Brève lettre aux nouvelles directrices et aux nouveaux directeurs sur la place de la personne âgée à l’hôpital
"Si vous avez choisi le métier de directeur d’hôpital, ce n’est pas par passion pour Excel, pour la beauté d’un plan de retour à l’équilibre ou pour le plaisir de compter les postes, mais par goût du service public et pour une mission centrale : aider les médecins, les soignants et tout l’hôpital à prendre en soin, demain mieux qu’aujourd’hui, les personnes touchées par la maladie, l’âge ou le handicap. Alors, si vous vous intéressez à la place faite aux personnes âgées à l’hôpital, allez d’abord aux urgences et passez-y une nuit. Une nuit, pas seulement une heure. Vous comprendrez tout de suite. « Quel âge a-t-il ? » : vous verrez vite que c’est la première question posée à l’interne des urgences qui cherche un lit pour son patient. Si la réponse est 40 ans, il aura plus de chances de trouver un lit que si la réponse est 80. De la réponse à cette question dépendra donc la suite du parcours de la personne âgée pour laquelle une hospitalisation apparaît nécessaire. D’ailleurs, à 3 heures du matin, il y aura nettement plus de personnes très âgées dans les lits ou sur les brancards des urgences que de personnes plus jeunes, et ce n’est pas parce que ces dernières auraient été moins nombreuses à l’admission. Tout porterait à croire que la personne âgée n’est pas la bienvenue à l’hôpital. Y aurait-il une hostilité de principe ? Certainement pas, ceux qui ont choisi le métier de soigner savent bien qu’avec l’âge s’accroît le besoin en soins. Le problème central est celui du manque de lits de médecine à l’hôpital et du manque de personnel. Adapter l’hôpital à la personne âgée plutôt qu’attendre de la personne âgée qu’elle s’adapte à l’hôpital suppose une volonté politique interne : à vous d’y contribuer dans votre exercice hospitalier. Le manque de lits de médecine Il y a eu beaucoup de suppressions de lits de médecine et de chirurgie. Supprimer des lits de chirurgie est le plus souvent légitime, car les progrès de l’anesthésie, de la chirurgie, du matériel médical aussi, ont permis de soigner à la fois mieux et plus vite. Dès lors que l’on vérifie avec la personne qu’elle est parfaitement apte à rentrer chez elle en toute sécurité, la chirurgie ambulatoire est un grand progrès. Supprimer des lits de médecine, en revanche, soulève beaucoup plus de questions. Le vieillissement de la population, l’explosion des maladies chroniques, due elle-même aux progrès de la médecine, entraînent un besoin en lits d’hospitalisation de médecine. Là où il aurait fallu une augmentation des lits, il y a eu diminution. Le manque de personnel adapté Le manque de médecins : il est en cours de correction en France, mais le temps de la formation médicale est long et le bénéfice ne peut déjà apparaître. Aujourd’hui, ce manque est particulièrement évident en gériatrie, où cette discipline pourtant passionnante ne dispose pas des effectifs à la mesure du défi gériatrique actuel. Le manque de soignants : le déficit d’attractivité des métiers du soin est plus marqué encore en gériatrie. Les soignants qui ont fait le choix de s’occuper de personnes âgées ne sont pas les plus nombreux. Pour affecter un jeune soignant à un service gériatrique, il faut malheureusement souvent lui promettre une autre affectation après deux ou trois ans. Postuler que l’image de la personne âgée dans la société en serait la seule cause est un peu rapide : on observe, en effet, que lorsque les services de gériatrie reçoivent les effectifs nécessaires en infirmières et aides-soignantes, y compris le week-end, les difficultés de recrutement s’effacent. Mais être la seule infirmière de nuit pour 30 lits de gériatrie fait peur, et on peut le comprendre. C’est à l’hôpital de s’adapter à la personne âgée et non l’inverse : deux conditions sont indispensables pour répondre à cette ambition. Il faut à la fois une volonté politique dans l’hôpital ET une culture gériatrique. La volonté politique ne va pas toujours de soi, car l’affichage d’une ambition gériatrique peut faire s’interroger quelques-uns : notre jeune directeur ambitionnerait-il de transformer notre bel hôpital en une grande maison de retraite ? (rare mais vécu !). Mais une volonté politique partagée par direction, médecins et soignants, entérinée par les conseils de surveillance et les instances, peut entraîner tout un hôpital. Cette volonté doit être ancrée dans la réalité et prendre en compte la forte hausse, ces dernières années, du taux de sévérité des patients âgés. Ainsi se diffuse une culture du service aux personnes