Tiers-payant : mes 20 ans de pratique et de galères

12/02/2015
Billet de blog

DocArnica est généraliste à Strasbourg. Elle pratique le tiers-payant pour un grand nombre de ses patients depuis une vingtaine d'année. Dans ce billet de blog, elle raconte la galère de ce système. Si elle n'est pas opposée au principe d'un tiers-payant généralisé, elle s'inquiète de son application via la loi de santé de Marisol Touraine.   Rosie est "enseignante" comme elle dit, elle vient de signer son contrat de médecin traitant avec moi ce matin. Elle n’a pas de grosses histoires médicales dans ses antécédents, juste de petits bobos. Je termine la consultation pour sa rhino-pharyngite par la facture de soins électronique (FSE), éditée avec sa carte vitale. Je coche : nouveau médecin traitant et je vois qu’elle a sur sa carte sa sécurité sociale et sa mutuelle à la MGEN, la caisse obligatoire des enseignants. Je coche tiers-payant intégral. Rosie n’avancera rien pour sa consultation, comme je suis son médecin traitant depuis 15 minutes. Je lui explique l’importance d’envoyer son papier de déclaration pour que je sois bien payée à l’avenir par sa caisse.  

Sa caisse est mauvaise payeuse et bloque le tiers-payant

  Mohammed est étudiant à Strasbourg, sa caisse est obligatoirement une des deux caisses étudiantes locales, la LMDE ou la MGEL à Strasbourg. Son médecin traitant est en banlieue parisienne. Mohammed a de petites ressources et j’aimerais lui faire bénéficier du tiers-payant, mais sa caisse est mauvaise payeuse et bloque le paiement de mes honoraires lorsque je le pratique. Il va devoir payer les 23 euros de sa consultation. Philomena est étrangère, elle est arrivée à Strasbourg il y a 9 mois. Elle travaille et gagne le SMIC. Les fins de mois sont difficiles. Elle n’a toujours pas de carte vitale et me raconte le parcours du combattant pour l’obtenir. Elle en a fait la demande depuis son arrivée en France. Elle n’a qu’une attestation avec un numéro de Sécurité sociale provisoire. Je ne peux que lui fournir une feuille de soins papier. Elle va me régler les 23 euros par chèque que je vais garder quelques temps avant de l’encaisser. Le délai actuel pour le remboursement, qui est pourtant fixé par convention à 10 jours, est en réalité de 2 mois et demi pour la Sécu. Je note au dos du chèque : à encaisser fin du mois, quand elle aura son salaire.  

Le RSI m’a demandé d’arrêter le tiers-payant

  Patrick est artisan, sa caisse s’appelle le RSI, il est coronarien, a déjà fait un infarctus à 40 ans. Il bénéficie pour les soins liés à sa pathologie cardiaque d’une prise en charge à 100% au titre de l’Affection de Longue Durée (ALD) pour 5 ans. Je suis son médecin traitant depuis 15 ans. Il vient pour un contrôle et le renouvellement de son traitement. Il consulte tous les trimestres. Je pratique avec lui le tiers-payant quand...[ pagebreak ] cela concerne son ALD. Il ne paye pas la consultation. La dernière fois qu’il est venu pour une bronchite, je lui ai demandé 6,90 euros, ce qui correspond au reste à sa charge et lui est remboursé par sa mutuelle. Le RSI m’a envoyé un courrier me demandant de cesser cette pratique. Ils n’acceptent le tiers-payant qu’en cas d’ALD. Va comprendre. Lucie est étudiante et a signé avec moi un contrat de médecin traitant en octobre 2014. J’ai pratiqué le tiers-payant à cette première consultation. Elle m’a réglé 2,30 euros, comme elle est encore concernée, à moins de 20 ans, par le régime local de sécurité sociale de ses parents. Par contre, elle est assurée obligatoirement à une caisse étudiante, la MGEL ici. J’ai rempli en octobre son contrat de médecin traitant et lui ai demandé de l’envoyer.  

Les étudiants renoncent souvent aux soins

  La semaine dernière, je lui ai posé un stérilet et je ne lui ai demandé que les 10%, soit 3,80 euros. Sa caisse refuse de me payer les 34 euros restant. Elle n’a pas enregistré mon nom comme médecin traitant. Je n’ai plus qu’à essayer de récupérer les sous chez la jeune patiente. Les caisses étudiantes sont les plus mauvaises en gestion de cette pratique, ce qui fait que les étudiants renoncent souvent aux soins. Le délai pour obtenir leur première carte vitale est effarant. Demande en octobre et réception fin mars, alors que l’année universitaire est pratiquement terminée. J’ai vu cela avec mon fils, qui a dû, suite à un traumatisme crânien, faire une IRM. En raison de la lenteur et de l’incompétence de ces caisses, j’ai payé l’IRM et n’ai jamais vu le remboursement, malgré toutes mes démarches. Les étudiants français subissent une...[ pagebreak ] double peine : peu de revenus, peu de bourses et de grandes difficultés à obtenir une carte vitale. Cet état de fait ne s’améliore absolument pas avec les années. Ils renoncent souvent à des soins pris en charge par la Sécu en raison de la nécessité d’avancer des frais sans carte vitale.  

