Mobilisation

"Rien n'est perdu, il faut continuer" : après la révolte, qu'en est-il de la mobilisation des médecins libéraux ?

Il y a six mois, cinq des six syndicats représentatifs des médecins libéraux signaient la convention médicale élaborée avec la Caisse nationale de l'Assurance maladie. Au grand dam de Médecins pour demain et des Comeli, qui sont nés de la protestation du terrain. Les jeux étant désormais pliés, que deviennent ces collectifs ? Sont-ils voués à disparaître ? Ou envisagent-ils de nouvelles actions pour contrer les multiples menaces – notamment législatives – qui se dressent devant la profession ?  

19/12/2024 Par Louise Claereboudt
Mobilisation

Août 2022. Alors que l'été touche à sa fin, un petit groupe de médecins libéraux discute quotidiennement sur Messenger*. Ils ne se connaissent pas tous, mais ont ressenti le besoin de partager leur mal-être. Deux ans et demi après l'apparition du Covid en France, les troupes sont épuisées. Malgré un engagement sans pareil, la médecine libérale se sent délaissée, voire méprisée par les pouvoirs publics. Les négociations conventionnelles entre les syndicats représentatifs de la profession et la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), qui doivent démarrer à l'automne, ne présagent rien de bon. Pourtant il y a urgence : l'inflation galopante a, pour bon nombre de praticiens, mis à mal leurs entreprises libérales. Et la démographie médicale en berne augure une sévère dégradation de l'accès aux soins.

Sur les réseaux sociaux, la boucle Messenger constituée au départ de quelques médecins indignés atteint rapidement une centaine de participants. Tous sont unanimes pour dire qu'il est nécessaire d'augmenter le tarif de la consultation – et s'accordent sur un montant de 50 euros. Le juste prix, selon eux, pour embaucher du personnel et ainsi améliorer leurs conditions d'exercice. La Dre Christelle Audigier, jeune généraliste lyonnaise, s'en charge. Médecins pour demain voit le jour, et grimpe en un éclair à plusieurs milliers de membres : des médecins de tous âges, de toutes spécialités, et de tous bords politiques, convaincus par la revendication tarifaire.

Ce qui ne devait être qu'un espace d'échange, de partage d'informations, d'expériences... se transforme en quelques semaines en un nouvel acteur dans le paysage de la défense de la profession. Pour se faire entendre, un bureau est constitué – avec à sa tête Christelle Audigier – et des actions à mener sont adoptées. La coordination "apolitique" et "asyndicale" veut frapper fort et appelle à la fermeture des cabinets les 1er et 2 décembre 2022. Elle ne peut signer la convention, mais veut "donner du pouvoir" aux syndicats qui ont suspendu la première séance des négociations avec la Cnam, qui a eu lieu le 9 novembre, estimant ne pas avoir été entendus. Si certains sont d'abord frileux vis-à-vis de cette nouvelle entité issue des réseaux sociaux, les syndicats finissent par soutenir la grève.

Après avoir rassemblé des centaines de confrères devant le ministère le 1er décembre par un froid glacial et avoir été reçu par le ministre de la Santé François Braun, Médecins pour demain veut maintenir la pression, en appelant à la fermeture des cabinets entre Noël et le nouvel an. Mouvement que le collectif reconduit jusqu'au 8 janvier, malgré les reproches de Ségur et de Matignon. Car au-delà des négociations conventionnelles, d'autres signaux "négatifs" sont envoyés à la profession : accès direct aux paramédicaux, multiplication des transferts de compétences, enveloppe budgétaire pour les soins de ville en baisse, menace de réintroduction de l'obligation de garde, quatrième année de médecine générale… La profession est acculée, et un vent de révolte souffle. 

