Le retour des enfants à l’école est un élément majeur de la stratégie de déconfinement qui est en cours de mise au point par le Gouvernement. Cette mesure va en effet au-delà des intérêts sanitaires, car elle conditionne aussi des enjeux économiques. Et au final, le Pr Jean-François Delfraissy, président du comité scientifique Covid-19, a estimé qu’il s’agissait d’une « décision politique ». Le Comité s’était, en effet prononcé pour une reprise de l’école plutôt en septembre. En conséquence la possibilité du retour des enfants et adolescents sur les bancs de la classe fait l’objet de nombreux et houleux débats. Les parents sont souvent angoissés à cette idée, et selon les sondages une majorité d’entre eux ne souhaitent pas remettre leurs enfants à l’école le 11 mai. Cette angoisse est en particulier sous-tendue par le fait que la fermeture des écoles a été la première mesure prise par les autorités françaises (en dehors de la limitation des rassemblements) pour lutter contre l’épidémie, avant même le confinement. Alors, les données sur l’infection et la contagiosité du coronavirus chez les enfants ont-elles évolué ?
Des éléments rassurants Il semble bien que oui. Selon le Collège de médecine des hôpitaux de Paris (CMHP), « il a été récemment établi d’après de nombreuses études et observations médicales internationales que les enfants ne sont quasiment pas vecteurs ni sources de contagion du virus comme cela a été supposé ou présenté au tout début de l’épidémie par analogie aux épidémies virales respiratoires notamment la grippe ». Depuis le début de l’épidémie en Europe, peu d’enfants...
ont été touchés, en comparaison, de ceux que l’on observe chez les adultes et les formes sévères ont été exceptionnelles chez les plus jeunes. « Ce virus et cette maladie épargnent en grande partie les enfants » souligne ainsi l’association française de pédiatrie ambulatoire (Afpa), qui s’est prononcée pour un retour des enfants à l’école. Dans le détail, par rapport aux adultes, le nombre des décès serait divisé par 10 000, les formes graves par 1000, les hospitalisations par 100, et le pourcentage de PCR positives par 3. « Ceci est particulièrement vrai chez l’enfant de moins de 10 ans » ajoute l’Afpa. En cas d’atteinte, le tableau clinique est généralement asymptomatique ou bénin. Les symptômes gastro-intestinaux pourraient être plus souvent présents que les adultes, de même que les symptômes ORL. Et concernant des particularités qui auraient pu être observées dans cette population, il est précisé sur le site Infovac que « dans la littérature internationale et sur une cohorte de patients hospitalisés en France comportant plus de 200 enfants, aucun facteur de risque spécifique n’a été identifié pour les quelques formes graves décrites chez l’enfant, du fait de la rareté de ces formes ». En outre, si les enfants peuvent présenter des images de pneumopathie au scanner, comme les adultes, leur gravité et leur impact clinique est moindre.
Les données de la littérature mondiale Le journal The Pediatric Infectious Disease Journal (Zimmermann et al. 39(5):355-368, May 2020) a récemment publié une revue très complète de la littérature sur les infections à coronavirus chez l'enfant dont le Sars-CoV-2. Les auteurs y affirment que ce coronavirus semble toucher moins fréquemment les enfants, causer moins de symptômes et entrainer des tableaux moins graves dans ce groupe d'âge par rapport...
