"La convention ne sortira pas la médecine libérale du marasme dans lequel elle est enfoncée"
Alors que la convention médicale s'apprête à être signée par cinq des six syndicats représentatifs des médecins libéraux, l'UFML - seule organisation à l'avoir désapprouvée - tire la sonnette d'alarme. Dans une tribune qu'Egora publie exclusivité, son président, le Dr Jérôme Marty, juge cette convention "dangereuse en ce qu’elle poursuit la fragilisation des exercices médicaux". Elle "ne résoudra donc en rien la crise dramatique de notre système de santé, en médecine de ville ou à l’hôpital", déplore le généraliste.
"La convention médicale va être signée le 4 juin. L’Assurance maladie va se poser en vainqueur et parler d’investissement historique, la presse relaiera 'une victoire du 30€', les signataires parleront d’avancées, et ouvriront au fantasme d’une convention évolutive.
Et pourtant ….
1 / Le G à 30 euros (rattrapage de l’inflation) est nommé et présenté comme une augmentation tarifaire, et de fait, il n’y aura plus de progression tarifaire pendant 5 ans. Ce rattrapage, sous l’effet de l’inflation, s’annulera sur la période conventionnelle. Rien n’aura été réglé.
2 / La convention précédente a, par décision politique, duré 7 ans, soit 2 ans de plus que la durée légale. Le texte conventionnel qui va être signé ne contractualise pas d’augmentation tarifaire en cas de nouvelle augmentation autoritaire de cette durée. L’Etat pourra continuer en un jeu malsain, à faire des économies sur le dos des médecins libéraux.
3 / Le principe de la limitation du nombre de consultations complexes pour un même patient est avalisé. La responsabilité du médecin reste elle, engagée à hauteur de la difficulté de l’acte à chaque fois et, dans la majorité des cas. Il ne sera donc pas rémunéré à hauteur de cette responsabilité.
4 / L’accès aux honoraires complémentaires reste inégalitaire puisque la majorité des médecins libéraux en restent privés alors même que, structurellement, l’exercice de la médecine se complexifie.
5 / La visite, acte primordial de l'exercice du médecin généraliste, reste non valorisée à hauteur de sa valeur médicale. Seules les visites régulées bénéficient d’une réelle augmentation ce qui caporalise un peu plus l’exercice des médecins libéraux.
6 / Le nouveau forfait médecin traitant, ne rentrera en fonction qu’en 2026… Ainsi le bénéfice conventionnel ne sera complet que durant la moitié de l’exercice conventionnel.
7 / Si la permanence des soins ambulatoires (PDSA) comme en établissements de santé (PDSES) reste sur la base du volontariat, les actes réalisés pendant cette période ne sont pas défiscalisés et aucun financement de repos compensateur n’est mis en place. Rien ne vient reconnaitre la spécificité de l’engagement des médecins libéraux dans cette mission.
8 / En l’état, hormis pour quelques actes la convention 2024 avalise le concept 'premier acte tarifé à 100%, deuxième acte à 50%, troisième acte gratuit' lors de cumul d’acte. La responsabilité du médecin libéral reste, elle, engagée à 100% pour chaque acte effectué.
9 / Rien dans le texte conventionnel signé par les syndicats ne sacralise comme majoritaire la part du paiement à l’acte au sein des modes de rémunération, celle-ci pourrait donc continuer à baisser et avec elle l’indépendance de l’exercice.
10 / La valeur de l’acte de base reste à 23€ pour les médecins en secteur 2, et le texte conventionnel maintien la minoration du remboursement des patients qui consultent un médecin de ce secteur par rapport à celle obtenue s’ils consultent un médecin sous option pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM). Ce mode d’exercice se voit fragilisé alors que celui-ci devrait être étendu à tous les exercices au regard des possibilités économiques de l’Assurance maladie.
11 / Le pouvoir de l’Assurance maladie sur les exercices des médecins libéraux est renforcé au travers d’engagements
collectifs dont l’intérêt sanitaire reste parfois à démontrer tandis que le texte conventionnel engage les médecins dans une course à l’acte (augmentation des files actives, augmentation de la patientèle médecin traitant, augmentation des patients en ALD…) incompatible avec la qualité des soins.
12 / Alors que la hiérarchisation des actes garantissait que toute révision de la nomenclature ne pouvait être que gagnante (principe des tarifs cibles), la nouvelle convention fait sauter ce verrou. Il n’y a donc aucune garantie que la valeur des actes ne diminue pas en dessous de sa valeur actuelle lors de la révision de la CCAM qui aura lieu dans 2ans.
13 / La convention 2024-2029 ne donne pas les moyens de l’indispensable choc d’attractivité dont relève la pédopsychiatrie et la psychiatrie. Les difficultés rencontrées par les patients atteints de pathologie psychiatrique vont se poursuivre avec toutes les conséquences sociétales que cela implique.
14 / Fragilisée par cette convention, la radiologie sera la cible de la financiarisation. Aucune garantie de maintien de la valorisation actuelle des forfaits techniques des équipements lourds en radiologie n’est présente dans le texte conventionnel, alors qu’ils ne compensent pas l’inflation et que les produits de contrastes sont maintenant à la charge des radiologues.
15 / Si la convention 2024-2029 porte une augmentation des rémunérations forfaitaires des maitres de stages universitaires, celles-ci demeurent sous-évaluées au regard de la hauteur de leur investissement en temps auprès des étudiants et ne valorise pas suffisamment la transmission du savoir, notamment sur les territoires en difficulté, alors qu’elle est cruciale pour favoriser l'installation des jeunes médecins libéraux.
16/ La convention 2024 - 2029 ne porte aucun cadre, et aucune limite à la poursuite de l’accès de professions non médicales à des actes jusque-là réservés aux professions médicales…
17 / Aucune mention de réévaluation du tarif d’autorité vers les tarifs opposables ne figure dans cette convention. Ceci exclut de fait, d’une prise en charge décente, tous les Français qui cotisent pour leur santé, et tous les patients éligibles à l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) et à l'aide médicale de l'État (AME). La Cnam s’expose ainsi à une action de groupe visant à réclamer une seule solvabilité des soins par les adhérents cotisants du système de santé français.
La convention 2024 - 2029 ne sortira pas la médecine libérale du marasme dans lequel elle est enfoncée depuis trop longtemps et ne permettra pas aux Français de voir une amélioration de leur accès au soin. Pire, elle est dangereuse en ce qu’elle poursuit la fragilisation des exercices médicaux et ne résoudra donc en rien la crise dramatique de notre système de santé, en médecine de ville ou à l’hôpital. Elle va pourtant être appliquée…
La France relève pourtant d’une grande réforme sanitaire. Il faut pour construire celle-ci : une vision, un cap et un capitaine à la barre. Elle manque malheureusement cruellement des trois."
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