 

Le réveil du terrain

Propositions de loi Rist, Valletoux, Garot… Médecins pour demain se dresse contre toutes les attaques coercitives à coups de grèves, de manifestations et de communications chocs sur les réseaux, et entraîne les syndicats dans son combat. Symbole de cette unité et d'un ras-le-bol partagé, tous les acteurs du monde libéral (syndicats, associations, Ordre des médecins) foulent ensemble les rues de la capitale le 14 février 2023 pour protester contre la loi Rist, qui veut introduire un accès direct aux IPA, en cours d'examen au Sénat ce jour-là. Le collectif "MPD" parvient même à se hisser à la table des négociations conventionnelles en tant qu'observateur, invité par l'UFML, premier syndicat à l'avoir officiellement soutenu.

 

Sans surprise, les négociations échouent – les syndicats ayant refusé de signer l'accord proposé par la Cnam, jugé "humiliant". Dans le projet de l'Assurance maladie, seuls les généralistes adhérant à l'"engagement territorial" pourraient facturer 30 euros la consultation ; les autres devraient se contenter d'une revalorisation de 1,50 euro. Un règlement arbitral se met donc en place et reprend cette augmentation d'1,50 euro du tarif de la consultation. Portés par l'élan donné par Médecins pour demain, des Comeli** (collectifs pour une médecine libre et indépendante) surgissent un peu partout dans l'Hexagone pour dénoncer ce "mépris". Véritables forces locales, ils défendent une vision de la médecine générale "libérale, indépendante, conventionnée et solidaire" et envisagent de nouveaux moyens de pression.

Ces tout jeunes collectifs décident ainsi, au début de l'été 2023, de s'inscrire dans un mouvement de fronde tarifaire pour réclamer la réouverture des négos. Une action qui n'est pas sans rappeler celle mise en place en 2002 par les coordinations, qui appelaient alors les médecins à contrevenir à la convention en facturant 20 euros la consultation au lieu des 18,50 euros négociés quelques mois plus tôt. Cette fois, les médecins contestataires appliquent des dépassements de l’ordre de 5 euros, voire plus, ce qui ne plaît guère à l'Assurance maladie qui envoie des courriers aux contestataires durant l'été 2023 pour leur rappeler leurs obligations conventionnelles. Missives qui font l'effet d'une bombe.

Les négociations reprennent finalement en novembre 2023, dans un contexte tendu. Outre cette fronde tarifaire, l'Assurance maladie doit faire face à un mouvement de déconventionnement collectif lancé par l'UFML. Une action soutenue par Médecins pour demain, de nouveau convié en tant qu'observateur, par trois syndicats cette fois - le collectif est parvenu à "faire son trou". La situation budgétaire dégradée du pays contraint également les discussions conventionnelles. Malgré des divergences de point de vue et l'absence du choc d'attractivité demandé, les syndicats finissent par signer le projet de convention début juin 2024 par la Cnam, à l'exception de l'UFML qui dénonce une "caporalisation des médecins libéraux". Le texte acte une revalorisation de la consultation de base du généraliste à 30 euros, qui sera officiellement appliquée ce dimanche 22 décembre.

"La plupart des médecins ne sont plus autant dans la revendication"

Du côté des Comeli et de Médecins pour demain, la déception est grande. "Nous savons combien ces négociations conventionnelles ont été difficiles […] Mais est-ce suffisant pour cautionner la dégradation de la médecine libérale ?", s'interroge le Comeli dans un communiqué, jugeant cette convention ni "novatrice" ni "ambitieuse". "Ce n'était pas du tout ce qu'on souhaitait, que ce soit pour l'augmentation du G ou les consultations longues. Ce n'est pas une revalorisation qu'on a eue, c'est juste une remise à niveau de nos honoraires qui n'ont, je le rappelle, pas été augmentés depuis 8 ans. C'est juste un moindre mal, on ne peut pas se satisfaire de ça", déplore auprès d'Egora la Dre Mélanie Rica-Henry, qui a pris la succession de Christelle Audigier en juin 2023 à la tête de Médecins pour demain. Pour le Dr Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, demander un G à 50 euros ne pouvait toutefois engendrer "qu'une déception".

