"Ma patientèle n’a plus de médecin et moi plus de travail" : une généraliste contrainte de plier bagage, faute de bail

13/07/2022 Par Eléonore Varini
Elle ne retournera pas à la MSP Cœur de Causse (Occitanie). Après 6 ans et demi de pratique médicale, Aurianne Ravaud, médecin généraliste, n'a pas reçu de proposition de bail de la communauté de communes et a dû mettre un terme à son activité. Désœuvrée, elle porte l'affaire en justice. 

  Article initialement publié sur Concourspluripro.fr "C’est tout un projet de vie qui tombe à l’eau !" Il y a sept ans, c’est en apprenant qu’une maison de santé pluriprofessionnelle allait ouvrir à Labastide-Murat que le Dr Aurianne Ravaud, qui venait de soutenir sa thèse, décide de s’y installer en famille. Elle signe un premier bail de cinq ans auprès de la communauté de communes, propriétaire des murs de la MSP et reçoit très vite ses premiers patients. "Les habitants attendaient depuis longtemps l’arrivée de professionnels de santé dans ce désert médical où les rares généralistes dans un rayon de 20km étaient proches de la retraite", pointe-t-elle. Aurianne Ravaud fait construire sa maison à quelques mètres de la MSP Cœur de Causse et scolarise ses enfants dans l’école du village. Elle s’épanouit dans l’exercice coordonné : "Il y a une vraie dynamique de groupe dans la structure et une excellente entente avec ma consœur et les paramédicaux." La MSP tourne à plein régime et au plus fort de la crise sanitaire, elle devient centre de vaccination. 

Les premiers "points de discorde" avec le bailleur apparaissent justement en pleine pandémie. "La communauté de communes nous a fait savoir qu’elle souhaitait supprimer le secrétariat médical [qu’elle salariait, NDLR] au moment où nous en avions le plus besoin, explique la praticienne. Il y a eu une levée de boucliers car cela signifiait de modifier de façon unilatérale notre façon de travailler. Le secrétariat a finalement été maintenu dans les mêmes conditions début 2022."    "Un mur de silence" En juin 2020, alors que son bail expire, Aurianne Ravaud obtient un avenant sans tacite reconduction de 18 mois. "Mon bail devait donc s’arrêter au 31 décembre 2021. Plus cette date approchait, plus je m’inquiétais car mes demandes auprès du président de la communauté des communes restaient lettre morte." La fin de l'année arrivant, elle comprend qu’elle n'obtiendra jamais ce document. "Je recevais de nouveaux patients et je ne savais pas si j’allais pouvoir les suivre. Je n’étais pas sereine, j’ai perdu le sommeil…" Parallèlement, elle voit passer, par hasard, une annonce dans la presse pour le recrutement d’un médecin au sein de la maison de santé. C’est la goutte d’eau... Son médecin la met en arrêt maladie le 24 décembre dernier. Aurianne Ravaud vide son bureau le 26 décembre, la boule au ventre, en informant à nouveau la communauté de communes qu’elle ne peut pas rester, faute de bail, car "il est impensable d'occuper clandestinement un local""Depuis des mois, j’avais face à moi un mur de silence et d’un coup, on m’a répondu par mail qu’on 'partageait ma volonté de quitter ​leur maison de santé' !, s’insurge-t-elle. Ça a été très violent."  Aujourd'hui encore, Aurianne Ravaud ne comprend toujours pas pourquoi la communauté de communes du Causse de Labastide-Murat n'a pas acté ce bail, pour lui permettre de poursuivre son activité, alors que dans tous les territoires ruraux, la pénurie de médecin est criante. "J'avais une patientèle à laquelle j'étais très attachée, ça a été un déchirement. Aujourd'hui, ils n'ont plus de médecin, et moi je suis moralement incapable de reprendre une activité professionnelle".  La situation est également inconfortable pour l’autre médecin généraliste de...

la MSP Cœur de Causse qui, bien que soutenant Aurianne Ravaud, a dû faire face à un afflux de patient. Car à ce jour, aucun autre généraliste n’a rejoint la maison de santé...   "Le lien est brisé" Les choses auraient pu s’arrêter là… "Mais quand le président de la communauté de communes a cru bon de communiquer auprès de la population sur les 'raisons' de mon départ, à savoir que j'avais soi-disant personnellement décidé de ne pas renouveler ma convention d'occupation des locaux, et qu'il regrettait l'impact désolant de ces décisions sur l'offre médicale du territoire alors que tout était mis en œuvre pour la soutenir... Je ne pouvais pas laisser passer ça ! De plus, on a fait croire que j’avais laissé les dossiers médicaux de ​mes patients en déshérence, ​me faisant passer pour un médecin peu scrupuleux ayant abandonné les dossiers médicaux, et a fortiori mes patients, en partant de façon impromptue. Si j’ai laissé les fichiers numérisés confidentiels se trouvant sur mon ordinateur et que je les ai confiés à ma consœur en partant, c’est qu’il m'était impossible de reprendre​ mon ordinateur qui était le support informatique pivot de notre réseau et sans lequel ma consœur ne pouvait plus travailler​. Je me suis rapprochée de l'ARS et du Conseil de l’Ordre pour qu'ils me conseillent sur la procédure, que j'ai suivie à la lettre", se défend-elle. 

Profondément blessée, elle décide de poursuivre la communauté des communes en justice pour diffamation – "et non pour rupture de bail car j’ai perdu tout espoir de reprendre mon activité à la MSP, le lien est brisé". La première audience s’est tenue le 23 juin devant le tribunal correctionnel de Cahors et le ​délibéré est attendu pour le 23 août.  Sollicité par Concours pluripro, Thierry Cassan, président de la communauté de communes du Causse de Labastide-Murat, nous a fait savoir, par le biais de son service communication, qu'il "ne souhaitait pas, pour le moment, faire de commentaire sur cette action en justice portée par le médecin contre la communauté de communes" et qu'il "se fie à l’appréciation souveraine des juges". "Mon projet professionnel est au point mort, commente Aurianne Ravaud, qui n’a pas exercé la médecine depuis janvier dernier. Je souffre d’une perte de sens alors que la médecine était une vocation. J’essaie aujourd’hui de me reconstruire, d’être avec ma famille, mais ce n’est pas facile puisque je croise mes anciens patients tous les jours…"

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