Le centre hospitalier de Valenciennes a été très touché par l’épidémie de Covid-19. Comment l’expliquez-vous ? Rodolphe Bourret : En effet, en 2020 nous avons été le deuxième établissement le plus touché dans les Hauts-de-France, derrière le CHU de Lille. La population de notre zone est assez dense et très précaire, avec des taux de mortalité supérieurs de 30% à la moyenne nationale et de gros facteurs de comorbidités. Ces populations très fragiles sont plus sensibles à une telle épidémie. De plus nous sommes transfrontaliers avec la Belgique, sur un axe de circulation entre Lille et Paris avec beaucoup de passage. Entre le 1er janvier 2020 et le 31 mai 2021, nous avons hospitalisé 2563 patients Covid. Dont 553 en soins critiques (aigu + réanimation). Déplorez-vous comme de nombreux établissements de santé, des lits fermés faute de personnel et des postes de médecins et soignants vacants ? Il n’y a pas de lits fermés ni de fuite de personnels à Valenciennes. Nous avons embauché 75 infirmières cet été, qui sont globalement toutes là à cette heure. En raison du Covid et des déprogrammations (notamment en chirurgie), la perte d’activité a atteint 9,81% en 2020. Avec le rattrapage et la hausse tendancielle de notre activité, notre activité explose et on recherche des effectifs. Mais la concurrence est rude pour les recrutements.
Le CH de Valenciennes a été cité en exemple par le ministre de la Santé lors de la séance inaugurale de Cham 2021 (Convention on Health Analysis and Management, début octobre), comme un modèle d’innovation managériale. Quel est ce modèle ? Il s’agit du modèle de l’« hôpital magnétique » qui existe depuis les années 80 aux Etats-Unis, lorsqu’ils se sont aperçus qu’il y avait une fuite des soignants dans les organisations très hiérarchiques. L’idée est de faire des soignants les moteurs de la décision, et ainsi redonner son attractivité à l’hôpital. On s’est inspiré de ce modèle à Valenciennes en inversant la pyramide de gouvernance. J’ai délégué 90% de mes prérogatives. Ici un médecin chef de pôle peut embaucher du personnel médical et non médical, engager des dépenses hôtelières pour remplacer des lits, biomédicales et pharmaceutiques, sans référer à l’administration. Il y a bien sûr des mécanismes de contrôle mais la responsabilité est placée au plus près du terrain. Chaque chef de pôle gère le budget de son pôle (par exemple 85 millions d’euros en chirurgie), et chaque chef de service (chirurgie vasculaire par exemple) gère sa part de ce budget. Ces médecins suivent en formation continue (1,5 an) un master à la gestion des établissements de santé, que nous avons créé avec l’Université Polytechnique Hauts-de-France, et bénéficient d’un accompagnement quotidien en cas de besoin. Nous fonctionnons ainsi depuis une dizaine d’années, notre système est à maturité. Nos PH connaissent bien maintenant ce mode de management. Quels indicateurs montrent la réussite de ce système ? Notre établissement est à l‘équilibre budgétaire depuis... huit années consécutives, et même excédentaire. Grâce à cela nous pouvons investir dans le personnel, les locaux ou le plateau technique. En matière d’innovation technologique et médicale, les médecins ont la capacité d’acheter ce qu’il y a de mieux : nous avons de nouveaux scanners et IRM, TEP scan numériques, robots chirurgicaux, un automate de laboratoire. On peut rivaliser avec les CHU. Grâce à la responsabilisation des équipes et à leur déploiement, nous avons doublé notre activité entre 2009 et 2019 : de 15 000 à 35 000 actes de chirurgie, de 150 000 à 350 000 actes de consultation. En termes d’attractivité, bien sûr nous ne sommes pas situés sur la côte d’Azur mais nos maquettes sont globalement complètes, sauf pour les spécialités en tension partout. Nos postes d’anesthésistes sont pratiquement tous occupés. Vous avez également simplifié les circuits administratifs. Avec la forte délégation au niveau des pôles, la prise de décision est beaucoup plus rapide et le circuit administratif plus court. Par exemple, un service de chirurgie main, pied et épaule a été créé en moins de trois mois, en recrutant des chirurgiens, des anesthésistes et des infirmiers et en ouvrant des créneaux de bloc opératoire. Dès lors que cette création a été inscrite dans le projet d’établissement, le futur chef de service a été nommé chef de projet et il a conduit le projet dans son intégralité. Les services administratifs étaient présents en expertise et non en gestionnaires. Autre exemple : quand il doit embaucher un médecin, le chef de service prépare la fiche de poste, la direction des affaires médicales (DAM) publie le poste, le chef de service fait son choix parmi les candidatures qui arrivent (pas d’allers-retours avec l’administration), la DAM vérifie la conformité et l’embauche est faite. Résultat : nous avons environ 5% de personnel administratif au CH de Valenciennes, contre environ 30% ailleurs. L’économie de personnel administratif est investie sur le soin, avec plus de personnels soignants au lit du patient.