 

Malgré la signature de la convention, les Comeli et Médecins pour demain promettent de poursuivre le combat, et de porter la voix des praticiens de terrain. Mais force est de constater que, malgré les bonnes volontés, la mobilisation s'amoindrit de fil en aiguille. "Il y a deux ans, on a réussi à mobiliser beaucoup de monde parce qu'il y avait les négociations conventionnelles, qui étaient concrètes pour les médecins. Avec l'augmentation tarifaire qui va arriver le 22 décembre, la plupart des médecins ne sont plus autant dans la revendication qu'ils l'étaient auparavant", regrette la Dre Rica-Henry. Médecins pour demain comptait "environ 4000" adhérents quand le collectif est devenu une association, en février 2023. Maintenant "on est à peu près à 2000", précise la médecin, qui souligne toutefois le nombre constant de membres sur le groupe Facebook (18 000).

"La signature conventionnelle a satisfait ou pas satisfait, mais en tout cas a ralenti un peu le dynamisme de la mobilisation, les discussions au sein de nos structures sont beaucoup moins prononcées", observe également le Dr Olivier Leroy, chef de file du collectif du Maine-et-Loire (Comeli 49). La fronde tarifaire, qui reposait sur un principe de "choix individuel", en a pâti. Nombre de médecins ont arrêté d'appliquer des dépassements d'honoraires, en particulier ceux qui le faisaient pour "précipiter la reprise des négos". C'est le cas de la Dre Vanessa Poggi, de ResIST34 : "La majorité des confrères de notre collectif ont arrêté ; on le faisait à visée politique." "Les collègues sont sonnés, épuisés, encore plus qu'en juin 2023 [date de la création de ResIST34], et dépités, ce qui fait qu'il y a moins de mobilisation", constate la généraliste de Juvignac, selon qui la hausse du G à 30 euros n'est qu'une "petite bouffée d'oxygène palliative". "La majorité des médecins vont s'en contenter jusqu'au moment où ça rebloquera au niveau des charges…", prédit la Dre Mélanie Rica-Henry.

Au-delà de la déception liée à la convention, l'incertitude politique – entre autres avec la dissolution de l'Assemblée nationale en juin dernier et, plus récemment, le renversement du Gouvernement Barnier – a aussi joué dans cette démobilisation. "Vous avez actuellement une espèce de fracture, qui à mon avis va être durable, entre la population et les politiques de par le spectacle déplorable qu'ils nous laissent à voir depuis des mois, avec une non prise en compte des réels problèmes de la population pour se concentrer sur leurs petits problèmes. C'est la même chose qui se passe pour la médecine : quand on a 8 ministres de la Santé en l'espace de 4 ans, les gens finissent par dire 'on fait sans eux' parce qu'ils ne sont pas dignes d'intérêt", tacle le Dr Jérôme Marty, qui a vu son mouvement de déconventionnement collectif lui aussi perdre de la vitesse. "Tout ça a été glacé par la situation actuelle." 


 

"Il faut que les politiques comprennent qu'ils sont en train d'écœurer une bonne partie des médecins !"

Pour le président de l'UFML, cette démobilisation n'est cependant que temporaire. "Tout le monde est un peu ralenti parce qu'on n'a pas de référentiel, pas d'interlocuteur. Je pense que les médecins vont se remobiliser : dès l'instant où il y aura un Gouvernement stable, la population médicale ne va pas cesser de prendre des coups à mon avis." Alors que François Bayrou a été nommé Premier ministre le 13 décembre dernier, on attend toujours la constitution de son Gouvernement. "Il va mettre en place un Gouvernement qui va être, d'après ce qu'il dit, à la fois de gauche, de centre et de droite. Qu'est ce qui va en ressortir pour la santé ?", s'interroge le syndicaliste. Avec un Gouvernement d'union, "on est toujours dans la recherche du plus petit dénominateur commun". "Or, quand vous cherchez ça, il ne sort pas grand-chose. Une grande décision est forcément de fracture. A partir de là, on peut imaginer qu'on va être dans une politique des petits pas et on va perdre deux ans."

