Depuis le 31 mars 2018, la centaine de médecins privés de thèse en France peuvent enfin souffler. Un décret leur permet désormais de s’inscrire à l’université, soit directement pour soutenir leur thèse soit pour valider un complément de formation avant de prendre une inscription en vue de leur soutenance de thèse. Arnaud Deloire, 45 ans, fait partie de ces médecins qui n'ont jamais eu le droit de s'installer. Depuis un an, il dirige une société de monocycles électriques. Il nous dévoile son parcours ponctué d'espoirs, de déception et d'un amour pour la médecine qui ne s'est jamais érodé.
"C'est une merveilleuse nouvelle, nous allons très certainement pouvoir enfin exercer la médecine. Il aura fallu être patient et attendre six ans. La contrepartie sera de devoir exercer deux ans en zone sous dotée mais ça n'est pas un problème. Des zones sous dotées désormais il y en a partout. Il n'y aura pas besoin d'aller bien loin. En plus je trouve que c'est une tâche assez noble. La population a besoin de médecin. On ne peut pas dire qu'il s'agit d'une punition. Aujourd'hui je peux encore dire que la médecine est quelque chose qui me constitue. Le choix de ce parcours s'est déterminé pendant mon adolescence sur des idées très idéalistes. C'était une vocation. Après mon résidanat*, j'ai fait mon service militaire en tant que médecin aspirant. Puis j'ai suivi mon ex-épouse à Rouen où j'ai fait mes deux derniers stages dans la région. J'en ai même fait un de plus, sur la base du volontariat. Après, j'ai enchaîné avec les remplacements dans une association puis deux ans à temps plein chez SOS.
"Je donnais des cours de maths et de biologie"
Pendant cette période, le temps est passé très vite. J'ai eu trois enfants. Je pensais régulièrement à la thèse et je me disais qu'il fallait que je m'y mette. Je savais qu'on avait six ans après l'entrée dans le troisième cycle pour soutenir notre thèse mais il n'était pas stipulé qu'une fois ce délai écoulé il ne serait plus jamais possible de la passer. Il était simplement indiqué que la licence de remplacement ne serait pas renouvelée. C'était une incitation financière en quelque sorte. En nous coupant les licences de remplacement, on était bien obligé de retourner au travail universitaire. C'est vrai qu'en travaillant à temps plein, je m'étais éloigné des problématiques universitaires. Il fallait prendre le temps de s'arrêter. Mais en m'arrêtant je ne gagnais pas d'argent alors que j'avais de nouvelles charges. En 2006, je me suis retrouvé sans licence de remplacement. J'ai alors pris un congé parental pour élever mon troisième enfant et je me suis dit que je ferai ma thèse pendant ce congé. Il a fallu trouver un sujet. En 2008, après avoir travaillé six mois dessus, j'ai proposé un sujet à la faculté sur le thème de l'amniocentèse. Le sujet m'a été refusé car il n'abordait pas les soins primaires. Sur le coup, ça m'a déprimé. Je me suis demandé ce que j'allais faire. Dans l'intervalle, j'ai décidé de m'occuper des enfants et prospecter en parallèle pour trouver un nouveau sujet et un nouveau directeur de thèse. Après mon congé parental, j'ai été au chômage pendant deux ans. J'avais des droits puisque j'avais eu un poste salarié pour des gardes que je faisais à l'hôpital. Sur le plan financier, je me suis donc débrouillé avec le chômage. Je donnais des cours de maths et de biologie. En 2010, j'ai monté un nouveau sujet de thèse sur les antidépresseurs avec un médecin généraliste qui était enseignant à la fac de Rouen. On était 4 thésards à travailler dessus. Je m'occupais du versant épidémiologique. Ca a été assez long parce qu'il fallait récupérer beaucoup de données auprès de nombreuses administrations. Ca a duré deux ans. Puis quand nous sommes arrivés en 2012, c'était trop tard. La thèse n'était pas écrite mais il fallait la rendre avant le 31 décembre.