Votre modèle a-t-il été particulièrement utile dans la gestion du Covid ? Oui, car il nous a permis d’être dans l’anticipation. Nos médecins ont vu venir la vague de malades et ont pu préparer en avance la dissociation des flux patients covid et non covid, les pharmaciens ont pu commencer à faire des stocks très tôt. Tandis que les autres établissements nommaient en catastrophe des directeurs médicaux et perdaient du temps à revoir l’organisation, nous étions déjà structurés et avons pu canaliser notre énergie sur le soin immédiatement. Nous avons pu tenir. Après la première vague, les autres hôpitaux ont repris leur organisation hiérarchique, beaucoup de médecins ont été déçus. Et ces hôpitaux ont été déstructurés de nouveau lors de la deuxième vague… A Valenciennes, nous avons augmenté nos compétences à chaque vague. Entretenez-vous des liens privilégiés avec les médecins libéraux ? A ce sujet, il y a... un avant et un après Covid. Avant l’épidémie, nous avions déjà des relations avec des plateformes ville-hôpital, les gens se connaissaient au travers de parcours de soins coordonnés mais pas au-delà. Le Covid a été un élément fédérateur pour les relations ville-hôpital. Des médecins et infirmiers de ville sont intervenus dans nos secteurs d’hospitalisation. Une association d’infirmiers libéraux a fait des tests PCR au sein de l’hôpital. Nous avons créé un centre de vaccination ensemble, avec également des sages-femmes, des pharmaciens, la Croix-Rouge et les pompiers. Désormais l’hôpital agit en soutien de la création des CPTS sur le territoire. Nous développons avec les libéraux un projet pour les urgences, un projet de recherche sur le diabète, une expérimentation « article 51 », un projet de parcours de soins pour le Covid long. Nous allons aussi ouvrir un atrium en ville, avec une équipe mixte hospitalière et libérale (médecin généraliste, biologiste libéral, infirmiers, spécialistes hospitaliers)… Avec notre modèle de délégation, nos équipes gagnent en responsabilité, en implication, en imagination. Quand les gens peuvent décider et ont les moyens d’assumer leurs décisions, les initiatives et les projets sont très nombreux ! Le Ségur de la Santé incite à une médicalisation de la gouvernance hospitalière, il va donc dans le bon sens ? Le Ségur porte la médicalisation de la gouvernance, c’est vrai, mais sans obligation de mise en oeuvre. S’engager dans l’innovation organisationnelle, s’approprier les choses, c’est autre chose. Les revalorisations de salaires pour le personnel soignant et pour valoriser les responsabilités des chefs de pôle, sont une bonne chose. Mais la transformation de l’organisation n’est pas engagée. Notre modèle mériterait d’être étudié et mis en place dans d’autres établissements, quelle que soit leur taille.
C’est le plus gros centre hospitalier général de France, avec 2000 lits et places, et 5200 agents.
Il fait partie du groupement hospitalier de territoire (GHT) du Hainaut-Cambrésis couvrant Maubeuge, Valenciennes et Cambrai, soit une population de 850 000 habitants.
Son budget est de 450 millions d’euros, correspondant à celui d’un CHU de moyenne importance.
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