Aussi bien du côté des Comeli que de Médecins pour demain – deux entités qui se disent "complémentaires", on affirme que la mobilisation n'est pas complètement éteinte. "Ce n'est pas parce qu'on ne parle pas [sur les boucles WhatsApp] qu’on ne suit pas ce qu'il se passe et qu'on n'est pas en colère", souligne le Dr Olivier Leroy. Mais "connaître le nombre de révoltés est difficile". "Il y a ceux qui sont dans l'attente, dans l'observation, ceux qui sont résignés et ont lâché l'affaire, et d'autres qui sont dégoûtés et en pleine mutation professionnelle" via "un déconventionnement, voire un arrêt de l'exercice libéral". "Il faut que les politiques comprennent qu'ils sont en train d'écœurer une bonne partie des médecins !"

Et le volcan pourrait bien se réveiller si les nombreuses propositions de loi coercitives qui ont été déposées à l'Assemblée nationale venaient à être adoptées. La menace est sérieuse : la PPL transpartisane portée par Guillaume Garot, qui veut instaurer une régulation à l'installation des médecins dans les zones où l'offre de soins est "au moins suffisante", a été signée par plus de 200 députés. "Il ne suffit pas de grand-chose pour que la colère reprenne", pense Olivier Leroy, se disant "très attentif" aux mesures législatives mais aussi aux éventuelles "postures" de la Cnam qui pourraient "ré-enflammer la protestation". C'est pourquoi les Comeli – eux aussi asyndicaux et apolitiques – continuent "d'informer" sur le terrain, en parallèle de l'action de MDP, dont la portée se veut plus nationale que celle des Comeli, plus locale. 

 

Conscient du danger, Médecins pour demain a lancé début décembre l'opération "brassard noir" pour "interpeller la population, les patients, les politiques, sur ce qu'il se passe". "Une mobilisation plus souple pour les médecins qui n'envisageaient pas de faire grève parce qu'ils n'en voyaient pas l'utilité ou qui sont tout simplement épuisés." "Maintenant que le temps des négociations conventionnelles est passé, on entre dans un temps d'action plus long. Notre but est de faire passer un message à la classe politique. C'est une action sur du long terme, ça peut être décourageant pour beaucoup, mais nous sommes persuadés que ce sera payant", ajoute sa présidente, qui souligne avoir eu "quand même des petites victoires" sur la PPL Rist ou Valletoux par exemple, en limitant la portée de ces textes.

 

"La mobilisation, c'est aussi via les urnes"

Excluant tous deux de devenir des syndicats, les Comeli et Médecins pour demain veulent "plutôt œuvrer vers une convergence plutôt qu'une division". Car l'union fait la force, indique-t-on. "Il ne faut pas qu'on oublie qu'on a quand même les élections URPS qui arrivent" en 2026, poursuit la Dre Mélanie Rica-Henry. "Notre but est d'inciter les médecins à se syndiquer, peu importe le syndicat ; car plus il y aura de monde à voter, plus le paysage syndical sera en adéquation avec les médecins en exercice." Pour la généraliste, inquiète "pour l'avenir de la médecine", c'est aussi ça la mobilisation. "Ce n'est pas forcément être toujours dans la revendication et la grève, c'est aussi une mobilisation dans les urnes." Rappelons qu'aux dernières élections URPS, d'avril 2021, le taux national de participation des médecins libéraux s'était élevé tant bien que mal à 22%. "On ne peut pas faire plus mauvais résultat", juge Jérôme Marty.  

 

*messagerie instantanée de Facebook.  

**on en dénombre près de 80 désormais selon la Dre Vanessa Poggi.

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Stéphanie Beaujouan

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Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus

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Autre spécialité médicale
il y a 1 jour
En 68, le slogan c'était "Soyons réaliste, demandons l'impossible" mais on étaient de jeunes adultes, En 2024 , c'était "la consult à 50 euros", et là on est adultes. et pour certains largement... C
 
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