Ils n'ont pas dit leur dernier mot : sur le terrain, les collectifs de médecins libéraux poursuivent le combat
Le Collectif pour une médecine libre et indépendante (Comeli), qui regroupe plus de 70 succursales locales, est né en 2023 avec l'ambition de "mettre en exergue le malaise" de la profession et réclamer la reprise des négociations conventionnelles. Alors que la nouvelle convention 2024-2029 vient d'être signée par les syndicats et la Caisse nationale de l'Assurance maladie, le compte n'y est toujours pas pour l'organisation. Mais le combat n'est pas fini, souligne l'un de ses porte-paroles, le Dr Olivier Leroy, chef de file du collectif du Maine-et-Loire. Entretien.
Egora : Cinq des six syndicats représentatifs ont signé la nouvelle convention médicale 2024-2029. Signature que le Comeli a vivement déplorée. Pourquoi ?
Dr Olivier Leroy : L'urgence pour notre système de santé, qui est en réelle perdition, était de réaliser un vrai choc d'attractivité. Or, pour provoquer un choc d'attractivité, il n'y a pas que la revalorisation tarifaire qui est importante. Dans cette nouvelle convention, on nous oppose des engagements conventionnels ou des engagements à moins prescrire, à être plus écoresponsable, etc. On interfère dans nos pratiques. Finalement, cette convention va être plus contraignante qu'attirante…
Au sein du Comeli, vous défendez l'indépendance professionnelle. Ces engagements pour l'accès aux soins et ces objectifs de pertinence sont-ils pour vous une ligne rouge ?
Tout dépend des modes de calcul utilisés par l'Assurance maladie. L'objectif de la Cnam est de faire que les médecins voient de plus en plus de monde. Or, ceux qui sont fléchés comme étant des "surprescripteurs" d'arrêts de travail ou d'antibiotiques sont souvent des professionnels qui ont des petites patientèles – parce qu'ils ont une activité mixte ou un temps partiel. Ces derniers ont une patientèle diluée, avec beaucoup de retraités, donc une proportion d'indemnités journalières moindre. Si on réfléchit comme ça, on va pointer du doigt uniquement ceux qui ont une activité partielle et déstabiliser encore plus l'offre de soins...
La liberté et l'indépendance que l'on prône au sein du Comeli, et qui sont inscrites dans le code de déontologie, sont mises à mal par ces mesures, pourtant nécessaires. Nous savons qu'il y a des abus de la part de certains confrères, mais comme ils sont souvent dans des déserts médicaux importants, l'Assurance maladie ferme les yeux. On est vraiment dans une iniquité de traitement, c'est inacceptable.
Que faudrait-il pour rendre redonner de l'air à la médecine libérale ?
Aujourd'hui, je pense qu'il faut donner beaucoup plus de souplesse, de liberté de choix d'exercice. Nous, médecins libéraux, avons des avis différents sur la forfaitisation, sur l'exercice coordonné financé par l'Etat. Il faut mettre fin au mono-modèle. Il faut que chacun de son côté - en fonction de sa patientèle, de son lieu d'exercice, etc. – essaie de réfléchir à ce qui lui correspond le mieux pour prendre en charge ses patients correctement. Actuellement, la politique de santé est fondée sur un dogmatisme économique, alors que nous prônons clairement la qualité des soins.
Il faudrait imaginer un système conventionnel un peu différent. On peut envisager trois types de sectorisation : un secteur pour ceux qui sont prêts à avoir des contreparties moyennant une prise en charge importante de leurs cotisations sociales ; un modèle proche d'un secteur 2 à tarif libre non Optam ; et enfin un secteur 3 avec des médecins déconventionnés, mais dont les patients pourraient être remboursés de la même manière que les autres patients. Il faudrait aussi permettre aux spécialistes de médecine générale qui n'ont pas fait de clinicat d'atteindre le secteur 2 non Optam.
Vous prônez un modèle à la carte, mais est-ce vraiment réalisable ?
Effectivement, au vu de la situation économique de la France, nous n'avons pas trop de marge de manœuvre. D'où l'intérêt, il me semble, de faire intervenir les complémentaires santé. Il existe un risque que ces dernières augmentent leurs tarifs. Mais elles doivent s'engager à respecter des tarifs adaptés, et à ce que leurs bénéfices – qui sont très conséquents – ne soient pas investis dans des bateaux, des vignobles ou des stades de football, mais plutôt redistribués dans un système de santé qui en a besoin.
