La cheffe des urgences de Laval volontairement mise à l’écart de ses fonctions ? "On veut me faire taire"
La nouvelle a fait grand bruit. Depuis le 1er décembre, la Dre Caroline Brémaud n’est plus cheffe du service des urgences de l’hôpital de Laval, en Mayenne. Une décision prise fin novembre par le directeur de l’établissement et le président de la CME, qui ont fait valoir une réorganisation du service. "Dans le cadre du projet de réorganisation du département de médecine d’urgence, le centre hospitalier de Laval a acté le passage à une gouvernance unifiée avec un seul chef de département", en l’occurrence le Dr Bruno Rohee, justifie la direction dans un communiqué. Mais pour plusieurs syndicats et collectifs de soignants, cette destitution ressemble plutôt à une sanction.
Et pour cause, depuis deux ans, la Dre Brémaud a multiplié les interventions dans les médias, alertant à cor et à cri sur la crise que traverse l’hôpital mayennais, et, plus globalement, l’hôpital public : manque de moyens, fermetures de services, perte d’attractivité... Durant l’été, la cheffe de service n’avait pas hésité à critiquer la gestion de la crise des urgences par le Gouvernement. "Ce ne sont pas seulement les urgences qui vont mal, ce n'est pas seulement l'hôpital public qui va mal, c'est absolument l'entièreté du système de santé. Et, donc, il faut que la population se mobilise parce que la seule chose qui intéresse un homme politique, c'est sa réélection", déclarait-elle aussi fin juin.
Pour beaucoup, la praticienne est une "lanceuse d’alerte". Dans un communiqué commun diffusé ce lundi 4 décembre, plusieurs syndicats hospitaliers (Action Praticiens hôpital – SUdF – Amuf – SNPHARE – SED – CIH) ont dénoncé une "destitution purement ignoble" et "contraire aux droits d’expression de chaque citoyen". "Nos syndicats, représentations professionnelles ou collectifs s’opposent fermement à toute tentative d’intimidation ou à toute sanction vis-à-vis des praticiens hospitaliers lorsqu’ils s’expriment publiquement dans les médias pour informer la population sur le délitement programmé de l’hôpital public."
Communiqué de presse du 4 décembre : Quand les directions stigmatisent les lanceurs d’alerte !
— COLLECTIF INTER-HOPITAUX (@CollectInterHop) December 4, 2023
Avec @AMUFAMUF1 @sedatif @SNPHARE @SUdF_Officiel @ActionPratHopit @ActionPratHopit pic.twitter.com/qIHrWAWNRX
Sur X, l’urgentiste Christophe Prudhomme a souligné qu’un médecin a une "obligation déontologique de dénoncer les dangers encourus par les patients du fait du manque de moyens".
"On veut me faire taire", a estimé la principale intéressée, interrogée par franceinfo. Dans un entretien accordé à France Bleu, la Dre Brémaud a également déclaré qu’elle payait "les pots cassés". "Je sais que je dérange. Il y a deux ans, quand j'ai commencé à m'exprimer sur les réseaux sociaux, puis dans la presse, on m'a dit que je prenais un risque pour ma carrière […] Mais moi, je veux faire honneur à mon serment d'Hippocrate et je ne veux pas le ternir en masquant ce qui me paraît être important de dénoncer. C'est-à-dire l'effondrement du système de santé dans sa globalité", a-t-elle confié.
Réactions politiques
Interpellés, les élus locaux ont réagi à la polémique montante. "J'apprécie les combats qui sont menés par les médecins. Nous avons besoin de voir des blouses blanches qui s'expriment. Cette liberté de parole, je la défendrai toujours en tant que président du conseil de surveillance du CH de Laval. Ce que je demande, c'est que les urgences fonctionnent mieux avec plus de médecins. J'attends d'une réorganisation de service, davantage de temps médical et de soignants. S'il y a réorganisation, ce doit être pour du mieux", a écrit sur X (anciennement Titter) le maire de la ville, Florian Bercault, apportant son soutien aux Drs Brémaud et Jonquet, également destitué de ses fonctions de chef de service des urgences.
J'apprécie les combats qui sont menés par les médecins. Nous avons besoin de voir des blouses blanches qui s'expriment.
— Florian Bercault (@FlorianBercault) December 5, 2023
Cette liberté de parole, je la défendrais toujours en tant que président du conseil de surveillance du @CHLaval53.https://t.co/w86CvZfXaj
"En quoi la suppression de deux postes de direction au profit d’une seule et unique personne va-t-elle améliorer le fonctionnement d’un service dont les soignants sont au bord de l’épuisement, parce que soumis à des conditions de travail toujours plus difficiles et à une très forte pression quotidienne ?", s’interroge de son côté Yannick Favennec, dans un communiqué. Réclamant une rencontre "dans les plus brefs délais" entre le directeur de l’ARS et les parlementaires de la Mayenne, le député du département a dit vouloir aussi s’assurer que "cette décision n’a pas été prise pour écarter la Dre Caroline Brémaud […] qui a médiatisé les difficultés récurrentes des urgences de Laval".
Une manif et une pétition
L’ancienne sénatrice communiste du Val de Marne, Laurence Cohen, a par ailleurs écrit au ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, pour dénoncer "une décision qui ressemble à une sanction incompréhensible", "une décision injuste et contre-productive". "L’hôpital public […] a besoin de professionnels de la qualité de Madame Brémaud", a-t-elle assuré dans son courrier. Un rassemblement réclamant la réintégration de la Dre Brémaud en tant que cheffe de service aura lieu ce samedi à Laval. La porte-parole des écologistes (EELV) en Mayenne, Solène Mesnager, a indiqué qu’elle serait présente pour soutenir l’urgentiste. Et bien d’autres…
Une pétition a également été lancée par l’association de citoyens contre les déserts médicaux. Elle a d’ores et déjà recueilli plus de 1300 signatures. "Caroline Brémaud est sanctionnée parce qu'elle défend notre accès aux soins. Nous avons le devoir de la soutenir et d'exiger avec les collectifs et syndicats mobilisés à ses côtés que soit levée la sanction totalement injustifiée qui lui est imposée", écrivent les auteurs de cette pétition, Esther Morel et Denis Roth. "Alerter la population sur la casse de notre système de santé ne peut pas faire l'objet d'une sanction."
[avec France Bleu et France 3]
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