Médecin de l’ARS à la Réunion : "Il ne fallait pas céder à la pression médiatique nationale"

10/07/2020 Par Louise Claereboudt
Témoignage
Maintes fois critiquées pour leur gestion de l’épidémie de coronavirus, les agences régionales de santé sont aujourd’hui toujours sur le qui-vive pour éviter l’arrivée d’une seconde vague en approfondissant les enquêtes épidémiologiques. Directeur de la veille sanitaire à l'ARS de La Réunion, le Dr François Chieze supervise le contact-tracing. Pour Egora, il revient sur les prémisses de l’épidémie dans le département d'outre-mer le plus peuplé, déjà en proie à une épidémie de dengue.
 

“On est dans une situation insulaire, ultramarine, donc en pratique obligatoirement avec des spécificités liées à la notion de crise. La notion de circulation virale est prise en compte comme partout en France mais peut-être un peu plus fortement au niveau des zones ultramarines, du fait des cyclones, de la dengue (on est en épidémie de dengue depuis trois ans), d’éléments qui font que la cellule de crise est activée probablement plus fréquemment que dans d’autres ARS qui, fort heureusement, ne le sont que lors d’épisodes relativement graves mais ponctuels. Ca n’explique pas tout et ça n’indique pas que les choses se sont passées plus facilement. Pour la mobilisation initiale, on a fait comme tout le monde. On a avancé pas à pas en fonction de l’histoire naturelle de la maladie mais notre situation a permis en tout cas de mobiliser les équipes relativement rapidement. D’une part, parce qu’on a une cellule de veille et une cellule régionale d'appui et de pilotage sanitaire (CRAPS) et on a toute une série de membres de l’ARS prêts à intervenir sous la direction de la veille sanitaire ou des autres directions de l’ARS. Par ailleurs, certes l’ARS a la même fonction qu’une autre mais elle a sans doute plus de fonctions avec le Samu de son CHU que les autres sur les épisodes infectieux graves du fait de la proximité insulaire et puis parce qu’on a d’autres circulations qui interviennent (dengue, mers-Cov…).

  Anticipation Nous avons eu le premier cas de coronavirus le 11 mars, mais nous étions mobilisés début février. On avait des conférences avec Paris sur le sujet mais on n'imaginait pas l’ampleur que ça pouvait prendre. Comme il y a eu un décalage par rapport à ce qui se passait en Chine et même à la métropole, car l’épidémie a démarré un peu plus tard chez nous, on a eu la possibilité d’essayer d’analyser ce qui pouvait se faire, de mettre en place les équipes, les liens, les actions à mobiliser, la rencontre avec le CHU, mettre en place les capacités d’isolement, etc. On a eu une période d’anticipation. Mais on a été comme tout le monde surpris par l’ampleur du phénomène. A partir du 11 mars, on va avoir une augmentation pendant quelques jours des cas...

et puis après on a eu une montée (pente régulière) qui va se produire du 19 mars jusqu’au 14 avril. On a une situation où on n’est pas exactement sur une vague mais sur une arrivée essentiellement de cas venant de la métropole, des pays de la zone ou d’autres pays, liée aux vols ou aux arrivées maritimes. On a un nombre de cas qui va progresser de façon importante puisqu’on va passer assez rapidement de cinq cas à 400 cas. A partir du moment où on a mis en place le confinement, on va avoir une forme de plateau qui augmente. Mais sur presque deux mois, on va passer de 400 à un peu plus de 500 cas. On est sur une situation relativement maîtrisable et maîtrisée à cette époque, même si on ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer le lendemain. Par rapport à ces éléments, on avait les mêmes instructions qu’au niveau national, on a aussi eu des éléments épisodiques mais il s’agissait plutôt de cas individuels que des clusters.   Deux épidémies à cheval En parallèle, on subissait une épidémie de dengue, de type 2 qui est passée en type 1, avec des sérotypes qui varient. Il a fallu mobiliser les équipes dans une période où la maladie était très anxiogène, maintenir la lutte antivectorielle à un niveau d'opérationnalité assez important. Il n’y a pas eu de personnels touchés par le Covid-19 sur les opérations ou pour les personnes restées à la cellule de suivi des cas. De même qu’au niveau des médecins hospitaliers et des médecins de ville en activité. Les liens avec la préfecture, le CHU, les pharmaciens, l’ARS, et les différents soignants étaient réguliers. On a aussi énormément échangé sur les difficultés rencontrées. Il ne fallait pas céder à la pression médiatique nationale et internationale sur les manques multiples et variés.

