"Faiblesses" et "dérives préoccupantes". Le "désordre" semble avoir pris place au sein de l'Ordre des médecins. Dans son dernier rapport, publié lundi 9 décembre, la Cour des comptes appelle l'instance à se réformer en profondeur après avoir fait le constat de plusieurs dysfonctionnements de gestion.
"En dépit d’un contrôle de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2000, d’un contrôle de la Cour des comptes en 2011 et d’un contrôle de la mission d’inspection des juridictions administratives (MIJA) en 2013, l’Ordre des médecins n’a procédé qu’à une petite partie des changements qui lui étaient recommandés", note le rapport.
En février dernier, Le Canard enchaîné avait déjà dévoilé les conclusions provisoires de ce rapport sans que l'Ordre n'ait été tenu au courant. Celui-ci avait alors contesté plusieurs points levés par la Cour des comptes et avait mis en œuvre quelques recommandations formulées par la Cour et annoncé "des mesures correctrices". Principal grief de la Cour : les indemnités perçues par les membres de l'Ordre, dont les ressources annuelles sont d'environ 85 millions d'euros et proviennent essentiellement des cotisations obligatoires des quelque 300 000 médecins (335€ en 2019).
Si les fonctions ordinales sont des fonctions bénévoles, le rapport indique qu'il est toutefois possible les indemniser à hauteur de 121 000€ par an. En 2017, les frais et les indemnités représentaient 17% du budget annuel réalisé par l'Ordre dans son ensemble. Sur la même période, 16 membres du bureau national ont perçu plus de 1 million d'euros d'indemnités. Pour les 40 % d’élus retraités – l’âge moyen des membres du bureau est de 71 ans –, "ces montants élevés ne constituent pas une compensation de perte d’activité professionnelle mais bien un revenu complémentaire", indique le rapport. Parmi ces membres, six (le président, le secrétaire général, les trois secrétaires généraux adjoints et le trésorier) ont perçu des indemnités forfaitaires représentant au total plus de 500 000 €, soit près de 90 000 € par personne. Les autres touchent des indemnités de présence de 483 € par jour. Un montant stable depuis 2013.
Des "grands désordres comptables et de gestion" ont également été observés par la Cour, notamment dans les conseils départementaux. Elle pointe aussi du doigt des dépenses mal contrôlées, parfois irrégulières, un contrôle insuffisant de l'exercice de la profession et de la déontologie, et un manque de contrôle des obligations de formation obligatoire des médecins (DPC). Enfin, les Sages mettent en évidence des "recrutements favorisant les liens familiaux".
Dans un communiqué, également publié lundi, l'Ordre, dont le rôle est notamment d'assurer la discipline de la profession, dénonce le fait que "plusieurs missions essentielles assurées par l'institution soient passées sous silence" et exprime son désaccord sur l'analyse, qu'il juge parcellaire, de l'efficacité des missions étudiées. "La Cour des comptes a été mal inspiré", a déclaré le président de l'Ordre, le Dr Patrick Bouet, lors d'une conférence de presse organisée le même jour.
Contrôle de la #CourdesComptes | Pour rétablir les faits, l’Ordre conteste publiquement sur le fond et sur la forme le rapport de la Cour.
— Ordre des Médecins (@ordre_medecins) December 9, 2019
Le communiqué de presse et les documents de réponse de l’institution → https://t.co/LIRdYPbslg #Désintox pic.twitter.com/mY7ec0GfvA
Moins de 10% de femmes Les Sages reprochent également à l'Ordre de manquer de rigueur dans la gestion des plaintes contre les médecins notamment dans les cas de viols ou d'agressions sexuelles. "Au cours des dernières années, plusieurs affaires médiatisées relatives à des viols et agressions sexuelles sur patients ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire", déplorent les Sages. Ils citent notamment le cas d'un endocrinologue placé sous contrôle judiciaire pour abus sexuels avec interdiction d’exercer toute activité gynécologique ou de PMA depuis 2015 contre lequel aucune poursuite disciplinaire n’a été diligentée. "La lecture du rapport public cherche à donner l’impression que de façon globale l’Ordre manifesterait une mauvaise volonté à ce qu’il puisse être donné des suites disciplinaires aux plaintes reçues. L’Ordre ne peut que s’insurger contre pareille insinuation", a déclaré l'instance lundi 9 décembre. La Cour des comptes note également que la composition de l'instance et le faible renouvellement de ses élus ne permet pas à l'Ordre d'être représentatif du corps médical. "La surreprésentation d’hommes (91 %) âgés et retraités (40 %) au sein du Cnom, ainsi que la longévité des mandats exercés ne favorisent pas la prise de conscience d’un changement nécessaire", notent les Sages.
Sur 3 311 conseillers ordinaux, moins d'un tiers sont des femmes. Et la situation est loin d'être meilleure au Conseil national, puisque les femmes ne représentent que 9% des membres. Pourtant d'après le Cnom, en 2017, 47 % des médecins en activité étaient des femmes. Une ordonnance datée de 2017 va toutefois contraindre l'Ordre à mettre en place la parité en 2022.
La Cour des comptes expose une série de recommandations à la fin de son rapport. Elle suggère notamment d'ouvrir aux non médecins la gouvernance de l'Ordre.
Plus de détails à venir demain sur Egora.fr
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