Pour le Pr Axel Kahn, "l’objectif est d’arriver à deux tiers de guérison des cancers à la fin de la décennie 2020"

04/03/2020 Par Marie Ruelleux-Dagorne
Cancérologie
Alors que l’on guérit actuellement plus d’un cancer sur 2, l’un des principaux défis de la lutte contre cette maladie réside dans la prévention. Ce thème est l’un des chevaux de bataille de la Ligue contre le cancer qui a tenu fin janvier son 22ème colloque  de la recherche à Amiens. L’occasion de rappeler les multiples axes de recherche actuellement déployés dans ce domaine. Le point avec le Pr Axel Kahn, président de la Ligue Nationale Contre le Cancer.

Egora : Où en est-on de la lutte contre le cancer en France ? Pr Axel Kahn : 750 000 enfants naissent chaque année et au cours d'une année, 400 000 nouveaux cas de cancers seront dépistés. Ce qui veut dire que plus d’un enfant sur deux connaîtra personnellement l’épreuve du cancer au cours de sa vie. C’est donc un véritable phénomène de société. Le taux de guérison avoisine les 55%. L’objectif est d’arriver à deux tiers de guérison à la fin de la décennie 2020, et à trois quarts dans la décennie suivante.  

Comment expliquer que le nombre de cancers ne cesse d’augmenter ? L’augmentation des cas de cancers est liée à la progression de la longévité et à certains facteurs comportementaux. On assiste à l’heure actuelle à une progression de 5,3% par an du cancer du poumon chez la femme. Dès cette année, il tuera plus de patientes que le cancer du sein. Cette incidence est principalement due à l’évolution des comportements tabagiques des femmes à partir des années 70  et dont on constate les retombées aujourd’hui. L’âge tardif des premières grossesses (en moyenne vers 30 ans) serait également impliqué car on sait que la grossesse et la lactation ont un effet protecteur contre le cancer du sein.   En quoi consiste la recherche en prévention ? La recherche en prévention comporte d’une part un volet « recherche en épidémiologie » afin de connaître les causes du cancer, et d’autre part un volet « recherche des méthodes de prévention », c’est à dire recherche en organisation et en sciences humaines et sociales. Comment faire en sorte qu’un message d’éducation à la santé aboutisse à une modification réelle des pratiques ? On sait le discours sur les risques à long terme très inefficace chez les jeunes. D’autres méthodes faisant appel aux techniques comportementales créant des réflexes d’inhibition seraient peut-être plus appropriées.? Des travaux doivent être menés en ce sens. Enfin, la  prévention recouvre aussi un aspect économique : quels sont les leviers économiques les plus efficaces pour restreindre l’accès à certains produits ?   Quels sont les axes prévus pour améliorer la prévention ? On sait aujourd’hui que 40% des cancers sont évitables si on modifie certaines pratiques. Les avancées en matière de  prévention doivent se concentrer sur l’éducation à la santé dans ce sens, avec un effort tout particulier sur les trois principales causes de cancer que sont le tabac, l’obésité et l’alcool. Il faut continuer la lutte contre le tabac et favoriser la multiplication des espaces qui l’interdise. Concernant l’alimentation, nous sommes très engagés contre l’utilisation des nitrites dans la maturation de la viande. Et enfin, s’agissant de la lutte contre l’alcoolisme, la Ligue s’est engagée de toutes ses forces pour que les bières ultra fortes, consommées majoritairement par les plus pauvres et les plus jeunes, soient surtaxées.   En quoi les espaces sans tabac permettent-ils de renforcer la prévention ? La Ligue est l’inventeur des espaces sans tabac et nous restons très actifs pour les multiplier au maximum : entrées / sorties des écoles, des hôpitaux, des parcs publics, les plages, les stades... Ils font écho à des valeurs positives comme la santé, la petite enfance, l’air pur, la nature, le sport… Nous pensons qu’en faisant entrer dans la tête des plus jeunes que tout ce qui a une telle valeur positive implique l’exclusion du tabac, alors sa connotation négative pourra peut-être s’imprimer de manière durable dans l’esprit de ces futurs adolescents et adultes. Le Projet TABADO va dans ce sens-là aussi. Il constitue un exemple concret de recherche interventionnelle en prévention et représente aujourd’hui un projet de grande envergure avec 60 000 élèves sensibilisés dans 12 régions françaises.   Quelles sont les voies de recherche sur les innovations thérapeutiques ? Les perspectives les plus importantes se trouvent aujourd’hui dans le développement des immunothérapies. L’une des voies des progrès actuels, c’est la levée des points de contrôle négatifs, c’est à dire redonner à notre système immunitaire sa capacité d’éradication des cellules cancéreuses. L’autre stratégie consiste à modifier génétiquement les globules blancs d’un malade, d’en faire des "OGM thérapeutiques" (les "Car T cells") de telle sorte que ces cellules immunitaires reconnaissent les cibles entourant les cellules cancéreuses et les détruisent. Enfin, le troisième domaine, ce sont les extraordinaires anticorps monoclonaux. Des résultats remarquables ont déjà été observés, dans le cancer du sein notamment. Le champ des possibles des immunothérapies est immense.

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