"On ne peut pas s’inventer échographiste en un week-end" : le président des radiologues alerte les généralistes
Egora : Depuis quelques années, plusieurs médecins généralistes utilisent l’échographie au sein de leur cabinet. Qu’en pensez-vous ?
Dr Jean- Philippe Masson : Je pense que quand on utilise une technique il faut être formé. Mais pas avec des formations qui sont organisées par des laboratoires ou par des vendeurs de matériel, ce n’est pas possible. Je sais qu’il y en a qui existent sur ce modèle. Il y a une pseudo école d’échographie à Nîmes qui propose des formations à l'échographie en un week-end [Centre francophone de formation en échographie (CFFE), ndlr]. Vous arrivez le samedi matin, vous faites vos deux jours d’échographie et vous repartez avec un appareil. Ce n’est pas possible. On ne peut pas s’inventer échographiste en deux jours de formation. Ils ont une hotline, où on peut téléphoner si on a un problème, ils aideront et expliqueront. Ce n’est pas de la médecine, c’est du commerce. Non seulement ce n'est pas bien mais, en plus, c’est dangereux. Si des formations plus longues étaient proposées, seriez-vous plus favorable à cette pratique par les généralistes ? A condition que ce soit des formations diplômantes et universitaires avec un programme qui recoupe la pratique générale de l’échographie. Il y a un DIU d’échographie [reconnu par l’Ordre des médecins] qui existe, qui est accessible aux médecins comme aux manipulateurs et aux sages-femmes. Si on veut faire de l’échographie, il faut passer ce diplôme, qui je crois dure une année. Parce que les radiologues, eux, ont quatre ou cinq ans d’internat pour apprendre à faire les échographies. Et même si un généraliste est très doué, je n’imagine même pas qu'il sache faire de l’échographie. Après si les généralistes veulent faire - un terme que je déteste - de l'échoscopie, en disant on met juste une sonde et on regarde, parce que c'est le prolongement direct comme le stéthoscope. Pour moi ce sont des foutaises très sincèrement. Soit on fait un examen correct, soit on ne le fait pas.
Tout dépend aussi comment on envisage le diagnostic. Est-ce que le diagnostic c’est se concentrer sur un organe ou est-ce que c'est prendre le patient dans sa globalité ? S’il y a un problème sur un organe il faut être sûr qu’il n’y en ait pas un autre qui vienne de plus haut. Par exemple, quand j’ai des patients qui viennent pour des troubles prostatiques, systématiquement je vais regarder les reins pour le même prix, pour la même cotation. Je ne vais pas être payée plus cher, parce que je regarde les reins. Cela va me prendre deux minutes de plus peut-être mais au moins je fais une espèce de “dépistage” du cancer du rein et puis si le patient a une grosse prostate, il peut avoir une dilatation des cavités pyélo calicielle réactionnelle. Pour moi ça fait partie de l’examen. Ce sont des choses qu’on apprend dans ce fameux DIU d’échographie. Ça m'étonnerait beaucoup qu’un généraliste vérifie d’autres organes. Les généralistes assurent que s’ils ne parviennent pas à poser un diagnostic, ils peuvent renvoyer le patient vers un radiologue, plus qualifié d’eux. Je vois dans ma pratique quotidienne des patients qui ont eu un examen d’échographie fait par leur médecin traitant et qui viennent me voir parce que le généraliste me les renvoie en disant : “j’ai un doute sur un truc”. Et bien, 9 fois sur 10, le “truc” c'est pas le bon. Ou alors ils disent “il n’y a pas de phlébite mais allez quand même faire une échographie chez une radiologue” et puis finalement on se rend compte qu’il y a une phlébite qui prend toute la jambe. On a tous des histoires comme ça. Ce n’est pas possible de travailler dans ces conditions, c'est même dangereux. 9 fois sur 10… Parmi ceux que j’ai vu oui. Après il y a des échographies qui sont faites que je ne vois pas. Il y a autre chose qui me gène. Est-ce que ces examens qui n’en sont pas, font l’objet d’une facturation à la Sécurité sociale au même acte qu’une échographie ? Parce qu’il est clairement mentionné dans la Classification commune des actes médicaux (CCAM) que pour donner lieu à une facturation, l’acte d’imagerie doit être obligatoirement accompagné d’un compte rendu. Or, honnêtement, j’ai rarement vu des compte-rendu d’échographie réalisés par des généralistes.
