sont pas plus agressifs pour l’homme que les frelons européens et les réactions aux venins sont davantage toxiques qu’allergiques. « Les frelons solitaires ne piquent habituellement pas. Mais, il est conseillé de ne pas s’approcher des nids, qui peuvent contenir jusque 6 000 insectes, car...

il existe alors un risque de piqûres multiples avec réaction d’envenimation avec chute tensionnelle, perte de connaissance », indique le Dr Roussel.   Des indications à la désensibilisation Une désensibilisation aux venins d’hyménoptères est préconisée par l’EAACI* chez les patients ayant développé des réactions systémiques, ou des réactions cutanées généralisées et exposés à un risque de repiqûre important en raison par exemple d’un risque professionnel, ou encore ayant une qualité de vie très altérée du fait de cette allergie. Un bilan sera réalisé en centre spécialisé, qui comportera tests cutanés diagnostiques (guêpes vespula et poliste, abeille) et dosage d’Ig E spécifiques (guêpes vespula et poliste, abeille, frelon européen, frelon asiatique dans le cadre de protocoles de recherche dans les gros centres hospitaliers). « L’élévation des Ig E n’a néanmoins de valeur qu’en fonction de l’histoire clinique, car une partie importante de la population générale, jusque 50 %, peut être sensibilisée et avoir transitoirement des taux augmentés après une piqûre d’hyménoptère et la concentration des IgE spécifiques n’est pas corrélée à la gravité de l’allergie ».

Après mise en place d’une voie d’abord intraveineuse (pour éventuellement traiter rapidement en cas de réaction allergique grave, « ce qui se produit rarement »), l’allergologue réalisera en hôpital de jour une série d’intradermoréactions cutanées à doses croissantes d’allergène (dose débutée souvent au 1/1000 chez un patient pour atteindre 1 µg/ml de protéine allergénique).  Attention, toutefois, « ce bilan ne doit être entrepris que 4 à 6 semaines après une piqûre », rappelle le Dr Roussel. « Parfois, les patients sont très inquiets et veulent consulter de suite. Il faut leur expliquer la nécessité d’attendre que les mastocytes reconstituent leur stock d’histamine. Pratiqués trop tôt, les tests diagnostiques risqueraient d’être à tort négatifs ». Il est donc essentiel...

qu’en attendant le rendez-vous avec l’allergologue (et ce d’autant plus en cette période d’épidémie où celui-ci peut être retardé), le médecin généraliste conseille à son patient d’avoir avec lui en permanence une trousse d’urgence avec 2 stylos d’adrénaline (une première injection peut ne pas être suffisante en cas de choc anaphylactique et une seconde devra être refaite 10 à 15 minutes plus tard, la première injection peut aussi avoir été mal réalisée). Il faudra expliquer au patient comment pratiquer ces injections.   Un calendrier précis à respecter Le traitement de désensibilisation le plus souvent proposé en hôpital de jour obéit au schéma « ultra-rush ». « La dose cumulée de 100 μg d’allergène désensibilisant est obtenue en quelques heures à J1, réparties en 6 injections à 30 min d’intervalle : 0,1 puis 1 puis 10, 20, 30 et enfin 40 μg », explique le Dr Roussel. « A J15, 2 injections de 50 μg sont réalisées et enfin à J45 : une injection directement à la dose d’entretien de 100 μg. Les patients recevront ensuite ce traitement d’entretien à raison d’une injection toutes les 4 semaines la première année, puis si tout va bien d’une toutes les 6 semaines à partir de la 2e année, d’une toutes les 8 semaines à partir de la 3e année pour une durée totale de 5 ans. Mais, certains patients à risque, comme ceux présentant par exemple une mastocytose associée, peuvent être traités à vie ».

Il est important de respecter le rythme des injections « car le risque est, sinon d’observer une nouvelle réaction allergique, en tout cas d’avoir à reprendre le protocole de désensibilisation », précise le Dr Roussel.   * European Academy of Allergy and Clinical Immunology    

Moustiques, coccinelles, chenilles processionnaires : les autres allergies dues aux insectes
« Les réactions aux piqûres de moustique sont un motif de consultation fréquent », souligne le Dr Roussel. « Effectivement, on peut voir quelques allergies. Mais, les réactions cutanées que l’on observe et qui apparaissent en général de manière retardée, après une heure voire 24 à 48 heures, sont le plus souvent dues à une libération d’histamine non spécifique par les mastocytes de la peau sans intervention des Ig E. Ces réactions sont plus fortes chez les enfants et tendent à s’atténuer avec la multiplication des piqûres avec l’âge ». En dehors des moyens habituels de protection contre les insectes (vêtements couvrants à maille serrée, répulsif à appliquer sur la peau après la crème solaire), il faut conseiller aux patients de bien désinfecter la peau pour éviter tout risque d’érysipèle ou de lymphangite, et d’appliquer, si besoin, une crème dermocorticoïde. Un antihistaminique oral peut aussi être utilisé pendant la saison d’exposition à titre préventif.
Au retour des vacances, certaines personnes présentent aussi des éruptions sur la peau après exposition aux chenilles processionnaires, que l’on trouve sur les pins et les chênes de certaines régions françaises. Là aussi, il s’agit en général non d’allergie proprement dite mais de manifestation urticariante aux poils de la chenille. Néanmoins, certains professionnels, comme les forestiers, développent des allergies à la thaumétopoéine  contenue  dans les poils des chenilles. Il n’existe pas de traitement de désensibilisation et la prise en charge est symptomatique : antihistaminiques, dermocorticoïdes.
Moins connu, les coccinelles notamment asiatiques, qui ont été introduites en Europe comme agent de lutte contre les pucerons, peuvent être source d’allergie, notamment l’hiver car elles se réfugient dans les maisons (greniers) pour trouver de la chaleur.  Les manifestations en sont, comme pour les acariens, des rhinoconjonctivites, des asthmes mais quelques cas d’anaphylaxie ont été décrits dans le monde. La sensibilisation semble se produire par inhalation de protéines (Har a 1 et 2) émises par les coccinelles pour communiquer ou en cas de danger.

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