âgées. Cette culture bénéficie à tous, car cette fragilité est commune à toute la population hospitalisée : travailler pour la personne âgée à l’hôpital, c’est travailler pour tous les patients. Ces deux conditions étant remplies, la mise en œuvre peut être pensée méthodiquement dans tous les registres de l’hôpital. Il faudrait beaucoup plus qu’une brève lettre, mais sachez qu’il y a des pistes que vous pourrez explorer avec les équipes médicales, les soignants et l’équipe de direction. J’en citerai quelques-unes, de mon expérience. Un service d’aval des urgences réservé à la personne âgée : il sera indispensable si l’hôpital manque régulièrement de lits de médecine ou si les nuits passées aux urgences par les personnes dites gériatriques (âgées de plus de 75 ans et polypathologiques) deviennent la règle. Comme la chirurgie, la médecine a éclaté en de multiples spécialités dont aucune n’a le désir de prendre en charge un patient ne relevant pas précisément de la spécialité. Or, les personnes âgées sont souvent polypathologiques et si l’infarctus sera heureusement aussitôt dirigé vers la cardiologie, la personne porteuse d’une pathologie mal identifiée risque, elle, de ne pas trouver facilement sa place et d’être admise dans un service inadapté, donc en perte de chances Dans ce cas, une plateforme post-urgence multidisciplinaire, réservée aux personnes âgées et adossée à un service de médecine interne, sera le lieu du diagnostic complexe, puis du traitement ou du retour à domicile de la personne âgée polypathologique. L’équipe médicale sera composée d’urgentistes, de gériatres, d’internistes, voire de généralistes, avec les interventions ponctuelles de praticiens spécialisés : cardiologues, neurologues, psychiatres, etc. Les pistes sont nombreuses et vous aurez à les explorer. La formation d’abord : puisque les services de court séjour accueillent presque tous des personnes âgées, les équipes doivent être formées à leurs besoins spécifiques, sous la conduite des directions des soins. L’organisation d’une unité dédiée à la prise en charge gériatrique au sein d’un service spécialisé de médecine ou chirurgie est une autre piste. Des unités de chirurgie orthopédique gériatriques ont ainsi été créées pour prendre en compte le risque accru de décompensation des personnes gériatriques alitées pour plus de quelques jours. Elles seront alors mieux prises en soins par les soignants spécialement formés, venant du service même ou de la gériatrie. Un gériatre peut y intervenir, au moins à temps partiel. Vous aurez beaucoup d’autres pistes à travailler, comme : - l’admission directe en gériatrie de patients non programmés ; - la transformation de lits en nouveaux lits de gériatrie de court séjour, avec l’appui de l’ARS ; - l’adaptation des circuits, de la signalétique et des services hôteliers ; - la coordination avec le médico-social, avec les hôpitaux de proximité, les dispositifs d’aide à la coordination des parcours (DAC) pour le maintien du lien avec le médecin traitant et la préparation de la sortie des patients ; -l’adaptation des tarifs : la T2A n’a jamais été un moteur pour les équipes médicales et soignantes, mais la valorisation financière est une des façons de reconnaître la difficulté de l’exercice gériatrique ; -la recherche en gériatrie, médicale aussi bien qu’infirmière. Sur toutes ces questions, nous avons été nombreux à participer à nombre de rapports sur le sujet de la personne âgée à l’hôpital, ce qui amène à s’interroger sur la volonté politique nationale dans ce domaine, en tout cas jusqu’ici. Mais il ne faut pas toujours renvoyer la responsabilité aux autres et, en guise de conclusion, je veux surtout vous inviter, vous qui abordez l’hôpital, à « penser gériatrie » dans votre exercice hospitalier : c’est-à-dire à penser au patient qui, déjà fragile, le devient plus encore dans notre hôpital organisé d’abord pour l’efficacité et le séjour bref. Dans cet esprit, sachez vous référer aux avis 137 et 140 du Comité consultatif national d’éthique portant sur l’éthique et le système de soins. Un ultime conseil, éclairé par mon propre investissement sur le sujet : je vous invite à découvrir le rapport de Dominique Libault « Concertation Grand Âge et autonomie (2019) » et ses développements sur « l’hôpital et la personne âgée ». Texte de référence pour la loi Grand Âge annoncée sur la question, ce sera le seul conseil de lecture que je vous donnerai dans cette brève lettre. Et puis, ne l’oubliez pas, s’investir sur ce sujet essentiel, c’est aussi travailler à son propre avenir ! "
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