Obèses, ils dénoncent des médecins grossophobes sur un mur de la honte
Gynécologues, endocrinologues, généralistes… Une cinquantaine de médecins et autres professionnels de santé sont publiquement montrés du doigt pour avoir eu un comportement anti-gros en consultation. La liste est tenue par le collectif Gras politique, qui dénonce la grossophobie médicale, lourde de conséquences pour les patients.
“Vous allez mourir à 50 ans”, “préparez-vous à ne jamais avoir d’enfant”, “non mais vous pouvez être franche avec moi, ce qui vous dérange vraiment c’est votre poids !”, “qu’est-ce que vous croyiez, que j’allais vous donner une petite pilule et hop, vous alliez maigrir?”, “de toute façon votre thyroïdite, y’a rien à faire, il faut attendre que ça s’aggrave”, “faites-vous poser un anneau gastrique”. Ces paroles, "les plus méchantes jamais entendues" par cette patiente témoignant sous anonymat, auraient été prononcées par un endocrinologue toulousain. Des propos qui valent aujourd'hui au spécialiste de figurer nommément sur une liste tenue en ligne par le collectif Gras politique. Une sorte de mur de la honte, accessible à tous les patients qui se renseigneraient sur internet avant de consulter un médecin.
"On veut juste être utiles"
Comme cet endocrinologue, une cinquantaine de médecins et professionnels de santé sont ainsi qualifiés de "non safe" : à éviter de toute urgence si on est gros. Leur tort ? S'être montrés "grossophobe", c'est-à-dire avoir exercé une forme de violence -physique ou verbale- à l'égard d'un patient en surpoids ou obèse. "On a commencé il y a deux ans, explique Daria, représente de ce collectif qui lutte contre les maltraitances, les discriminations ou la précarisation dont seraient victimes les personnes grosses à tous les étages de la société. On a édité une brochure sur les violences médicales et on a recueilli énormément de témoignages." La démarche s'apparente au "name and shame", une pratique anglo-saxonne qui consiste à dénoncer publiquement les personnes, groupes ou entreprises qui ont un comportement coupable. "Je n'aime pas trop le terme Name and shame, répond Daria. Nous on collecte des témoignages d'expériences malheureuses. Si on voulait faire du shaming, on passerait sur les réseaux sociaux, on serait beaucoup plus offensif. On veut juste être utiles aux gens concernés." Gras politique reçoit environ un témoignage de patient par jour. La grossophobie médicale y prend plusieurs formes : culpabilisation, incitation à la chirurgie, manque d'équipements adaptés, brutalité des gestes (palpations, frottis…), dépassement d'honoraires, difficultés d'accès à la maternité, à la PMA… "La grossophobie commence dès la salle d'attente, quand on arrive et que les chaises sont trop petites", lance Daria, qui s'est "battue" avec son généraliste pour qu'il achète un brassard de tensiomètre plus large. "J'ai également eu une gynéco qui m'a facturé une pose de stérilet 150 euros, parce que c'est 'plus cher' pour les gens dans 'mon état'", relate-t-elle.
