Pôle de santé : des jeunes généralistes appâtés à prix d'or

23/08/2017 Par Catherine le Borgne
Démographie médicale

C'est l'histoire d'un pôle de santé à Condé-sur-Noireau, dans le Calvados, qui a bien failli mourir, les médecins généralistes s'en allant les uns après les autres en retraite, sans successeurs. Mais qui va sans doute reprendre vie, grâce à l'inscription de la commune en zone de revitalisation rurale, effective depuis le 1er juillet dernier. Vu tous les avantages qui y sont associés, l'espoir est permis.

    "C'est un peu un hasard. Une nouvelle carte d'intercommunalité a lié Condé-sur-Noireau à Vire, et du coup, nous entrons en zone de revitalisation rurale (ZRR). On se battait pour cela depuis cinq ans, en vain, car c'est l'Etat qui décide, avec ses propres critères, et Condé ne correspondait pas. Maintenant, depuis le 1er juillet, nous y sommes", relate avec soulagement Franck Lemonier, pharmacien à Condé-sur Noireau.   Exonération totale d'impôts pendant 5 ans   A Vire, six départs en retraite sont programmés d'ici cinq ans. Et dans le pôle de santé de Condé, trois généralistes sur cinq ont déjà arrêté leur activité. On comprend évidemment l'urgence de la situation pour les patients, qui allaient rapidement se trouver orphelins de médecins de famille. L'inscription en ZRR est une sacrée bonne nouvelle, car elle donne droit à plusieurs avantages pour les entreprises, dont les médecins libéraux qui viennent s'installer. A commencer par une exonération totale d'impôts pendant 5 ans, qui devient partielle les 5 années suivantes. A cela s'ajoute, pour les médecins, la dotation de 50 000 euros sur deux ans, proposée par l'assurance maladie pour les installations en zones désertiques, assortie d'une prime annuelle équivalente à 10 % du chiffre d'affaires. Sans omettre que dans les pôles de santé ou maisons pluridisciplinaires, les équipes constituées en Sisa (Société interprofessionnelle de soins ambulatoires) peuvent bénéficier d'une dotation annuelle de 70 000 euros, pour le fonctionnement de la maison et le temps de coordination entre professionnels de santé. De quoi faire pencher la balance, tout de même. "En tant que pharmacien, je suis totalement dépendant de l'implantation des médecins, reconnaît Franck Lemonier. La perspective de voir 3000 patients privés de médecin traitant n'était pas réjouissante. Cela posait aussi, évidemment, un problème de santé publique", raconte-t-il.

 

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  Avant même la bonne nouvelle de cette inscription en ZRR, c'est la triste perspective d'une disparition progressive des médecins généralistes qui a mobilisé une poignée de professionnels de santé et d'élus, lesquels se sont démenés pour tenter de renverser la tendance. Ainsi, à l'initiative d'un praticien restant, le Dr Frédéric Lamy, et de Franck Lemonier, une page Facebook a été ouverte, qui a permis de faire une bonne touche : un natif de Caen âgé de 30 ans, qui devrait venir s'installer dans le pôle début 2018. De plus, un appel à la générosité professionnelle des confrères a été lancé, pour leur proposer de venir faire une journée de vacation par semaine au pôle de santé, ce qui aurait permis de pallier le manque. 400 lettres ont été envoyées dans la région. Sans beaucoup de succès à ce jour, les praticiens étant tous débordés. Un médecin, néanmoins, a accepté de faire 4 mois de remplacement à partir de septembre, en attendant l'installation du jeune confrère. "Il y aura quand même quelques mois très difficiles à assumer", commente Franck Lemonier.   Situation de précarité   Le Dr Jean-Edouard Brioche fait partie des médecins généralistes qui viennent de décrocher. Lui, c'est au 1er juillet dernier qu'il a dévissé sa plaque. Alors qu'il aurait pu rester un peu plus, il a voulu en partant mettre les responsables devant le fait accompli, reconnaît-il. "Je me suis dit qu'en créant la carence, il y aurait une obligation de trouver une solution", relate-t-il. Lorsqu'ils travaillaient à 5, les médecins généralistes recensaient 6 000 patients référencés. "Ce sera vraiment beaucoup à 3", commente sobrement le jeune retraité, espérant que les conditions favorables proposées aux jeunes les feront craquer pour Condé-sur-Noireau. "A 3 ou 4, on est encore dans une situation de précarité", commente-t-il en saluant la mobilisation des professionnels de santé et des élus qui, tous, "ont essayé de sauver le bateau", alors que l'ARS "brasse du vent, propose des organisations hyper complexes qui ne sont pas dans la réalité des choses. Pour obtenir une inscription en Sisa, il faut un avocat, engager une coordinatrice. On ne fait rien pour rendre les choses faciles", maugrée le Dr Brioche. Il faut dire que le pôle de santé de Condé-sur-Noireau est mastoc : 5 médecins généralistes (au départ), 8 kinés dans deux cabinets distincts, 3 podologues, un dentiste, une sage-femme, 8 infirmières dans deux cabinets distincts, un service de soins à domicile et une diététicienne. Plus deux secrétaires pour ces 1 000 m2 de surface. On se doute bien que les charges sont lourdes, surtout lorsque le compte de professionnels n'y est plus. C'est ce que tient à souligner Bernard Le Saouter, masseur-kinésithérapeute lui aussi très actif dans la recherche de praticiens. "Lorsqu'il manque des professionnels, les charges s'alourdissent pour les autres. Et en ZRR, les coûts de fonctionnement sont dépénalisés pour les médecins", lâche-t-il. En tant que kiné, "gros consommateur de surface", il admet que le choix de travailler en pôle de santé lui coûte très cher : 2 000 euros de location mensuelle, alors qu'il ne réglait que son chauffage dans l'ancien local qui lui appartenait. Mais, signale-t-il aussi, ce n'est qu'en offrant de gros avantages que l'on pourra toucher de jeunes médecins. Evidemment, vis-à-vis des autres communes qui ne sont pas en ZRR, "notre situation est très avantagée. Injuste même…". Car l'effet d'aimant de ces avantages double la galère du recrutement dans les déserts frontaliers, qui n'ont rien à offrir. C'est la loi du genre, mais elle est dure quand même. 

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