aux adultes, avec des taux de mortalité « beaucoup plus faibles », quasiment nul selon les auteurs. Les auteurs soulignent que « l'importance des enfants dans la transmission du virus reste incertaine ». Une étude chinoise publiée en mars (Wong et al. Pediatrics) réalisée sur plus de 2000 enfants confirme la faible sévérité (de asymptomatique à modérée) des cas pédiatriques (à 94%). Des données italiennes officielles (23 mars), portant sur près de 58 000 sujets rapportent seulement 597 cas chez des enfants et adolescents de moins de 18 ans (1%), avec un taux d'hospitalisation de 11% (17,5% chez les moins de 1 an et 7% chez les plus de 7 ans) ; et aucun recours aux soins intensifs. Enfin, une étude espagnole (Tagarro et al. Jama pediatrics, 8 avril 2020) portant sur 365 enfants testés à Madrid établit un taux de positivité d'environ 6% la première semaine et 11% à la fin de la 2ème ; les enfants qui avaient été en contact avec un cas positif ayant plus souvent un prélèvement positif. L’Islande apporte aussi des données intéressantes. En effet dans ce pays 10% de la population a été testée. Dans une étude publiée le 14 avril dans The New England Journalof Medicine (Gudbjartsson DF et al.), 1 221 des 9 199 personnes testées étaient positives au Sars-CoV-2 (13,3%). Et cette prévalence était 2 fois moins élevée chez les enfants de moins de 10 ans (6,7%). Et parmi les sujets peu ou pas symptomatiques, aucun enfant de moins de 10 ans n’était positif, contre 0,8% du reste de la population. En revanche, la proportion de cas positifs est la même chez les adultes que chez les enfants de 10 à 19 ans. En France, les patients de moins de 14 ans représentent moins de 1% des hospitalisations. Et la mortalité est quasiment nulle. Des hypothèses physiopathologiques Comment expliquer ces différences épidémiologiques et cliniques par rapport aux adultes ? Plusieurs hypothèses sont évoquées. La première est que les enfants sont souvent infectés par d’autres coronavirus qui leur donnent des maladies bénignes, ce qui peut suggérer un phénomène d’immunité croisée, avance Infovac, dans une mise au point datée du 26 avril. La seconde est que les récepteurs aux coronavirus situés sur les cellules respiratoires (ACE2) des enfants pourraient être moins...
exprimés que ceux des adultes ou présenter des configurations différentes. En outre, les manifestations pulmonaires graves du Covid-19 sont tardives, suggérant que les processus immunitaires (possiblement différents chez l’enfant) jouent un rôle dans la genèse des lésions destructives. Et enfin les poumons des enfants seraient en meilleur état (moins exposés au tabac et autres divers polluants). Une faible contagiosité Faiblement touchés, les enfants seraient aussi moins susceptibles de transmettre le virus. Et on considère maintenant que, dans la plupart des cas, les enfants atteints ont été infectés par les adultes (et non l’inverse). Plusieurs études rapportent que les enfants, quelle que soit la forme clinique, peuvent garder du virus dans le nez et la gorge pour une période de 9 à 11 jours (Qiu et al, Lancet ID, 2020). En revanche, il n’y a donc pas d’évidence jusqu’à présent que le virus dans les selles soit infectieux (Wölfel et coll. Nature, 2020). Les études séro-épidémiologiques de 2 clusters français vont dans le sens de cette faible contagiosité. Ainsi, l’étude réalisée sur 661 personnes ayant fréquenté un collège de Crépy-en Valois dans l’Oise (320 élèves, enseignants et personnels administratifs du lycée et, 341 membres des familles des lycéens) a, entre autres, montré que le pourcentage d’enfants ayant une sérologie positive était très inférieur à celui des adolescents et des adultes : 2,7, 40 et 22% respectivement (Fontanet A et al, MedRxiv, 23 avril 2020). Et le taux de transmission secondaire intra-familial était de 11% vers les parents et de 10% vers les frères et sœurs. La majorité des sujets infectés étaient adolescents ou adultes (82%); les moins de 14 ans ne représentant que 1% des cas.
Autre cas, celui du patient britannique infecté en février à Singapour et ayant séjourné 4 jours dans les Alpes (foyer des Contamines-Montjoie) en début d’épidémie avec 10 touristes anglais et une famille de 5 résidents français. Au sein de ce foyer, il y avait un enfant de 9 ans positif et pauci-symptomatique. L’étude menée par Santé Publique France a montré que...