Le système conventionnel a été grandement fragilisé au cours des 18 mois de négociations. A-t-il toujours de l'avenir ?
Pour moi, il doit avoir un avenir. Il est fondamental d'avoir un système accessible pour tous, égalitaire, comme il l'a été imaginé au départ. Mais il faut qu'il soit repensé. Il est surtout primordial de rééquilibrer le partenariat entre l'Assurance maladie, les représentants des médecins libéraux et l'Etat. Aujourd'hui, il y a une perte de confiance dans ce système conventionnel parce qu'on a l'impression que l'Etat donne des directives, qu'elles sont appliquées par l'Assurance maladie, et que nous, médecins libéraux, sommes contraints de les suivre…
Des améliorations seraient pourtant envisageables, avec peut-être plus de spécificités locales. Nous avons clairement besoin des administratifs que sont les agences régionales de santé, mais aussi d'avoir une assurance maladie publique et privée, et des professionnels de santé pour décider ensemble, car nous avons tous un regard différent. C'est en croisant ces regards de façon respectueuse et équilibrée qu'on arrivera à un vrai système vertueux.
Vous avez qualifié les syndicats de "salariés d'une Assurance maladie rigide", soulignant une forme de soumission. Ces organisations ont-elles encore une légitimité sur le terrain ? Ont-elles pêché dans le fait de porter la voix du terrain ?
C'est difficile d'endosser le rôle de représentant syndical. D'autant plus face à une Assurance maladie fermée, qui introduit des objectifs qui ne sont pas forcément en adéquation avec les attentes du terrain... Les syndicats étaient entre le marteau et l'enclume. Mais on constate tout de même une absence d'écoute de nos représentants : ils ont été guidés par la peur d'avoir pire après - c'est probablement la raison pour laquelle ils ont signé -, par la peur d'être évincés des discussions.
Il faut toujours garder à l'esprit que notre fonction de soignant, c'est de soigner les patients avec les moyens maximum, en replaçant l'humain dans le soin, et non le financier. Or, la nouvelle convention place clairement le financier avant l'humain. On est en train de déshumaniser notre système de santé, et ils en portent en partie cette responsabilité.
Vous portez depuis plusieurs mois le mouvement de fronde (ou désobéissance) tarifaire comme réponse au mépris affiché par les pouvoirs publics au travers du règlement arbitral. Allez-vous poursuivre cette action ?
On a tous l'espoir d'avoir un système conventionnel qui nous permette d'exercer notre métier de la meilleure manière, qui nous permette de pérenniser nos cabinets, d'investir, d'embaucher. Avec les 30 euros, cela va être compliqué… J'ai des confrères qui ne font pas la désobéissance tarifaire pour dire de faire de la désobéissance, mais pour essayer de maintenir leur équilibre à flot…
La désobéissance tarifaire a été initialement portée en appel à une reprise des négociations. Certains dans ma Comeli ont cessé d'appliquer des dépassements quand les négociations ont repris. Quand on arrivera à 30 euros à la fin de l'année, on sera peut-être dans d'autres réflexions pour certains. Chacun décidera de ce qu'il souhaite. Nous n'avons pas à imposer des règles.
Si on entre dans un conflit avec l'Assurance maladie face à ces dépassements d'honoraires, cela risque d'aggraver encore plus la démographie : les médecins qui seront pointés du doigt et pénalisés risquent de cesser leur activité ou de se déconventionner. Cela va être très sensible.
Vous aviez promis de défendre les membres du Comeli qui seraient inquiétés par leur CPAM pour avoir appliqué des dépassements d'honoraires. Les caisses ont-elles mis fin à leurs procédures ?
Il y a eu quelques lettres adressées à des médecins dans lesquelles les CPAM disaient surveiller leur activité après avoir constaté qu'ils dépassaient les quotas autorisés de DE, mais ça n'a pas été plus loin. Cependant, du fait de la signature de la convention, les sanctions des caisses seront probablement plus réelles dans les prochaines semaines ou mois qu'elles ne l'étaient jusqu'ici… Chaque Comeli viendra alors en soutien aux médecins inquiétés. Certains généralistes sont prêts à aller au bras de fer avec les caisses.