Si on suit au départ l’épidémie, la priorité a consisté à mettre en place une ligne de suivi solide qui allait de l'aéroport à la régulation par le Samu en lien avec l’ARS et avec le CHU et l’organisation des tests. Pendant le premier tiers, il y a eu une mobilisation essentiellement hospitalière et administrative. Assez rapidement, la médecine de ville s’est impliquée en particulier avec la mise en place de centres Covid qui devaient permettre à des médecins de maintenir une activité par rapport à toute la pathologie classique mais aussi d’avoir des centres spécifiques. Ils étaient là pour libérer leurs confrères pour que l’activité indispensable pour un département dans lequel il y a beaucoup de pathologies lourdes (d’hypertension, diabète…) puissent continuer à être prises en charge. C’est là où on a commencé à voir plus de tension entre l’administration et la médecine de ville, essentiellement sur les problèmes de masques. Ca a parfois été complexe car les arrivées de protections étaient souvent tardives. A côté de ça, on n’a jamais été en difficulté par rapport à l’hôpital...

que ce soit en masques FFP2 ou chirurgicaux.   Il y a eu ensuite une logique de dépistage. On a pu maintenir des taux de dépistage relativement importants puisqu’on a réussi à maintenir une possibilité de dépistage au niveau du CHU et dans les laboratoires privés 10 fois supérieurs à ce que faisaient les autres départements d’outre-mer. Ca a permis, pour l’instant à raison, de montrer qu’on était réellement sur un suivi des personnes qui avaient été contaminées par une circulation externe et que l’inquiétude majeure qui consistait à l’émergence de cas autochtones et une circulation virale au sein même de la Réunion était limitée. L’ensemble des soignants ont pu reprendre leur activité avec plus d’assurance.   Lors du passage du déconfinement, la tension était très forte mais l’inquiétude s’est levée en quelques semaines. Les liens avec l’Assurance maladie ont été excellents. La mobilisation des médecins de ville a été plutôt faible pour le contact-tracing sur le niveau 1 car les situations ne s’y prêtaient pas. Et la nouveauté de la pathologie Covid-19 a fait qu’on travaillait davantage avec les hôpitaux. Sur le contact-tracing on a été amené à suivre 5.000 personnes et une quarantaine de clusters, essentiellement mars-début avril. Au total, on avait trois équipes de six personnes pour participer à l’identification des cas. On n’a pas été amené à faire appel à des renforts sauf sur les vols.

  Solidarité régionale Ce qui nous mobilise le plus maintenant, c’est l’arrivée des voyageurs avec la réouverture des vols. On se retrouve avec le contrôle sanitaire aux frontières dans notre travail normal et classique, même si c’est maintenant pour la maladie Covid-19. Mais là, on a de plus en plus de monde qui arrive donc on est très vigilant. Au total, on a eu un décès d’une personne venant de Mayotte. La deuxième partie de cette prise en charge a donc consisté à intervenir au niveau de la solidarité régionale puisque globalement on était dans une situation où on  avait des lits non occupés. On avait un devoir de faire face aux besoins de la zone...

 en particulier de Mayotte. On continue d'ailleurs à renforcer certaines évacuations sanitaires. Actuellement, l’essentiel des cas pris en charge sont liés aux besoins de Mayotte, où la situation s'améliore tout de même.   Finalement, ça s’est passé beaucoup plus facilement qu’on ne pouvait l’imaginer grâce à une harmonisation autour de la préfecture et de l’ARS avec les critiques qui étaient classiques et nationales mais à mon sens plus journalistiques que réelles. Les chiffres que l’on donne sont plutôt rassurants. On n’est pas encore sortis des risques de la zone, mais c’est plutôt positif. Le maximum de personnes qu’on ait eu en réanimation, c’était cinq personnes, alors qu’on avait bloqué 70 lits. On avait bien anticipé. Aujourd’hui, il reste trois personnes en réanimation. La durée d’hospitalisation était en moyenne de 8 à 15 jours mais a diminué de 3 à 7 jours.  Et puis, “grâce” aux épisodes cycloniques, on avait des médicaments rares si besoin. Donc l’ARS ne pouvait pas être accusée sur ce point. On n’a pas subi cette pression de la part de la population locale qui, j’imagine, a été extrêmement pénible pour nos collègues.

  Crise inédite J’ai l’impression qu’on se ferait plus attaqués sur la gestion de l’épidémie de la dengue que sur celle du Covid. Car il n’y a pas réellement eu de critiques collectives. Globalement la critique était surtout : “Ils n’ont réussi à éradiquer la dengue, qu’est ce que ça va être avec le Covid?” Mais les chiffres ont parlé d’eux-mêmes et ont fait taire les critiques. On a déjà eu des épidémies de rougeole alors qu’il y avait la dengue, mais ce n’était pas sur la même durée et la même intensité que pour le Covid. En cela, c’était inédit. Il y a eu à un moment donné des inquiétudes concernant des co-infection entre Covid et dengue : est-ce que ça allait générer des cas plus importants ? On s’est rendu compte sur la durée qu’on n’avait pas plus de décès avec la dengue que l’année précédente, ni de publication internationale sur le sujet. Il a toutefois fallu maintenir les équipes sur les terrains et maintenir la mobilisation des Réunionnais par rapport au risque de la dengue alors qu’il y avait cette autre maladie qui masquait. Ces derniers mois, la dengue est réapparue devant le Covid. Dès qu’on a vu que la courbe se stabilisait, les hôpitaux et les médecins se sont remis à accueillir des patients avec leurs maladies chroniques qui avaient probablement pu aggraver leurs symptômes.  On s’est retrouvé avec une situation épidémique sur la dengue assez forte parce que si le sérotype 2 était en chute libre, l’arrivée du sérotype 1 a fait qu’il a pris la place du sérotype 2.

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