54 millions d'euros d'honoraires pour 367 médecins : comment l'activité libérale prospère dans les hôpitaux publics parisiens
Un rapport présenté mardi 9 avril en commission médicale d'établissement (CME) de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) montre que l'activité libérale a considérablement augmenté en 2022 dans les établissements du groupement, qu'il s'agisse des actes ou des consultations. Les honoraires médians des 367 médecins concernés par cet exercice ont également bondi de 25%. Une embellie qui contraste avec la diminution de l'activité publique hospitalière.
367. C'est le nombre de praticiens hospitaliers autorisés à pratiquer une activité libérale au sein de l'AP-HP en 2022. C'est 17 praticiens de plus que l'année précédente, souligne le rapport annuel sur l'activité libérale présenté le 9 avril en CME et qu'Egora a pu consulter. Une hausse (de 5%) qui pourrait s'expliquer par le fait que depuis le 1er janvier 2022, les praticiens hospitaliers peuvent "exercer une activité libérale dès la période probatoire" et "à partir d'une quotité de temps de 80%" ; "une mesure visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières" face à un secteur privé plus rémunérateur.
La majorité (96%) de ces 367 médecins ayant un exercice libéral dans les hôpitaux parisiens sont des professeurs des universités – praticiens hospitaliers et des PH, mais les maîtres de conférences des universités – praticiens hospitaliers (MCU-PU) titulaires, praticiens hospitalo-universitaires (PHU), chefs de cliniques assistants (CCA) et assistants hospitalo-universitaires (AHU) peuvent aussi prétendre au bénéfice d'un contrat d'exercice intra-hospitalier – obligatoire.
Cet exercice libéral est encadré par des dispositions législatives et réglementaires bien spécifiques, ainsi que des dispositions déontologiques ou relatives au droit de la Sécurité sociale, rappelle l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris dans un guide à l'usage des professionnels publié en même temps que son rapport annuel. Il est notamment borné à deux demi-journées par semaine pour les praticiens exerçant à temps plein.
À l'AP-HP, 5,6% des praticiens éligibles sont titulaires d'un contrat. Cela reste "relativement faible" par rapport aux autres CHU français, précise-t-on. "Cela représente à peu près 2% des actes et des consultations à l'échelle de l'AP-HP", a ajouté le directeur général de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, Nicolas Revel, sur le plateau de franceinfo, ce mardi 23 avril.
Le rapport éclaire également sur les spécialités des médecins qui exercent en partie en libéral. Les spécialités chirurgicales concentrent le plus de praticiens autorisés, "avec 208 contrats actifs", soit 57%. En tête : la chirurgie orthopédique et traumatologique suivie par la gynécologie-obstétrique et l'urologie. Parmi les spécialités médicales (159 contrats), la cardiologie représente 44 contrats, la radiologie imagerie médicale 28, et la médecine nucléaire, 17.
Dix praticiens ont perçu 750 000 euros et plus
En 2022, les médecins de l'AP-HP autorisés à avoir une activité libérale ont perçu 54 millions d'euros ; des honoraires en hausse de 18% par rapport à 2021 (46 millions). Et de 24% par rapport à 2019 (44 millions). La moyenne des honoraires se situait en 2022 à 156 372 euros (vs 127 498 euros en 2021), et la médiane à 112 620 euros (vs 89 849 euros en 2021) avant versement de la redevance (voir plus bas). En hausse respectivement de 23 et 25% par rapport à l'année précédente. "En 2019, tous praticiens confondus, la moyenne des honoraires se situait à 132 398 euros et la médiane à 95 486 euros. Les données 2022 ont donc dépassé le niveau d’avant Covid", notent les auteurs du rapport.
Ces chiffres cachent d'importantes disparités : 172 praticiens ont perçu entre 25 000 et 100 000 euros ; 136 entre 150 000 et 250 000 euros ; 49 entre 300 000 et 500 000 euros ; et, enfin, 10 médecins ont perçu 750 000 euros et plus. 26 praticiens n'ont perçu aucun honoraire pour divers motifs. Des disparités sont aussi visibles entre les hôpitaux du groupement. Ainsi, la moyenne des honoraires perçus en 2022 a été la plus importante au sein du GHU Paris Seine-Saint-Denis, avec "un écart de 83 884 euros par rapport à la moyenne AP-HP". Le rapport indique que cet écart est dû à un praticien en gynécologie-obstétrique "qui apparaît en net décalage par rapport aux autres praticiens autorisés du GHU avec un écart des honoraires de 470 834 euros par rapport à la moyenne des autres praticiens autorisés de ce GHU".
Certaines spécialités apparaissent également plus rémunératrices que d'autres. Celle qui touche le pactole est sans conteste la cancérologie-radiothérapie, dont la moyenne des honoraires en 2022 s'élevait à 595 484 euros (+140% en 7 ans). Viennent ensuite la médecine nucléaire (195 097 euros) et la cardiologie (183 190 euros) pour ce qui est des disciplines médicales – globalement moins rémunératrices. Du côté des spécialités chirurgicales, c'est la chirurgie plastique, reconstructrice et brûlologie qui arrive en tête avec des honoraires moyens de 314 175 euros, puis la chirurgie thoracique et cardiovasculaire (204 950 euros) et l'urologie (190 815 euros).
Ces honoraires varient toutefois d'un médecin à l'autre. En radiothérapie-cancérologie, un praticien parisien ne réalise par exemple que des consultations, tandis que ses confrères pratiquent aussi des actes radiothérapiques. Ces honoraires sont ainsi nettement inférieurs (32 820 euros). Les honoraires maximums enregistrés dans cette spécialité en 2022 étaient de 1,6 million d'euros.