D'autres actions sont-elles envisagées ?
Nous avons plusieurs axes d'actions. L'objectif du Comeli reste de comprendre, d'informer et d'unir le terrain. La première action sera de consolider cette unité, quelles que soient nos appartenances et nos exercices. Ensuite, nous allons continuer à échanger, à partager pour comprendre le système et vers où les politiques veulent aller. En fonction de cela, on va pouvoir faire naître des actions à court terme sur le terrain. On va, par exemple, mener des informations locales sur la nouvelle convention. Il y aura un avant 2023, où les médecins étaient un peu égarés et loin des règles conventionnelles, et un après 2023. Probablement qu'au sein des collectifs départementaux germeront des idées pour adapter cette convention afin qu'elle respecte notre code déontologie, de retrouver du sens dans ce que nous faisons et de rendre notre profession attractive.
Plusieurs collectifs vont aussi proposer des projets, des expérimentations, au niveau local/départemental pour tenter de répondre aux enjeux de santé publique face à la problématique de démographie médicale : réfléchir aux soins non programmés, promouvoir la spécificité de nos territoires, identifier des solutions pour redonner de l'attractivité aux médecins remplaçants, etc. Ces expérimentations seraient en cohérence avec le terrain et ne subiraient pas les directives descendantes inadaptées.
Nous allons aussi œuvrer pour le respect du droit à la santé pour tous les patients, en militant contre le tarif d'autorité. Et nous réfléchirons à des contre-modèles pour lutter contre la dégradation de la qualité des soins et la financiarisation de la santé. Toutes ces actions seront mises en place à court, moyen et long terme. L'objectif est que chacun dans les Comeli se saisisse d'actions ou de manière d'agir pour se mobiliser et garantir des soins les plus qualitatifs possibles.
Parmi les expérimentations que vous portez, vous poussez par exemple pour la mise en place d'"une CCAM clinique", qui viendrait remplacer la NGAP…
Aujourd'hui, une majorité de confrères n'utilisent pas la CCAM telle qu'elle existe parce qu'elle est trop compliquée, pas adaptée, pas cohérente avec notre exercice. Il faut peut-être faire les choses autrement. La "CCAM clinique" peut-être une des solutions à apporter. C’est-à-dire l'adapter au plus près de nos pratiques. Nous essayons de pousser pour que des expérimentations locales aillent dans ce sens. Est-ce que cela va aboutir ? Je ne sais pas – d'autant plus avec la dissolution de l'Assemblée nationale -, mais ce sont des pistes de réflexion que l'on souhaite porter localement.
Il y a urgence ?
Notre système de santé est en train d'exploser : l'hôpital s'effondre, la médecine de ville perd son sens et son âme. Nous vivons de plus en plus des situations dramatiques, avec par exemple des décès qu'on ne voyait pas, des renoncements aux soins qu'on ne voyait plus. On appelle à un réel plan Marshall de la santé : tous les professionnels de santé, les institutions, toutes les personnes compétentes (économistes, sociologues…) pourraient y travailler, afin de reconstruire un modèle vertueux, respectueux de nos valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité), et humaniste. Il faut replacer l'humain au centre du soin.
Combien êtes-vous désormais ? Avez-vous une visibilité sur vos membres ?
La visibilité réelle sur le nombre de médecins présents dans le Comeli est assez difficile. Mais on sait que 74 départements possèdent un collectif Comeli ou ResIst (l'autre terme utilisé par certains départements). Dedans, nous avons des collectifs plus ou moins importants avec des proportions de 60 à 70% des médecins du territoires, comme dans le Maine-et-Loire. Certains collectifs sont un peu moins fournis.
Tous ceux qui sont actifs actuellement sur l'avenir de notre système de santé et conventionnel sont des médecins qui sont souvent engagés localement, au niveau ordinal ou syndical, avec des étiquettes diverses, ou au sein de Médecins pour demain. La différence est que dans les collectifs, tout le monde a le droit de s'exprimer, les avis sont partagés. C'est souvent ce qui permet d'avoir une vision réelle du terrain, avec des analyses pertinentes.
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