"Une équivalence pour devenir infirmier"
Ma première réaction a été de me dire que ce n'était pas possible et qu'ils allaient corriger cette histoire de délai. J'ai écrit au directeur du département de médecine générale du CHU qui m'a répondu que la loi était dure mais qu'il ne pouvait rien faire. Moi j'étais encore dans l'expectative. Puis après 2013, j'ai arrêté d'y croire. Je me suis mis à chercher des débouchés. J'ai contacté l'IFSI de Rouen et j'ai déposé un dossier pour faire une équivalence en un an pour devenir infirmier. J'ai fait six mois d'IFSI puis le Professeur Vincent Renard, président du Collège National des Généralistes Enseignants, qui était le nouveau patron du département de MG de ma faculté, m'a a fait savoir qu'il nous soutiendrait pour que nous puissions passer l'ECN l'année suivante et nous a rencontré. J'étais bien sur partant. Je me suis mis à bosser l'internat. Finalement ce plan n'a pas marché. Le gouvernement n'a pas accepté pour des raisons réglementaires que l'on soit inscrits pour les ECN. En parallèle j'avais vu qu'un groupe s'était constitué par le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) et allait demander un recours devant le Conseil d'État. J'ai pris conscience que je n'étais pas seul. Je croyais vraiment qu'on allait être régularisés. Finalement le conseil d'État a tranché non sur le fond et non sur la forme. Le texte a été validé. Là j'ai vraiment pensé que c'était fini. L'appareil d'Etat et le corpus médical ne nous soutenaient pas. Nous n'étions pas assez nombreux ou trop isolés. Heureusement, moralement j'ai eu la chance d'être bien entouré et soutenu par ma famille. Je n'ai pas connu la précarité comme cela a été le cas pour certains. Ma conjointe, même quand on s'est séparés, en 2012, est restée solidaire avec moi. Je me demandais ce que j'allais faire professionnellement. C'était angoissant.
"J'avais un revenu qui ne suffisait pas"
Financièrement je dépendais de mon ex-femme, de mes parents et de mes cours. J'étais déclassé, comme radié de la médecine. Ce qui est très difficile c'est d'être dépossédé de ce qui nous constitue socialement. On est habitué à se présenter en tant que médecin. On ne réalise pas à quel point on existe en tant que médecin. Quand on ne l'est plus, on ressent comme un vide. C'est violent. Mais globalement je me suis toujours occupé à faire quelque chose. Je m'occupais des enfants. J'avais un rôle. Comme celui des mères au foyer d'un ancien temps. Ce qui était dur à vivre, c'était la dépendance. J'avais un revenu qui ne suffisait pas à assurer le train global. Ce qui n'était pas le cas avant. Je devenais précaire, en plus de perdre mon identité. C'est un parcours de vie qui est enrichissant sur le plan humain. Rétrospectivement, pour un médecin, être déclassé et se retrouver dans la situation de personnes que l'on a pu côtoyer aux urgences fait empathie avec ces gens-là. Je sais que dans le groupe, certains ont été dans la misère, se sont retrouvés au RSA. Certains ont sombré dans la dépression. La plupart des couples se sont séparés. Nous avons fait une erreur de ne pas avoir passé notre thèse avant, mais est-ce que cela mérite d'être radié à vie de la corporation ? La sanction est trop lourde. Nous avons été sanctionnés comme si nous avions commis une vraie faute médicale.
"Trois ans de remise à niveau"
Je vais surement devoir passer par trois ans de remise à niveau. Je vais le bien-sûr le faire. Une commission va statuer au cas par cas. Tous les parcours sont différents. Certains se sont réfugiés dans l'exercice en étant Faisant fonction d'internes (FFI). Ils étaient couverts par leur chefferie. Ca n'était pas vraiment légal. Mais eux, n'ont jamais cessé d'exercer. On ne peut pas remettre en cause leurs compétences. Ils n'auront donc surement pas de remise à niveau. Si leur thèse est déjà prête, ils n'auront plus qu'à la soutenir et tout ira très vite. Là est tout le paradoxe. Ceux qui se sont débrouillés un peu en marge de la loi vont être les plus récompensés. On marche sur la tête. Ceux qui ont fait autre chose parce qu'ils ont respecté la loi, auront trois ans de remise à niveau. Pour l'instant la commission n'est pas encore créée. On essaye d'avoir l'adresse pour envoyer nos dossiers dès maintenant. On ne veut plus perdre de temps." *Avant 2004, le 3ème cycle était réparti entre résidanat et internat. Les futurs généralistes étaient résidants. Ils n'étaient pas tenus de passer les ECN.
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