Pour exercer en libéral au sein des hôpitaux parisiens, les médecins sous contrat doivent verser une redevance. Le montant de ces redevances s'élevait en 2022 à 14,9 millions d'euros (+15,1% par rapport à 2021). Une progression "cohérente" compte tendu de l'évolution des honoraires perçus, explique-t-on. Et de rappeler que "le taux de la redevance dépend de la nature des actes pratiqués et la catégorie de l’établissement". Cela peut aller de 15% pour des consultations en centre hospitalier (16% en CHU) à 60% pour des actes d'imagerie, de radiothérapie, de médecine nucléaire ou de biologie.
Fin 2023, 97,8% de la redevance avait été recouvrée. Quelques demandes de régularisation ont été envoyées.
Davantage d'actes en libéral
Le rapport a également comparé l'évolution de l'activité libérale à l'AP-HP à celle de l'activité publique. La première a augmenté de 15% en 2022 et 2021, quand la seconde a reculé de 2%. S'agissant de l'activité libérale, les actes ont progressé de 21% et les consultations de 7%. L'activité libérale progresse globalement dans tous les établissements du groupement. Si l'on écarte la radiothérapie, dont les actes et consultations ont augmenté de 296% (359% rien que pour les actes), l'activité libérale toutes spécialités à l'AP-HP a progressé de 14%.
En 2021 et 2022, la part de l'activité libérale par rapport à l'activité publique des praticiens autorisés a progressé de 5 points. Si les actes libéraux ont donc progressé de 21%, les actes publics ont, eux, chuté de 4%. S'agissant des consultations, l'écart est nettement moins important. Selon les auteurs du rapport, la radiothérapie serait en (très) grande partie responsable de la progression des actes libéraux.
Sur franceinfo, Nicolas Revel a dit souhaiter "informer et sensibiliser un certain nombre de ces professionnels au fait que ça peut être un peu délicat d'avoir une progression forte de son activité privée quand, dans le même temps, sa propre activité publique n'augmente pas, voire celle du service dans lequel on exerce est stable ou diminue". Une dizaine de cas d'"abus" ont été constatés et vont être "regardés de plus près", a poursuivi le directeur général. Il s'agit de cas pour lesquels "l'activité libérale est tellement forte" que "le respect de la règle des deux demi-journées pourrait être à vérifier". Ces professionnels "vont être convoqués, et parfois ils peuvent être sanctionnés. On peut tout d'un coup leur interdire de poursuivre leur activité libérale" au sein de l'AP-HP, a ajouté Nicolas Revel, qui a voulu "remettre l'église au milieu du village" : "Quand on va à l'AP-HP aujourd'hui, à 98%, on est pris en charge normalement, dans un cadre public, à tarif opposable, et sans reste à charge."
Des anomalies détectées
Des situations de praticiens en anomalie ont en effet été détectées, signale le rapport : non-remontée d'activité publique, sur-déclaration des activités, défaut de paiement de la redevance, ou encore dépassement du ratio d'activité activité libérale / activité totale, qui, d'après les obligations réglementaires, doit être inférieur à 50%. 18% des praticiens ont dépassé ce ratio. Par ailleurs, le rapport fait état d'une "progression" des écarts entre l'activité déclarée et l'activité du SNIR (le Système national inter-régimes recueille et agrège au niveau national l'activité libérale des professionnels de santé ayant donné lieu à remboursement).
Les commissions locales d'activité libérale (CLAL), chargées du contrôle de cet exercice, ont procédé à plusieurs demandes de régularisation et/ou à des rappels de redevance sur la base des chiffres du SNIR. Certains praticiens ont, en outre, fait ou feront l'objet d'une audition devant la commission pour s'expliquer sur des irrégularités relevées. Les commissions locales peuvent saisir la commission centrale (CCAL), afin de suspendre ou de retirer l'autorisation d'activité libérale d'un praticien. La CCAL doit à son tour saisir le directeur général de l'agence régionale de santé.
Le 25 septembre dernier, la commission centrale a actualisé son guide de l'activité libérale. "Il a été procédé à une mise à jour et à des précisions s’agissant notamment de l’obligation pour le praticien de coder son activité publique de façon nominative et exhaustive de façon à permettre un suivi effectif des ratios d’actes" ; des "changements réglementaires concernant l’information du patient quant aux honoraires pratiqués" ; et "des évolutions dans le contrôle de l’activité libérale et particulièrement du rôle de la commission régionale de l’activité libérale", qui est "réglementairement chargée de l'instruction des demandes de suspension ou de retrait de l'autorisation d'activité libérale" par le DG ARS.
Une charte a également été approuvée lors de cette séance de rentrée. Elle enjoint les praticiens sous contrats à respecter les ratios de temps et d'activité dédiés à l'activité libérale, à fixer leurs honoraires "avec tact et mesure", ou encore à garantir "l'égalité d'accès aux soins pour le patient". Dans le cadre de la parution du rapport 2021, une étude complémentaire visant spécifiquement les praticiens ayant perçu plus de 300 000 euros d'honoraires ou plus de 200 000 euros et présentant des anomalies avait été réalisée en partenariat avec la CPAM. L'AP-HP a également rédigé un nouveau support de contrat, relu par l'Ordre des médecins de Paris, afin d'éviter les écueils : inscription de la spécialité du service à la place de la spécialité d'inscription au tableau de l'Ordre, par exemple.
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