Quel est le délai moyen pour avoir accès à un radiologue ? C'est très variable, ça dépend des régions. Ça peut être de 48 heures à trois semaines. Je ne pense pas que ça dépasse un mois. Mais il faut savoir quel est le degré d’urgence. On voit souvent des patients avec des douleurs articulaires qui durent depuis longtemps, comme une espèce de tendinite chronique. Parfois ils attendent trois mois avant d’aller voir leur généraliste. En réalité, ils ne sont plus vraiment à un mois près. Mais ces patients-là viennent quand même en urgence. Donc, c’est ça qui est très difficile à apprécier en réalité. Quand les généralistes sont munis d’un échographe, ils estiment que les délais de prises en charge de leurs patients sont plus courts, car cela leur permet d'avoir accès à une imagerie plus vite... Quand on a mal quelque part, le délai est toujours trop long, je suis complètement d’accord. Effectivement si un médecin généraliste voit un calcul dans une vésicule à l’image, ça peut permettre d’accélérer la prise en charge. Mais il faut être sûr qu’il y ait bien quelque chose. Je n’ai rien contre le fait que les généralistes fassent des échographies, ça ne me pose aucun problème honnêtement. Je connais même des généralistes qui font de très bonnes échographies. Et qui en font tellement bien qu’ils se sont installés comme échographistes pur et qui ne font même plus de médecine générale. Mais, il faut être formé. Ce qui me pose problème c’est quand c’est fait de la mauvaise façon et avec une mauvaise qualité. Parce qu’une mauvaise qualité d’examen peut entraîner un mauvais diagnostic. Et là, on part sur une catastrophe. Dans les deux sens, un médecin généraliste peut dire au patient qu’il n’a rien et rassurer à tort le patient alors qu’il a un problème de phlébite. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois. Ou bien dire “il y a une anomalie sur votre rein”, alors qu’il n’y a rien du tout. Le problème est là. Lorsque qu’un généraliste vous envoie un patient après avoir réalisé une imagerie, est-ce que cela facilite ou réduit votre travail ensuite ? Non parce que je refuserai d'interpréter les images réalisées par le généraliste. Je ne sais pas comment elles ont été faites, dans quelles conditions, avec quel type d’appareil… En revanche, je vais refaire un examen à partir de 0. L'échographie c’est extrêmement opérateur dépendant, en fonction de la façon dont vous posez la sonde sur la personne, de son orientation, des techniques que vous utilisez. Vous allez voir ou ne pas voir certaines choses, ou faire apparaître des images qui peuvent être des fausses images. Donc c’est pratiquement impossible d'interpréter un examen d’échographie qu'on n’a pas fait soi-même. Dans les échographes, il y a aussi des gammes de prix très variées. Ça peut aller de 1 000 euros avec un appareil à brancher sur l’Iphone jusqu’à 300 000 euros. On ne voit pas la même chose sur ces appareils en question. Il n’y a pas les mêmes logiciels de traitement d’image, la même qualité des sondes... Donc, tout dépend ce qu’on veut faire. Si c’est pour voir si une vessie est pleine ou pas, un outil à 1 000 euros peut suffire. Mais si on veut faire une analyse plus fine d’un tendon ou d’un poignet, il faut un appareil qui soit sophistiqué. Les miens valent quasiment 200 000 euros. Si c’est juste pour se dépatouiller dans sa pratique de médecin généraliste d’accord mais si on veut faire des diagnostics et pouvoir facturer à l’Assurance maladie, là il faut pouvoir avoir la formation et l’équipement. La question n’est pas de dire si les médecins généralistes doivent utiliser ou non l’échographe. Je pense que l’échographie est une technique médicale qui doit être apprise et connue.
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