"On vient avec un problème et on repart avec un régime"
La grossophobie peut également conduire à "l'erreur de diagnostic". "On vient avec un problème et on repart avec un régime, résume Daria. On a des témoignages de gens à qui on dit de faire un bypass alors qu'ils souffrent d'arthrose rhumatoïde. Et qui vont donc continuer à souffrir ! Ou à qui on demande de faire plusieurs fois des examens, persuadés qu'ils ont de l'hypertension ou du diabète." Aveuglés par les "clichés" sur les personnes grosses, ces praticiens passeraient à côté des "maux réels" en consultation, condamnant les patients à l'errance diagnostique. "Mes douleurs de règles étaient dues pour elle à mon poids, et je n’avais le droit qu’a du Spifen car j’exagérais, témoigne une patiente au sujet d'une gynécologue. Aujourd’hui, grâce à mon nouveau gynécologue je sais que c’est dû à une endométriose." Parfois, la consultation est tellement val vécue qu'elle amène le patient à se détourner des blouses blanches. "Je n’ose plus aller voir de gynéco, de peur d’être encore une fois humiliée et réduite à mon poids", confesse une autre patiente qui a consulté il y a trois ans pour des cycles irréguliers, avec antécédents de kystes ovariens. "Vu votre poids, vous devriez vous estimer heureuse d’avoir encore vos règles. Et si vous envisagez d’avoir des enfants il va falloir perdre tout ça !" lui aurait lancé la praticienne. "Et je suis repartie comme je suis venue, après un frottis douloureux", rapporte la patiente. Dans un contexte propice à la dénonciation des "violences obstétricales", les gynécologues caracolent en tête des spécialistes les plus fréquemment mis en cause dans la liste tenue par le Gras politique. Viennent ensuite les généralistes, les endocrinologues ou encore les cardiologues. Le surpoids et l'obésité doivent-ils devenir des sujets tabous en consultation ? Bien sûr que non, répond Daria. "Moi, un médecin qui ne me parle pas de mon poids, je lui dis d'acheter des lunettes !", lance la militante. La lutte contre l'obésité est une "quête très noble", juge-t-elle. Mais en France, au lieu de véritablement "soigner l'obésité, de développer la recherche, de prendre en compte les facteurs", "on tape sur les obèses".
"Pour la première fois, je n’entends aucune remarque sur mon poids"
Pourtant, "on peut parler du surpoids et le soigner de manière non agressive", assure Daria. Sans juger, sans culpabiliser, sans focaliser. Pour preuve, le Gras politique tient une liste de professionnels de santé jugés "safe", qui se sont distingués par leur "comportement éthique et non grossophobe". Certains sont membres du G.R.O.S, le Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids. "Pour la première fois, je n’entends aucune remarque sur mon poids lorsqu’elle m’ausculte et lorsque que j’en parle moi-même elle est à l’écoute sans jugement", mentionne un avis sur une généraliste du Nord. Ces professionnels de santé figurant sur la liste "positive" contactent parfois le collectif, agréablement surpris d'avoir été ainsi distingués. Pour ceux qui sont montrés du doigt, en revanche, c'est la douche froide. "Je suis extrêmement choquée, c'est assez honteux", réagit le Dr Catherine Chemla. D'après le témoignage à charge posté par une patiente venue consulter pour une angine, cette généraliste des Hauts-de-Seine lui aurait parlé du bypass plutôt que de la soigner. "Quand je lui ai expliqué que je n’étais pas opérable, elle m’a répondu 'ah bah vous allez mourir alors'", charge la patiente. "Je n'ai jamais dit ça à aucun patient, s'insurge la généraliste. Je n'ai jamais conseillé un type de chirurgie en particulier, je ne suis pas chirurgienne." Elle-même "obèse", elle aussi n'échappe pas au laïus des gynécologues et autres cardiologues sur son poids. "Mais il faut bien faire de la prévention! Si on ne peut plus parler des facteurs de risque…" "Menteuse", "grosse sans volonté"… Les propos prêtés au Dr Anne Schmidt, gynécologue dans la Loire, ne passent pas non plus. "Je ne traite pas les gens comme ça. Je ne me reconnais pas dans la façon dont les choses sont dites", réagit-elle, à chaud. "Oui je dis qu'il faut faire attention au poids : les ovaires et le poids ça marche ensemble. Le surpoids n'est pas qu'esthétique, il est aussi médical. On essaie de ne pas culpabiliser les gens, mais il y en a aussi qui se sentent victimes", relève-t-elle. Les deux médecins déplorent de ne pas pouvoir se défendre. Non seulement il est leur est impossible de s'opposer à la publication d'avis sur internet, mais elles ne peuvent y répondre sous peine de déroger au secret médical. L'année dernière, l'Ordre a publié une fiche pratique pour aider les médecins à gérer leur réputation en ligne, et à demander la suppression d'un commentaire jugé inapproprié à Google. Les soignants mis en cause peuvent toujours écrire à graspolitique@gmail.com. "On fait du mieux qu'on peut, proteste le Dr Scmidt. A quoi ça va aboutir tout ça? On est en train de vider tout le monde."
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