sur les 172 personnes côtoyées par cet enfant (majoritairement des enfants dans 3 écoles) aucune n’a été contaminée (Danis K et al, Clin Infec Dis, 11 avril 2020). Il n’a donc pas transmis la maladie malgré des interactions étroites, ce qui est en faveur d’une dynamique de transmission potentiellement différente chez les enfants. En outre, en dehors du cas de Crépy-en-Valois, « il n’y a pas eu d’épidémie documentée dans les crèches, écoles, collèges, lycées ou universités à ce jour » affirme le Comité scientifique dans son avis du 24 avril. En conséquence, pour Infovac, « contrairement aux situations observées avec de nombreux virus respiratoires, les enfants sont moins souvent porteurs du Sars-Cov-2 que l’adulte et les données disponibles sur la contagiosité des enfants entre eux et vers les adultes sont rassurantes, en particulier en ce qui concerne les jeunes enfants. […] Le rôle des enfants dans la dynamique de l’épidémie chez l’adulte parait modeste et concernerait plutôt les adolescents de plus de 15 ans. Le risque d’infection pour les adultes relève surtout du contact entre adultes eux-mêmes (enseignants, personnels et parents groupés en sortie d’école) ». L’Afpa est sur la même ligne : « un enfant qui retourne à l’école ne se met probablement pas plus en situation de risque que dans son milieu familial. Ce sont surtout les adultes de l’école (enseignants, employés, parents qui amènent et viennent chercher leurs enfants) et les adolescents qui semblent le plus impactés et doivent le plus maintenir distanciation, port de masque et lavage des mains fréquents ».
La prudence reste de mise L’Académie des sciences note, dans un avis daté du 28 avril, que « la vulnérabilité des jeunes scolaires, leur contagiosité et leur immunité sont encore mal comprises ; il est donc difficile d’inclure ces paramètres dans des modèles calculant le déconfinement ». De même, tout en reconnaissant que, « malgré l’absence d’étude concluante publiée à ce jour, il semble que la contagiosité des enfants soit inférieure à celle des adultes », l’Académie nationale de médecine (avis du 23 avril), insiste sur le manque de données : « le rôle des enfants dans la transmission n’a pas encore été bien évalué ». Force est de constater que les données sont encore insuffisantes pour avoir des certitudes...
Ainsi, le Comité scientifique Covid-19 affirme que « l’excrétion du virus dans les selles est fréquente, en l’absence de diarrhée, et peut durer jusqu’à 30 jours, sans que l’on sache si le virus est infectant ou non » (Jiehao et al, Clin Infect Dis). En outre, il n’existe qu’une publication récente sur la charge virale chez les enfants qui fait état « de charges virales élevées dans la gorge et les selles au début de la maladie, mesurables jusqu’à 15 jours dans la gorge, et 22 jours dans les selles chez un enfant » (Xing et al, J Microbiol Immun Infection, 2020) rappelle le comité. En conséquences les membres du Comité appellent à développer de nouvelles enquêtes épidémiologiques : « En prévision de la réouverture des écoles, et afin d’évaluer le potentiel épidémique associé à cette réouverture, il semble urgent pour le Conseil scientifique d’évaluer rétrospectivement la circulation du virus chez les enfants lors de la première vague épidémique ».
Des études sont déjà en cours ou le seront prochainement pour préciser les informations dans ce domaine. Ainsi l'étude Coville dirigée par le Pr Robert Cohen (Créteil, Infovac), avec le groupe de recherche en infectiologie Activ et l'Association française de pédiatrie ambulatoire, effectuera des tests PCR et une sérologie seront sur 600 enfants d'Île-de-France ayant consulté en ville, la moitié peu symptomatiques, l'autre sans symptômes ; 400 patients ont déjà été inclus. Une autre débutera prochainement avec les praticiens du réseau Pédiatrie ambulatoire et recherche en infectiologie (Pari) avec des tests sérologiques effectués sur 2 000 enfants.
Autre élément à prendre en compte pour le retour des enfants à l’école, les conséquences du confinement qui peut être particulièrement délétère dans certaines situations comme en cas de violence familiale. En outre certains enfants souffrent sur le plan psychique de cette situation exceptionnelle, source d’angoisse et de désocialisation. « Dans des milieux défavorisés, le confinement risque de creuser les inégalités en faisant perdre à de nombreux enfants leurs acquis voire leur année scolaire, et pour certains également leur équilibre alimentaire dans la mesure où la cantine constitue leur seul repas équilibré de la journée » ajoute le CMHP.
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