Les dossiers des étrangers, souvent perdus

  Les patients étrangers ont également de gros problèmes pour obtenir cette carte vitale. Les demandes de papiers sont répétées, les dossiers se perdent souvent. Ils sont obligés de tout recommencer. La carte vitale ne nous est pas d’un grand secours pour consulter les droits. Ils ne sont pas inscrits dessus. Il nous faut passer par le serveur de la Sécurité sociale qui n’est opérationnel que pour la CPAM. Pour les autres caisses, il faut consulter un autre serveur et certaines n’ont pas d’interface commune, comme la MGEL justement. Cela est chronophage et n’est pas possible à chaque consultation. Je le fais quand j’ai déjà eu un impayé.  

Environ trois refus de paiement par semaine

  Les impayés sont beaucoup plus fréquents depuis que le paiement est assujetti à la déclaration de médecin traitant. Certains collègues indélicats, pour être sûrs d’être payés, déclarent même quelques fois à l’insu du patient sur internet être le médecin traitant, quand le patient consulte ailleurs. J’ai environ 3 refus de paiement par semaine, soit refus complet, quand le...[ pagebreak ] patient n’est plus assuré à la caisse qui correspond à la carte vitale, soit partiel, quand le patient n’a pas envoyé sa déclaration de médecin traitant. La loi de santé que notre ministre Marisol Touraine veut faire voter est un grand fourre-tout assez mal ficelé et dont les modalités d’application ne sont pas définies. Elle inquiète nombre de mes collègues. Leur principale revendication est le refus de pratiquer un TPG, c’est à dire le Tiers Payant Généralisé. Je trouve que l’idée n’est pas choquante en soi. Nos voisins allemands ne payent pas les consultations chez leur médecin traitant, ni les médicaments en dehors d’une petite franchise trimestrielle. Mais les médecins allemands ne sont pas payés comme nous à l’acte et leur rémunération est évaluée en fonction du nombre de patients suivis et de leurs pathologies plus ou moins complexes. Cela n’est pas du tout le cas en France, où le médecin est payé, quelle que soit la complexité ou non de la pathologie ou de l’acte réalisé, exactement au même tarif, soit 23 euros, le tarif le plus bas d’Europe. En bref, je suis payée 23 euros que je fasse un vaccin ou que je fasse une consultation longue d’éducation thérapeutique chez un diabétique ou un asthmatique.  

De moins en moins de médecins souhaitent s’installer en libéral

  Ce tarif ne permet pas d’attirer de nouveaux jeunes médecins vers la pratique libérale, il y a moins de 10% des étudiants en fin de cursus qui s’orientent vers cette voie. Mes stagiaires, internes de médecine générale, se tournent de plus en plus  vers les postes salariés après leur diplôme. Ils n’auront pas, après leurs consultations, à gérer une petite entreprise (comptabilité, charges à payer, salaires à payer), ni à multiplier les heures de travail à l’envi. Avec le temps, je suis de plus en plus convaincue que le paiement à l’acte est...[ pagebreak ] dépassé, il permet à des médecins peu scrupuleux et pratiquant une médecine d’abattage avec des consultations de 10 minutes de gagner bien mieux leur vie que ceux qui se forment et passent du temps à faire des consultations de qualité. Le tiers payant généralisé, pour les médecins de premier recours que sont les généralistes me paraît une idée à creuser, mais à condition que la caisse d’assurance maladie s’occupe entièrement du règlement des honoraires au médecin et que la rémunération se fasse en fonction du type d’acte pratiqué et non du nombre.  

Une carte bleue "avance-santé" pour les mutuelles ?

  Ces conditions ne sont même pas évoquées dans le projet de loi actuel, qui est bâclé dans ses modalités d’applications. Je vais par conséquent continuer à pratiquer le tiers-payant sur la part Sécurité sociale et je vais continuer à faire payer 2,30 euros ou 6,90 euros à mes patients, ce qui me semble un petit effort pour eux et qui me dispensera de gérer l’ingérable c’est à dire les paiements de plus de 500 mutuelles françaises. Il existe aussi un système, encore peu répandu, qui fonctionne pourtant très bien : certains patients ont une carte avance-santé qui permet de payer les frais médicaux et qui fonctionne comme une carte bleue. Pourquoi ne pas généraliser ce système à toutes les mutuelles ?   Le blog de DocArnica sur Rue89strasbourg.com

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Stéphanie Beaujouan

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